R. c. Magoon, 2018 CSC 14 

Le fait de reconnaître, comme nous le faisons, que des parents sont légitimement autorisés à restreindre la « liberté » de leurs enfants dans l’intérêt supérieur de ceux‑ci ne signifie pas que cette autorisation a un caractère illimité. Parfois,  cela peut constituer une séquestration illégale.

[65]                          Bien que la norme juridique permettant d’établir l’existence d’un acte de séquestration illégale soit, d’un point de vue technique, la même pour les enfants et pour les adultes, la relation parent‑enfant revêt de l’importance pour les deux volets de l’analyse relative à la séquestration illégale. Premièrement, il est plus facile de séquestrer des enfants et, dans le cas des jeunes enfants, ceux‑ci sont fréquemment séquestrés pour des raisons de santé ou de sécurité, ou encore à titre de mesure disciplinaire. Deuxièmement, il existe dans le contexte de la relation parent‑enfant des raisons légitimes de recourir à la séquestration, raisons qui n’existent toutefois pas dans d’autres contextes. Dans le cas d’une relation parent‑enfant, les tribunaux doivent établir s’il y a eu séquestration illégale compte tenu de ces deux considérations.

[66]                          Il est plus facile de séquestrer des enfants parce que ces derniers sont intrinsèquement vulnérables et dépendants, et parce qu’ils comptent généralement sur les adultes pour définir la portée des comportements permis. Cela est particulièrement vrai dans le cas des jeunes enfants, dont l’état de dépendance est habituellement total. Les parents se trouvent en position de confiance et de responsabilité par rapport aux enfants, précisément parce que ces derniers sont souvent démunis lorsqu’ils sont privés de la protection et de l’assistance de leurs parents. Les parents sont les adultes dont dépendent le plus les enfants et de qui ils reçoivent — et attendent — couramment des instructions. Les libertés d’un enfant sont, du point de vue de celui‑ci, manifestement restreintes par le fait que les parents sont les principales personnes en autorité à son égard.

[67]                          Or, cela ne veut pas dire que le ministère public est tenu de prouver l’existence d’une forme particulière ou extrême de séquestration dans les affaires concernant des parents et leurs enfants. Pour reprendre les propos du juge Monnin dans l’arrêt Kematch :

                    [traduction]

                        Dans la présente affaire, même s’il n’y a pas eu recours à des mesures de contrainte physique concrètes tels que que des attaches, menottes ou obstacles [entravant les mouvements de la victime], si ce n’est l’utilisation d’une barrière à l’occasion, la jeune enfant était clairement soumise à des mesures restreignant sa liberté de mouvement et se voyait parfois ordonner de rester dans sa chambre ou de ne pas quitter le sous‑sol, lieu où elle était fréquemment reléguée. L’existence de la contrainte — mesures physiques concrètes ou autres formes de coercition — dont fait état le juge Binnie dans l’arrêt Pritchard est nécessaire, mais, selon les circonstances, cette contrainte peut également être exercée, comme en l’espèce, en usant de la peur, de l’intimidation ou de moyens psychologiques ou autres. Lorsque la cause concerne un enfant et un parent, ou un adulte et un enfant, il est encore moins nécessaire qu’on ait fait usage d’attaches ou autres entraves du genre compte tenu du rapport inégal qui existe déjà. [Nous soulignons; par. 89.]

Il importe de souligner que, pour que le tribunal puisse conclure qu’un enfant a été séquestré, il n’est pas nécessaire de prouver que l’enfant a été physiquement attaché ou enfermé; la séquestration peut tout aussi bien résulter de la preuve d’un comportement contrôlant.

[68]                          Comme nous l’avons précisé, il existe, dans le contexte de la relation parent‑enfant, des justifications légitimes de séquestrer un enfant, justifications qui n’existent pas dans d’autres contextes. Toutefois, le fait de reconnaître, comme nous le faisons, que des parents sont légitimement autorisés à restreindre la « liberté » de leurs enfants dans l’intérêt supérieur de ceux‑ci ne signifie pas que cette autorisation a un caractère illimité (voir Bottineau (C.S.J.), par. 489; Bottineau (C.A.), par. 101). Si un parent adopte, envers son enfant, un comportement abusif ou préjudiciable qui dépasse toute forme acceptable d’exercice des responsabilités parentales, l’autorisation reconnue à ce parent de séquestrer son enfant cesse d’être légitime, et ce, qu’il y ait ou non infliction de violence physique. Dans de telles circonstances, l’autorisation jusque là légitime perd sa légitimité, puisqu’elle est exercée à une fin illicite. La présente affaire ne relève pas du champ d’application de l’art. 43 du Code criminel, aux termes duquel un parent « est fondé à employer la force pour corriger un [. . .] enfant [. . .] confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances » (voir Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 40).

[69]                          Bref, le fait de punir un enfant en restreignant sa liberté de se déplacer librement (par des mesures de contrainte physique ou psychologique), à l’encontre de sa volonté — mesures qui excèdent les limites du châtiment qu’un parent ou tuteur peut légitimement infliger —, constitue une séquestration illégale. Et c’est ce qui s’est passé en l’espèce. Mme Magoon et M. Jordan ont clairement séquestré Meika, et cette séquestration était illégale.