R. c. Bisier, 2017 QCCQ 3369

Le défendeur allègue principalement une défense d’absence d’intention générale. À défaut de retenir cette défense, le demandeur propose une défense d’automatisme sans troubles mentaux. Il n’entend pas soulever la défense de non‑responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux prévus à l’article 16 du Code criminel.

 

VI.          L’ANALYSE

[41]           Dans le dossier à l’étude, les parties conviennent sur une base factuelle que le choc post-traumatique dont souffre le défendeur donne ouverture à une défense. Le véhicule juridique qui doit être utilisé diffère selon les parties.

[42]           Selon le défendeur, nous sommes en présence d’une absence d’intention générale. Selon le poursuivant, il s’agit d’une défense d’automatisme avec troubles mentaux.

[43]           Le Tribunal tient à préciser que ce ne sont pas tous les chocs post‑traumatiques qui peuvent constituer une défense d’automatisme. Il y a des causes de jurisprudence où cette défense n’a pas été retenue[13]. Chaque cas doit être évalué à la pièce.

Quelle est la nature de la défense qui découle d’un choc post-traumatique?

1)          S’agit-il d’une défense d’absence d’intention générale?

[44]           Le défendeur soumet qu’il n’avait pas l’intention générale de refuser de fournir un échantillon d’haleine. Le choc post-traumatique l’empêche d’exercer son jugement de manière volontaire. La crainte qu’il a de monter dans le véhicule avec les policiers l’empêchait de fonctionner normalement.

[45]           Son refus de suivre les policiers afin de fournir un échantillon d’haleine n’est pas « spécifique, définitif et délibéré ».

[46]           Le Tribunal conclut qu’une absence d’intention générale ne peut pas exister en soi. Celle-ci doit être expliquée ou soutenue par une cause, un motif ou une justification telle que l’erreur de droit, l’erreur de fait.

[47]           Dans le dossier à l’étude, l’absence du caractère volontaire du refus du défendeur est expliquée par un choc post-traumatique qui occasionne une crainte chez lui pour sa sécurité et sa vie s’il monte dans le véhicule des policiers.

[48]           Il ne s’agit pas d’un geste volontaire, mais d’un refus dicté par la crainte du défendeur à l’endroit des policiers pour sa sécurité.

[49]           Cette défense vient nier le caractère volontaire de l’actus reus.

[50]        Le défendeur croit sincèrement et véritablement que sa vie est en danger s’il monte dans le véhicule des policiers. Il sait que s’il refuse d’obtempérer à l’ordre des policiers, il sera accusé de refus. Il est incapable de se soumettre à cet ordre. Son refus d’obtempérer n’est pas volontaire.

[51]        Le Tribunal conclut que l’absence d’intention générale alléguée par le défendeur repose sur un diagnostic de stress post-traumatique. En l’espèce, il s’agit d’une défense d’automatisme qui vise l’actus reus et non pas la mens rea[14]. L’argument d’absence d’intention générale n’est pas retenu.

2)           Si la réponse est négative, est-ce une défense d’automatisme avec ou sans troubles mentaux?

[52]           Le Tribunal ayant conclu que l’accusé a agi dans un état d’automatisme, il importe désormais de déterminer s’il s’agit d’automatisme avec ou sans troubles mentaux.

[53]           Le comportement du défendeur entre dans la définition de « troubles mentaux » prévue à l’article 2 du Code criminel et ainsi défini par la jurisprudence : R. c Stone[15] :

[196] Dans Rabey (C.A. Ont.), le juge Martin a décrit ainsi la tâche qui incombe au juge du procès de trancher la question de la maladie mentale (p. 13) :

[TRADUCTION] Je considère que le véritable principe est le suivant: il appartient au juge de déterminer quels états mentaux sont englobés par l’expression «maladie mentale», et s’il existe une preuve que l’accusé se trouvait dans un état mental anormal visé par cette expression. 

[197] Prise isolément, la question de savoir quels états mentaux sont englobés par l’expression «maladie mentale» est une question de droit.  Toutefois, le juge du procès doit également déterminer si l’état dans lequel l’accusé prétend s’être trouvé satisfait au critère juridique de la maladie mentale.  Il lui faut alors évaluer la preuve présentée dans l’affaire dont il est saisi, au lieu d’un principe général de droit, de sorte qu’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait.  Voir Southam, précité, aux par. 35 et 36.  La question de savoir si l’accusé souffrait véritablement d’une maladie mentale est une question de fait qui doit être tranchée par le juge des faits.  Voir Rabey (C.S.C.), précité, à la p. 519, le juge Ritchie; Parks, précité, à la p. 897, le juge La Forest; Bratty, précité, à la p. 412, lord Denning.

(Notre soulignement)

[54]           La distinction entre ces deux formes d’automatisme comporte des conséquences importantes.

[55]            Si le comportement du défendeur découle d’un automatisme sans troubles mentaux, il est acquitté purement et simplement. S’il découle d’une défense d’automatisme avec troubles mentaux, il y a lieu de prononcer un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux conformément à l’article 672.34 du Code criminel. Selon les dispositions de l’article 672.54 du Code criminel, le défendeur visé par un tel verdict peut-être libéré inconditionnellement ou conditionnellement ou être détenu dans un hôpital.

[56]           L’arrêt Stone[16] mentionné précédemment élabore le cheminement à suivre pour déterminer la nature de l’automatisme. L’analyse globale préconise de considérer « le facteur de la cause interne », « le facteur du risque subsistant » et « les préoccupations d’ordre public ».

[57]           Au paragraphe 200 de l’arrêt Stone[17], la Cour suprême se fonde sur l’arrêt Rabey pour déterminer les critères d’analyse pour « le facteur de la cause interne » :

[200] Dans Rabey, notre Cour a adopté la « théorie de la cause interne » du juge Martin comme critère principal pour déterminer si l’automatisme provoqué par un choc psychologique découle d’une maladie mentale. Voici un extrait de l’explication de cette théorie par le juge Martin, que notre Cour à la majorité a cité, en l’approuvant, à la p. 519 :

[TRADUCTION] De façon générale, on fait une distinction entre le déséquilibre mental découlant d’une cause essentiellement interne, dont l’origine tient à la constitution psychologique ou émotionnelle de l’accusé ou à une maladie organique, et le déséquilibre mental momentané provoqué par un facteur spécifiquement externe, par exemple, une commotion cérébrale. Tout déséquilibre ou trouble mental résultant d’un état ou d’une faiblesse subjective propre à l’accusé (qu’elle soit ou non tout à fait comprise) peut constituer une «maladie mentale» s’il empêche l’accusé de savoir ce qu’il fait. Par ailleurs, des troubles momentanés de la conscience dus à des facteurs externes spécifiques ne relèvent pas du concept de la maladie mentale.

[201] Il ressort des motifs du juge Martin que la théorie de la cause interne suppose, a priori, que l’état dont l’accusé prétend avoir souffert est une maladie mentale. Il dit ce qui suit aux pp. 21 et 22 de son jugement :

[TRADUCTION] Le déséquilibre mental dont l’accusé a souffert, même s’il a été temporaire, constitue une « maladie mentale », sauf s’il peut être considéré comme un état momentané résultant d’une cause externe au sens de la jurisprudence et de la doctrine.

À mon avis, le stress et les contrariétés courantes de la vie qui sont le lot commun de l’humanité ne constituent pas une cause externe qui peut servir d’explication à un déséquilibre mental et le sortir de la catégorie « maladie mentale ».

(Notre soulignement)

[58]           Constatant que cette méthode d’analyse pouvait ne pas répondre à toutes les questions soulevées dans la réalité, la Cour suprême a développé « le facteur du risque subsistant ».

[59]           Dans l’arrêt Stone la Cour mentionne :

[212] Comme nous l’avons vu, les juges majoritaires et les juges dissidents de notre Cour dans Rabey, de même que le juge La Forest dans Parks, ont reconnu que des considérations d’ordre public sont pertinentes pour déterminer si l’automatisme allégué résulte d’une maladie mentale.  Un facteur d’ordre public qui est au cœur de l’examen de la question de la maladie mentale est la nécessité d’assurer la sécurité du public.  Ainsi, comme je l’ai déjà mentionné, le juge La Forest a reconnu, dans Parks, que la deuxième façon dominante d’aborder la question de la maladie mentale est la théorie du risque subsistant.  Suivant cette théorie, tout état comportant vraisemblablement la récurrence d’un danger pour le public devrait être considéré comme une maladie mentale.  En d’autres termes, la probabilité de récurrence de la violence est un facteur qui doit être considéré dans l’examen de la question de la maladie mentale.  Cette théorie doit être nuancée de manière à reconnaître que, même si un risque subsistant est un indice de maladie mentale, la conclusion à l’absence de risque subsistant n’empêche pas de conclure à l’existence d’une maladie mentale.  Voir Rabey, précité, à la p. 15 (C.A. Ont.), le juge Martin, et aux pp. 533 et 551 (C.S.C.), le juge Dickson; Parks, précité, à la p. 907, le juge La Forest.

[213] Selon moi, le juge du procès devrait continuer de considérer la théorie du risque subsistant comme un facteur à prendre en considération pour décider si un état donné devrait être qualifié de maladie mentale.  Je souligne toutefois que le facteur du risque subsistant ne doit pas être considéré comme une façon subsidiaire ou mutuellement exclusive d’aborder le facteur de la cause interne.  Bien qu’elles soient différentes, ces deux méthodes sont des facteurs pertinents dans l’examen de la question de la maladie mentale.  C’est pourquoi le juge du procès, dans une affaire donnée, peut estimer utiles les deux méthodes, ou l’une ou l’autre de celles-ci.  Pour refléter cette façon unifiée et globale d’aborder la question de la maladie mentale, il est donc plus approprié de parler du facteur de la cause interne et du facteur du risque subsistant plutôt que de la théorie de la cause interne et de la théorie du risque subsistant.

[214] En examinant le facteur du risque subsistant, le juge du procès peut tenir compte de tout élément de preuve dont il est saisi pour évaluer la probabilité de récurrence de la violence.  Deux questions seront cependant particulièrement pertinentes quant au facteur du risque subsistant: les antécédents psychiatriques de l’accusé et la probabilité que l’élément qui aurait déclenché l’épisode d’automatisme se présente de nouveau[18]

(Nos soulignements)

[60]           Dans le cas à l’étude, le Tribunal en vient à la conclusion, en procédant selon les deux méthodes d’analyse, que la preuve révèle une défense d’automatisme avec troubles mentaux.

[61]           Selon « le facteur de la cause interne », une comparaison de la réaction du défendeur avec celle d’une personne normale dans la même situation (le fait qu’on lui demande de monter à bord du véhicule de police) amène à conclure à une cause interne chez le défendeur.

[62]           Une personne normale dans les mêmes circonstances que celles du défendeur ne craint pas pour sa vie ou sa sécurité lorsqu’un policier lui demande de monter à bord du véhicule de police pour se rendre au poste afin de subir un alcootest. Cet élément déclencheur de l’automatisme est au centre de la comparaison avec une personne normale. La réaction anormale du défendeur est très certainement due à une cause interne et non pas externe, tel qu’un coup à la tête occasionnant une commotion cérébrale.

[63]           Une analyse de la situation du dossier à l’étude selon « le facteur du risque subsistant » révèle que l’accusé possède des antécédents psychiatriques. Il a été réformé de l’armée en raison de ses troubles psychiques.

[64]           Il y a une probabilité marquée, advenant une situation identique où l’accusé conduit avec les capacités affaiblies et qu’il est arrêté par les policiers, qu’il ne veuille pas monter à bord du véhicule afin de subir un alcootest.

[65]           Ainsi, il devient impossible d’établir que le défendeur a conduit avec plus de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang et d’écarter de la route un danger potentiel pour les autres usagers. La conduite avec les capacités affaiblies constitue l’infraction criminelle qui cause le plus de décès au Canada, et ce, sans compter les nombreux blessés.

[66]           Contrairement à ce qu’affirme le défendeur, ce n’est pas l’infraction d’avoir refusé de se soumettre à un alcootest qu’il faut examiner pour déterminer le risque potentiel de dangerosité. C’est l’infraction substantive de conduite avec plus de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang qui doit être considéré.

[67]           Le policier a remarqué certains symptômes de consommation d’alcool et il lui a administré l’ADA. Le défendeur a échoué. Il y a des motifs de croire qu’il avait une quantité d’alcool supérieure à la limite permise. En raison de son choc post-traumatique, la procédure d’enquête n’a pas été complétée.

[68]           Il est en preuve que l’accusé consomme de l’alcool afin de calmer ses appréhensions créées par le choc post-traumatique. Il est donc susceptible de s’enivrer et de conduire un véhicule avec un taux d’alcoolémie supérieure à la limite permise constituant ainsi un danger pour la société.

[69]           Les troubles psychologiques du défendeur découlent d’un facteur interne. Il y a un risque récurrent étant donné les antécédents psychiatriques du défendeur. La probabilité que l’élément déclencheur de l’épisode d’automatisme se présente de nouveau doit être sérieusement envisagée. Il est en preuve selon le rapport du docteur Gagné et par le témoignage du défendeur qu’il consomme du vin pour calmer son anxiété. En état de capacités affaiblies, il peut conduire son véhicule automobile et le même scénario pourrait se répéter. Il y va de l’intérêt public et de sa sécurité que tout état comportant vraisemblablement la récurrence d’un danger pour le public soit considéré comme une maladie mentale.

[70]        Le Tribunal conclut donc à l’automatisme avec troubles mentaux. À défaut d’avoir démontré l’actus reus, il n’est plus nécessaire d’analyser la défense d’excuse raisonnable soumise par l’accusé. En effet, tel qu’expliqué dans R. c. Lewko[19], ce n’est qu’une fois tous les éléments constitutifs de l’infraction établis que l’accusé peut soulever une défense d’excuse raisonnable.

[71]        Ayant conclu être en présence d’une défense d’automatisme avec troubles mentaux, il y a lieu d’évaluer la défense de non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux conformément à l’article 16 du Code criminel.

[72]        La poursuite suggère que le défendeur peut être déclaré non criminellement responsable pour troubles mentaux. Est-elle habilitée à soulever ce moyen de défense à l’encontre de la volonté du défendeur? Tel que mentionné précédemment, la défense n’entend pas soulever une défense en vertu de l’article 16 du Code criminel.

3)          En présence d’une défense d’automatisme avec troubles mentaux, la poursuite peut-elle requérir l’utilisation de l’article 16 du Code criminel malgré l’objection du défendeur?

[73]         La partie qui soulève une défense d’automatisme assume un fardeau de présentation selon le critère de la vraisemblance afin qu’elle soit soumise au juge des faits.

[74]           Une fois ce fardeau rencontré par le requérant, il doit établir le fond de sa défense d’automatisme selon le critère de la preuve prépondérante[20].

[75]           Dans la situation d’une défense d’automatisme avec troubles mentaux, une application de l’article 16 du Code criminel en conjonction avec les articles 672.34 et 672.54 du Code criminel s’impose[21].

[76]           Dans le cas sous étude, la poursuite convient d’une défense d’automatisme avec troubles mentaux.

[77]           L’article 672.12 (3) du Code criminel prévoit :

Le tribunal ne peut pas rendre une ordonnance d’évaluation en vue de déterminer si l’accusé était atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle au moment de la perpétration de l’infraction reprochée que si l’accusé a mis en doute sa capacité mentale à former une intention criminelle nécessaire ou si le poursuivant lui démontre qu’en raison de troubles mentaux, il existe des motifs raisonnables de mettre en doute la responsabilité criminelle de l’accusé à l’égard de l’infraction reprochée.

[78]           Par cet article du Code criminel le législateur astreint le pouvoir du Tribunal d’émettre une ordonnance d’évaluation à la condition que l’accusé ait mis en doute sa capacité mentale à former une intention criminelle ou si le poursuivant en raison de troubles mentaux est en mesure de démontrer des motifs raisonnables de mettre en doute la responsabilité criminelle de l’accusé.

[79]           On comprend aisément qu’il appartient à la défense de soulever ou non ce moyen de défense. Dans certains cas, il peut s’avérer que le remède soit pire que la maladie. Imaginons une personne accusée d’un vol à l’étalage d’un objet de 5 $. Si le Tribunal peut rendre une ordonnance d’évaluation de l’état mental de l’accusé au moment de la commission de l’infraction à la demande de la poursuite et malgré l’objection de la défense, on constate que cela peut aboutir à un déni de justice.

[80]           Dans l’arrêt Swain[22], la Cour suprême énonce le principe du droit de l’accusé de contrôler sa défense. Le principe de Common Law autorisant la poursuite à soulever cette défense de troubles mentaux a été déclaré inconstitutionnel. Elle avait comme résultat d’empêcher l’accusé de présenter des arguments valables en défense pour tout autre motif puisque sa crédibilité était minée par les allégations de la poursuite.

[81]           La Cour énonce dans l’arrêt Swain[23]:

J’estime donc que la règle de common law qui permet au ministère public de présenter une preuve d’aliénation mentale contre le gré de l’accusé constitue une entrave à la liberté, incompatible avec les principes de justice fondamentale.  En conséquence, la règle de common law restreint les droits reconnus à l’accusé par l’art. 7 de la Charte.[24]

[82]           Cependant, dans l’analyse de sa décision, la Cour suprême énonce à la page 34 du même arrêt :

Ainsi, bien que le droit d’un accusé de contrôler sa défense soit un principe de justice fondamentale, ce droit n’est pas “absolu”. Si un accusé choisit de mener sa défense de telle manière que sa capacité mentale de former une intention criminelle est d’une manière ou d’une autre mise en doute, le ministère public aura alors le droit de “compléter le tableau” en présentant sa propre preuve d’aliénation mentale et le juge du procès sera fondé à donner au jury des directives relativement à l’art. 16.[25]

[83]           Dans le dossier à l’étude, le défendeur présente une défense voulant qu’il n’ait pas eu l’intention générale de refuser de se soumettre à l’alcootest en raison d’un choc post-traumatique qui a créé chez lui un état de panique au contact des policiers le privant ainsi du caractère volontaire de ses agissements.

[84]           En conséquence, le Tribunal peut rendre une décision en ce qui concerne la défense d’automatisme avec troubles mentaux qui est subsumée à l’article 16 du Code criminel[26].