R. c. Wong, 2018 CSC 25

La validité du plaidoyer de culpabilité

[2]                              Pour un accusé, plaider coupable est manifestement une décision importante. En plaidant coupable, un accusé renonce à son droit constitutionnel à un procès, libérant ainsi le ministère public du fardeau de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Cette démarche est si importante qu’elle est l’une des rares décisions du processus pénal qui reviennent personnellement à l’accusé. En effet, les règles de déontologie obligent l’avocat de la défense à s’assurer que le choix ultime est bien celui de l’accusé.

[6]                              À notre avis, l’accusé devrait être tenu de démontrer l’existence d’un préjudice subjectif. Ce qui signifie que les accusés qui souhaitent retirer leur plaidoyer de culpabilité au motif qu’ils n’étaient pas au courant de conséquences juridiquement pertinentes au moment d’enregistrer leur plaidoyer doivent déposer un affidavit attestant l’existence d’une possibilité raisonnable qu’ils auraient soit (1) opté pour un procès et plaidé non coupable, soit (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Pour évaluer la véracité de cette prétention, les cours peuvent examiner des éléments de preuve concomitants et objectifs. L’analyse est donc subjective vis‑à‑vis de l’accusé, mais permet d’évaluer objectivement la crédibilité de la prétention subjective avancée par l’accusé.

L’accusé qui souhaite retirer son plaidoyer de culpabilité doit prouver l’existence d’un préjudice au moyen d’un affidavit établissant la possibilité raisonnable qu’il aurait (1) enregistré un plaidoyer différent ou (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions.

[19]                          À notre avis, l’accusé qui souhaite retirer son plaidoyer de culpabilité doit prouver l’existence d’un préjudice au moyen d’un affidavit établissant la possibilité raisonnable qu’il aurait (1) enregistré un plaidoyer différent ou (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Cette façon de faire atteint ce que nous considérons être le juste équilibre entre le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé.

[20]                          S’agissant du premier type de préjudice — lorsque l’accusé aurait opté pour un procès et plaidé non coupable — il se présentera évidemment des situations où l’accusé n’aura que peu ou pas de chances d’avoir gain de cause à son procès, et que choisir de subir son procès n’est pour lui qu’une tentative de dernier recours. Mais de faibles chances d’avoir gain de cause au procès ne signifient pas forcément que l’accusé n’est pas sincère lorsqu’il affirme qu’il aurait enregistré un plaidoyer différent. Pour certains accusés, comme celui dans l’affaire Lee, la conséquence certaine, quoiqu’auparavant inconnue, d’une déclaration de culpabilité rendait intéressantes même de faibles chances d’avoir gain de cause à l’issue d’un procès. Dans un tel cas, et si la cour reconnaît la véracité de ses propos, l’accusé aura su prouver l’existence d’un préjudice et devrait être autorisé à retirer son plaidoyer.

[21]                          Ce qui nous laisse le second type de préjudice — lorsque l’accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Le fait qu’un accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions, suffira à établir l’existence d’un préjudice si la cour arrive à la conclusion que l’accusé aurait insisté pour que son plaidoyer de culpabilité soit assorti de ces conditions et si celles‑ci auraient dissipé la totalité ou une partie des effets négatifs de la conséquence juridiquement pertinente. Nous n’avons pas la prétention d’énumérer toutes les conditions susceptibles de donner lieu à un préjudice si elles sont soulevées par l’accusé. Celles‑ci comprennent par contre à tout le moins le consentement à plaider coupable à une accusation réduite relativement à une infraction moindre et incluse, le retrait d’autres accusations, l’engagement du ministère public à ne pas donner suite à d’autres accusations ou la présentation d’une recommandation conjointe relative à la peine.

[22]                          Nous tenons à souligner que la simple possibilité qu’un plaidoyer soit assorti de conditions différentes n’est pas automatiquement suffisante. Un plaidoyer ne peut être retiré que si un accusé affirme de façon crédible qu’à l’étape de la négociation menant au plaidoyer, il aurait insisté pour que celui‑ci soit assorti d’autres conditions sans lesquelles il n’aurait pas plaidé coupable. Bref, l’accusé doit formuler une façon d’agir clairement différente de celle qu’il a suivie, afin de justifier l’annulation d’un plaidoyer, et il doit convaincre la cour de l’existence d’une possibilité raisonnable qu’il aurait agi de cette façon.

[23]                          Nous notons incidemment que l’accusé n’est pas tenu de prouver un moyen de défense valable à l’égard de l’accusation dont il fait l’objet en vue de retirer un plaidoyer pour des motifs d’ordre procédural. [traduction] « [L]e préjudice réside dans le fait qu’en plaidant coupable, l’accusé a renoncé à son droit à un procès » (R. c. Rulli, 2011 ONCA 18 (CanLII), par. 2 (CanLII)). Exiger de l’accusé qu’il fasse état de la voie menant à son acquittement va à l’encontre de la présomption d’innocence et de la nature subjective de la décision de plaider coupable. L’accusé a parfaitement le droit de garder le silence, de ne présenter aucune défense et d’obliger le ministère public à s’acquitter de son fardeau de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Il serait insensé de permettre à un accusé de subir un procès en première instance sans avoir à présenter une quelconque défense tout en insistant sur une telle défense dans le cas du retrait d’un plaidoyer non éclairé qui renverrait l’affaire à procès. Même si la décision de subir un procès pourrait s’avérer malavisée ou même téméraire, nous ne cherchons pas à protéger l’accusé contre lui‑même. Nous cherchons plutôt à protéger le droit de l’accusé d’enregistrer un plaidoyer éclairé.

[24]                          Pour cette même raison, nous sommes d’accord avec notre collègue que le cadre d’analyse de l’assistance inefficace de l’avocat n’est pas pertinent en l’espèce (motifs du juge Wagner, par. 60). Ce cadre d’analyse porte essentiellement sur la source de l’information erronée (ou incomplète) plutôt que sur l’information erronée elle‑même. La source d’une information erronée n’entre pas en ligne de compte lorsque vient le temps d’examiner si cette information a donné lieu à un préjudice. Comme la juge Saunders l’a expliqué en Cour d’appel, l’erreur judiciaire survenue en l’espèce résulte de l’invalidité du plaidoyer de M. Wong (2016 BCCA 416 (CanLII), 342 C.C.C. (3d) 435, par. 24).

Il faut se demander si l’accusé aurait agi différemment s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente.

[25]                          Notre cadre d’analyse repose sur l’avis que l’examen judiciaire doit porter sur la façon dont l’accusé, et personne d’autre, aurait procédé. Il faut se demander si l’accusé aurait agi différemment s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente.

[26]                          Même si son analyse porte principalement sur le choix subjectif de l’accusé, le tribunal n’a pas à accepter automatiquement la prétention de celui‑ci. Comme c’est le cas pour toutes les conclusions sur la crédibilité, la prétention de l’accusé quant à savoir quel aurait été son choix subjectif et pleinement éclairé est appréciée en fonction de circonstances objectives. Le tribunal doit donc examiner attentivement la prétention de l’accusé et se pencher sur la preuve circonstancielle et objective permettant de mettre à l’épreuve la véracité de cette prétention au regard d’une norme de possibilité raisonnable. Figurent au nombre de ces facteurs la solidité du dossier du ministère public, les concessions ou déclarations faites par le ministère public au sujet de son dossier (notamment s’il s’est montré disposé à présenter une recommandation conjointe ou à réduire l’accusation à celle d’une infraction moindre et incluse) et tout moyen de défense pertinent que l’accusé pourrait faire valoir. Le tribunal pourrait aussi évaluer la solidité du lien de causalité entre le plaidoyer de culpabilité et la conséquence indirecte, c’est‑à‑dire examiner si l’élément déclencheur de la conséquence indirecte est la déclaration de culpabilité comme telle et non la durée de la peine. Plus précisément, lorsque la conséquence indirecte dépend de la durée de la peine — sans oublier qu’un plaidoyer de culpabilité atténue généralement la peine imposée —, le tribunal pourrait avoir des raisons de douter de la véracité de la prétention avancée par l’accusé.

[27]                          Bien que notre collègue fasse état de facteurs similaires (par. 105), il en tiendrait compte pour décider si l’information en cause aurait influencé une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusé quand elle a décidé de plaider coupable. Encore une fois, nous abordons l’analyse autrement. Rappelons que cette analyse fonctionne adéquatement si elle est conduite du point de vue de l’accusé et de ce que ce dernier aurait fait — ou n’aurait pas fait — s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente.

[28]                          Bien entendu, l’examen judiciaire de la prétention d’un accusé ne se fonde pas uniquement sur les circonstances objectives concomitantes au plaidoyer initial, puisque ces circonstances pourraient ne pas témoigner des préférences propres à l’accusé. Par conséquent, le tribunal de révision doit en outre mettre à l’épreuve la véracité des affirmations de l’accusé comme telles. Un tribunal pourrait conclure à juste titre que les préférences exprimées par un accusé sont crédibles et qu’elles établissent une possibilité raisonnable de préjudice en s’appuyant exclusivement sur le contenu de l’affidavit de l’accusé et sur le fait que ce dernier a résisté à son contre‑interrogatoire.

[29]                          Cependant, tout au long de la mise à l’épreuve de la prétention de l’accusé, il faut s’attacher à ce que l’accusé en causeet seulement lui — aurait fait. Cette analyse subjective repose sur le caractère subjectif de la décision initiale d’enregistrer un plaidoyer. Puisque le plaidoyer de culpabilité initial exprime le jugement subjectif de l’accusé, il s’ensuit logiquement que le test permettant le retrait du plaidoyer porte lui aussi sur ce même jugement. Cette approche établit un juste équilibre entre l’intérêt qu’a la société dans le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé en annulant son plaidoyer uniquement s’il avait procédé différemment.

[30]                          Soulignons en passant qu’adopter un cadre d’analyse subjectif, qui exige de l’accusé qu’il signe un affidavit à l’appui, ne créera pas d’« obstacle procédural » à l’annulation d’un plaidoyer (motifs du juge Wagner, par. 93). Premièrement, la norme objective modifiée elle‑même adoptée par notre collègue obligera l’accusé à témoigner de sa « situation particulière » (par. 87) et du fait qu’il n’a pas été informé d’une conséquence juridiquement pertinente. Deuxièmement, toute préoccupation concernant l’accusé qui cherche à faire annuler son plaidoyer mais qui n’est pas représenté et qui n’est pas au courant de l’obligation d’affirmer qu’il aurait agi différemment s’il avait été dûment informé peut être prise en compte par le juge du procès, qui devrait faire ce qu’il faut pour que l’accusé soit représenté ou, à tout le moins, qu’il obtienne l’aide de l’avocat de garde (lorsque cela est possible). Et troisièmement, l’accusé n’a pas à conjecturer la manière dont les autres acteurs du système de justice auraient procédé (ibid.). Notre approche exige tout simplement de l’accusé qu’il explique en quoi il aurait agi différemment. Bien qu’une condition puisse dépendre de la réaction d’une autre partie — telle la volonté du ministère public d’accepter une proposition conjointe sur la peine — l’accusé n’a qu’à mentionner qu’il aurait insisté sur cette condition pour plaider coupable, à défaut de quoi il aurait décidé de subir son procès.

[31]                          Notre cadre d’analyse subjectif s’accorde avec la démarche prise par la Cour d’appel de l’Ontario dans les arrêts R. c. Henry, 2011 ONCA 289(CanLII), 277 C.C.C. (3d) 293, et R. c. Quick, 2016 ONCA 95 (CanLII), 129 O.R. (3d) 334. Dans Henry, le juge d’appel Watt a conclu à l’existence d’un préjudice dans les cas où [traduction] « la probabilité que [l’accusé] aurait couru le risque de subir un procès était réaliste » (par. 37 (nous soulignons)). Dans Quick, le juge d’appel Laskin a également porté son attention sur la façon dont l’accusé se serait comporté s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente (par. 35). Et, comme nous l’avons aussi indiqué, cela fait à peine un an que la Cour suprême des États‑Unis a retenu dans Lee l’analyse subjective pour évaluer l’existence d’un préjudice.

[32]                          En réponse, notre collègue invoque les directives données par la Cour dans l’arrêt R. c. Taillefer, 2003 CSC 70 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 307, comme raison d’être centrale d’une démarche objective modifiée. Plus particulièrement, il affirme que la démarche de la Cour dans Taillefer« ressembl[e] » à son cadre d’analyse (par. 89). Soit dit en tout respect, l’arrêt Taillefer n’établit pas et ne devrait pas être interprété comme établissant que le préjudice découlant d’un plaidoyer non éclairé — ce qui est différent de ne pas être informé est évalué à l’aune d’une norme objective.

Le cadre d’analyse pour l’annulation d’un plaidoyer de culpabilité non éclairé comporte deux volets distincts.

[33]                          Rappelons que le cadre d’analyse pour l’annulation d’un plaidoyer de culpabilité non éclairé comporte deux volets distincts : 1) l’accusé a été mal informé au sujet de renseignements pouvant avoir des conséquences suffisamment graves; 2) ce manque de renseignements donne lieu à un préjudice (motifs du juge Wagner, par. 44). Bien que cette distinction entre les deux volets se confonde parfois dans les motifs du juge LeBel dans Taillefer, à notre avis, l’interprétation la plus juste de ses motifs devrait conserver cette distinction.

[34]                          La question de savoir si un accusé n’est pas informé — c’est‑à‑dire si les renseignements dont il n’est pas au courant font partie de ceux que l’accusé doit connaître pour inscrire un plaidoyer éclairé — est évaluée objectivement. En l’espèce, cette étape vise à apprécier objectivement la gravité de la conséquence juridique inconnue. Dans Taillefer, cela comprend l’évaluation de « la preuve non divulguée. . . avec l’ensemble de la preuve déjà connue » (par. 90). La question de savoir si la preuve non divulguée est suffisamment grave pour que l’accusé soit mal informé est indéniablement une question objective. Et c’est à cette analyse objective que se reporte le juge LeBel lorsqu’il énonce l’élément objectif du cadre d’analyse dans Taillefer pour l’annulation d’un plaidoyer. Il affirme que ce cadre d’analyse tient compte du « nombre, [de] l’importance et [de] la pertinence des éléments de preuve non divulgués et [d]es possibilités nouvelles qu’aurait offertes leur utilisation éventuelle » (par. 111). Dans Taillefer, à la suite de l’application de cet examen objectif, le juge LeBel conclut que la non‑divulgation « a porté une atteinte grave au droit de l’appelant à une défense pleine et entière » (par. 112). Précisons toutefois que cette atteinte découlait de la teneur objective de la preuve non divulguée, et non de la perception subjective par l’appelant dans cette affaire de l’importance de cette preuve pour son plaidoyer.

[35]                          En revanche, le préjudice — c’est‑à‑dire la question de savoir si le fait que l’accusé n’était pas informé a eu une incidence sur le plaidoyer — est évalué subjectivement; il faut se demander si l’accusé aurait adopté une façon d’agir clairement différente quand il a inscrit son plaidoyer. Cette démarche est conforme en tous points à Taillefer, où le préjudice a été évalué de la même façon, c’est‑à‑dire que le juge s’est demandé si l’accusé aurait présenté le même plaidoyer. Plus particulièrement, l’analyse subjective respecte la directive donnée dans Taillefer, selon laquelle « l’analyse de la violation doit se faire par rapport à la décision de l’accusé de présenter le plaidoyer de culpabilité », les tribunaux doivent apprécier « quelle aurait été la portée de la preuve inconnue sur la décision du prévenu d’admettre sa culpabilité » et le critère applicable consiste à évaluer « l’existence d’une possibilité réaliste que le prévenu aurait couru le risque d’un procès s’il avait été en possession de ces renseignements » (par. 90; nous soulignons). De plus, nous constatons que le juge Laskin, en appliquant la [traduction] « démarche générale de l’arrêt Taillefer », a préféré un critère subjectif à un critère objectif (Quick, par. 35). De même, les précédents auxquels souscrit le juge LeBel dans Taillefer lorsqu’il décrit la bonne méthode d’évaluation du préjudice adoptent également une approche subjective (par. 88‑90).