R. c. Paterson, 2017 CSC 15

Ce qu’il faut entendre par « urgence de la situation » et « difficilement réalisable » dans le texte du paragraphe 11(7) de la Loi règlementant certaines drogues et autres substances

[26]                          Nul ne conteste devant nous que l’entrée sans mandat des policiers chez l’appelant constituait une perquisition. Il nous faut toutefois décider si elle était justifiée par une « urgence de la situation » qui rendait « difficilement réalisable » l’obtention d’un mandat au sens du par. 11(7)  de la LRCDAS .

[27]                          Le texte du par. 11(7)  de la LRCDAS  est le suivant :

(7) L’agent de la paix peut exercer sans mandat les pouvoirs visés aux paragraphes (1), (5) ou (6) lorsque l’urgence de la situation rend son obtention difficilement réalisable, sous réserve que les conditions de délivrance en soient réunies. (7) A peace officer may exercise any of the powers described in subsection (1), (5) or (6) without a warrant if the conditions for obtaining a warrant exist but by reason of exigent circumstances it would be impracticable to obtain one.

[28]                          Le par. 11(1)  de la LRCDAS  autorise l’agent de la paix à exécuter une perquisition avec mandat en un lieu en vue notamment d’y saisir une substance désignée. Dans la présente affaire, lepar. 11(7)  a donc permis aux agents Dykeman et Bell d’effectuer une perquisition sans mandat chez l’appelant pour y rechercher une substance désignée dans la mesure où les conditions de délivrance du mandat étaient réunies (ce qui n’est pas contesté en l’espèce) et où l’urgence de la situation rendait difficilement réalisable l’obtention d’un mandat.

[29]                          En ce qui concerne la signification de l’expression « urgence de la situation », l’appelant invoque le par. 529.3(1)  du Code criminel , qui autorise un agent de la paix à pénétrer sans mandat dans une maison d’habitation pour y arrêter une personne s’il a des motifs raisonnables de croire que la personne s’y trouve, si « les conditions de délivrance du mandat [. . . .] sont réunies et si l’urgence de la situation rend difficilement réalisable son obtention ». Suivant le par. 529.3(2) , il y a notamment « urgence » lorsque l’agent de la paix, selon le cas :

  1. a) a des motifs raisonnables de soupçonner qu’il est nécessaire de pénétrer dans la maison d’habitation pour éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort;
  2. b) a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel se trouvent dans la maison d’habitation et qu’il est nécessaire d’y pénétrer pour éviter leur perte ou leur destruction imminentes.

[30]                          L’appelant soutient essentiellement qu’il faut recourir au par. 529.3(2)  du Code criminel pour définir l’expression « urgence de la situation » employée au par. 11(7)  de la LRCDAS . Les policiers seraient dès lors tenus de démontrer qu’il était nécessaire de pénétrer dans les lieux soit pour éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort, soit pour éviter la perte ou la destruction d’éléments de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel. Or, les faits dont les agents Dykeman et Bell avaient connaissance avant leur entrée chez l’appelant ne leur permettaient pas de satisfaire à l’une ou l’autre de ces conditions.

[31]                          Je rejette la thèse de l’appelant. L’art. 11  de la LRCDAS  ne comporte pas le libellé exprès du par. 529.3(2)  du Code criminel  qui rend la disposition applicable, lorsqu’il s’agit de préserver un élément de preuve, seulement en lien avec un acte criminel. Le Parlement, qui s’acquitte de sa fonction législative avec régularité et compétence dans l’exercice de son pouvoir en matière de droit criminel, aurait pu facilement assortir la perquisition sans mandat prévue au par. 11(7) des mêmes conditions que celles énoncées au par. 529.3(2) . La décision de s’en abstenir n’a rien d’étonnant lorsque l’on compare le par. 529.3(2)  aux autres dispositions du Code criminel  qui autorisent l’entrée sans mandat. Il s’agit là d’une considération importante, car interpréter une disposition législative revient à rechercher l’intention du législateur par l’examen des termes employés, considérés dans leur contexte global, en suivant le sens grammatical et ordinaire qui s’harmonise avec l’économie de la loi et son objet (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Par exemple, la disposition générale sur l’entrée sans mandat en raison de l’urgence de la situation (l’art. 487.11 ) et celle qui autorise l’entrée sans mandat dans un lieu pour y effectuer une perquisition et saisir des armes à feu ou d’autres armes lorsqu’il y a urgence de la situation (par. 117.02(1) ) ne définissent pas l’expression « urgence de la situation ». Au vu de ces dispositions, aucune raison valable ne permet de conclure que le législateur a voulu que l’on recoure au par. 529.3(2) du Code criminel  pour définir l’« urgence de la situation » visée au par. 11(7)  de la LRCDAS . Je refuse donc, malgré l’invitation de l’appelant en ce sens, à « faire, “en interprétant” la loi, ce que le législateur a choisi de ne pas faire en l’adoptant » (Société Radio‑Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, au par. 53).

[32]                          Cela dit, l’« urgence de la situation » a été reconnue dans des cas qui s’apparentaient beaucoup à ceux mentionnés dans la définition du par. 529.3(2) . Les décisions de la Cour relatives à l’application de l’art. 10 de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, c. N‑1 (abrogée et remplacée par la LRCDAS ), lequel disposait qu’une perquisition pouvait être effectuée sans mandat, sauf dans une maison d’habitation, lorsque l’agent de la paix croyait, pour des motifs raisonnables, à la perpétration d’une infraction en matière de stupéfiants, est éclairante. Dans l’arrêt R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S 223 [« Grant 1993 »], la Cour statue que cette disposition respecte l’art. 8  de la Charte  lorsqu’elle fait l’objet d’une interprétation atténuée de façon à permettre la perquisition sans mandat seulement en situation d’urgence. La Cour opine qu’il y a situation d’urgence lorsqu’il existe « un risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardée » (Grant 1993, p. 243; R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13, par. 153, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente; R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297, par. 51, le juge La Forest, dissident). De même, elle estime par ailleurs qu’il y a « situation d’urgence quand une action immédiate est requise pour assurer la sécurité des policiers » (Feeney, par. 52; voir également, relativement aux fouilles et aux perquisitions visant à assurer la sécurité des policiers, R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37, par. 32, où la Cour affirme que ces fouilles et ces perquisitions constituent une réponse « à une situation dangereuse créée par une personne, situation à laquelle les policiers doivent réagir “sous l’impulsion du moment” »). Dans l’arrêt Feeney, la Cour ajoute au par. 47 qu’il peut y avoir situation d’urgence lorsqu’un policier prend un suspect « en chasse » (voir également R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802, p. 820 et 821).

[33]                          Il appert de ce qui précède que l’« urgence de la situation » dont il est fait mention aupar. 11(7)  ne renvoie pas seulement à la commodité, à l’opportunité ou à l’économie de temps, mais bien à l’existence de circonstances pressantes propres à une situation qui requiert l’intervention immédiate des policiers soit pour préserver la preuve, soit pour assurer la sécurité des policiers ou celle du public. L’expression employée dans la version anglaise du par. 11(7) exigent circumstances — confirme cette interprétation.

[34]                          Par ailleurs, l’urgence de la situation ne justifie pas à elle seule la perquisition sans mandat d’une résidence sur le fondement du par. 11(7) . Elle doit en effet rendre l’obtention d’un mandat « difficilement réalisable ». À cet égard, je ne puis malheureusement pas convenir avec la Cour d’appel que, pour l’application du par. 11(7) , lorsque l’obtention d’un mandat est difficilement réalisable, il y a nécessairement urgence de la situation. Le libellé du par. 11(7)  (« lorsque l’urgence de la situation rend [l’] obtention [d’un mandat] difficilement réalisable ») montre clairement que le caractère difficilement réalisable de l’obtention d’un mandat ne permet pas de conclure à l’urgence de la situation. L’urgence de la situation doit plutôt être établie pour que l’obtention d’un mandat puisse être jugée difficilement réalisable. Autrement dit, le caractère « difficilement réalisable », quel que soit le sens de l’expression, ne saurait justifier une perquisition sans mandat en application du par. 11(7)  au motif qu’il en découle une urgence de la situation. Il faut plutôt établir que l’urgence de la situation a fait en sorte que l’obtention d’un mandat était difficilement réalisable.

[35]                          Selon l’appelant, la condition que l’« urgence de la situation » rende l’obtention d’un mandat « difficilement réalisable » commande en effet que [traduction] « les policiers n’aient alors d’autre choixque d’entrer dans une maison d’habitation ». En d’autres termes, il soutient que le caractère « difficilement réalisable » doit s’entendre de l’impossibilité. En revanche, le ministère public fait valoir que le critère applicable est beaucoup moins strict, de sorte que l’obtention d’un mandat ne doit être ni [traduction] « réaliste » (quoi que cela puisse vouloir dire) ni « pratique ».

[36]                          Les prétentions de l’appelant ne me convainquent pas que le qualificatif « difficilement réalisable » retenu par le législateur suppose l’application de la condition stricte de l’impossibilité. Celles du ministère public ne me convainquent pas non plus qu’il sera « difficilement réalisable » d’obtenir un mandat de perquisition du seul fait que ce sera « peu pratique ». Cependant, considéré dans le contexte du par. 11(7) , dont le critère de l’urgence de la situation, le qualificatif « difficilement réalisable » suppose, tout bien considéré, l’application d’un critère plus strict voulant que l’obtention d’un mandat soit impossible dans les faits ou inenvisageable. Dans la version anglaise de la disposition, le terme correspondant à « difficilement réalisable » — « impracticable » — se concilie également avec l’application d’une condition moins stricte que l’impossibilité mais plus stricte que celle du caractère « peu pratique »[3]. Dans cette optique, le qualificatif employé au par. 11(7)  suppose que la nature urgente de la situation est telle que prendre le temps d’obtenir un mandat compromettrait sérieusement l’objectif de l’intervention policière, qu’il s’agisse soit de préserver la preuve, soit d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public.

[37]                          Dès lors, pour que l’entrée sans mandat réponde aux exigences du par. 11(7) , le ministère public doit démontrer qu’elle s’imposait en raison du caractère pressant de la situation, que les policiers se devaient d’intervenir sans délai soit pour préserver la preuve, soit pour assurer leur sécurité ou celle du public. De plus, ce caractère pressant doit avoir été tel que prendre le temps d’obtenir un mandat aurait sérieusement compromis ces impératifs.