Courchesne c. R., 2024 QCCA 960

La vulnérabilité de la victime constitue un facteur aggravant.

[43] Cela dit, même si le juge consacre plusieurs paragraphes à ce prétendu rapport de confiance, l’erreur ne paraît pas avoir eu d’impact déterminant ou même simplement significatif sur la peine que le juge a imposée. La lecture du jugement dans son ensemble laisse voir que ce sont plutôt l’extrême vulnérabilité de la victime, une jeune fille de 13 ans alors en état d’intoxication avancée et incapable de se défendre (même si elle a manifesté son désaccord en tentant vainement de repousser l’appelant), et le caractère très intrusif des gestes posés à son endroit qui ont pesé lourd dans la balance. Or, on ne peut reprocher au juge d’avoir accordé un poids important à ces éléments.

[44] Parlant de vulnérabilité, l’appelant lui-même a constaté l’importance que le juge a accordée à celle de la victime et il lui en fait reproche, d’ailleurs. Cette importance était pourtant entièrement justifiée dans les circonstances et le juge n’a pas commis d’erreur à cet égard. Comme le rappelle en effet la Cour dans l’arrêt Lemieux[26], sous la plume du juge Doyon :

[63] C’est le cas ici et il va de soi que la vulnérabilité de la victime constitue un facteur aggravant. Les mêmes auteurs soulignent d’ailleurs, avec raison, à la page 210, qu’est « particulièrement à blâmer » l’individu qui s’en prend à celui qui est faible, car la victime n’est pas en mesure de se défendre adéquatement. La gravité subjective de l’agression s’accroît en conséquence. Le statut précaire et l’impuissance de la victime augmentent la gravité du crime.

L’absence de facto de consentement peut constituer un facteur aggravant.

[45] Ajoutons ici le fait que la victime a été en mesure d’exprimer son refus des attouchements perpétrés sur sa personne malgré son état d’intoxication : ce refus accroît la gravité subjective de l’infraction. Certes, le consentement de la victime n’est pas un élément constitutif de l’infraction défini par l’al. 151a) C.cr., mais l’absence de facto de consentement peut constituer un facteur aggravant. C’est ce que l’on doit conclure a contrario de l’arrêt Friesen[27].

Le degré d’atteinte physique constitue un facteur aggravant reconnu.

[46] Vu la nature et le contexte des gestes, le juge de première instance considère aussi l’atteinte à l’intégrité de la victime comme particulièrement sévère. Bien sûr, l’al. 151a) C.cr. couvre une vaste gamme d’actes répréhensibles, certains moins graves que ceux de l’espèce (encore qu’il ne faille pas en minorer l’importance, comme le souligne expressément la Cour suprême dans Friesen[28], tous ces actes étant porteurs d’une violence sexuelle) et d’autres qui le sont davantage. Le crime commis par l’appelant est néanmoins très sérieux et c’est précisément ce que constate le juge. Celui‑ci évalue correctement le degré d’atteinte à l’intégrité de la victime, ce qu’il pouvait considérer comme un facteur aggravant sans tomber dans l’erreur consistant à confondre un élément constitutif de l’infraction (l’existence de contacts sexuels étant intrinsèquement attentatoires à l’intégrité de la personne de moins de 16 ans) avec l’intensité de l’atteinte. Comme l’écrit le juge Doyon dans Lemieux c. R.[29], reprenant notamment les propos du juge en chef Wagner et du juge Rowe dans Friesen :

[66] Certes, le juge aurait commis une erreur de droit s’il avait inclus parmi les facteurs aggravants des éléments constitutifs de l’infraction : R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, paragr. 146, ou tout simplement sa gravité objective : Fruitier c. R., 2022 QCCA 1225, paragr. 79. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[67] Le jugement fait plutôt voir que le juge a considéré le niveau d’intensité de l’atteinte sexuelle et psychologique, et non seulement son existence comme le permet Friesen, précité, qui a reconnu, au paragr. 77, que « [l]e degré d’atteinte physique et l’intensité de la violence physique et psychologique varient selon les faits de chaque affaire » et, au paragr. 138, que « le degré d’atteinte physique constitue un facteur aggravant reconnu », lequel « traduit l’ampleur de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ainsi que la nature sexuelle de l’attouchement et son atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime ».

[Soulignements ajoutés]

[47] C’est ce qu’a fait ici le juge de première instance, qui pouvait considérer comme aggravante l’intensité de l’atteinte infligée à la victime.

Si le juge peut accorder un poids important à d’autres facteurs, il ne peut leur accorder une priorité équivalente ou plus grande qu’aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Cela reste vrai même lorsque le délinquant est jeune et sans antécédents judiciaires. Sans doute, en pareil cas, la modération demeure-t-elle de mise, et ce, « malgré l’importance des facteurs de dénonciation et de dissuasion générale dans l’imposition de peines pour des abus sexuels contre des enfants.

[49] On rappellera dans ce cadre que, aux fins de la détermination de la peine visant à sanctionner la commission d’une infraction sexuelle à l’endroit d’une personne de moins de 18 ans, ce qui est ici le cas, l’art. 718.01 C.cr. exige du tribunal qu’il accorde « une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement / primary consideration to the objectives of denunciation and deterrence of such conduct ». Cela ne signifie pas que les autres objectifs, au nombre desquels figure, bien sûr, la réhabilitation, n’ont plus d’importance ou peuvent être ignorés, comme le rappelle d’ailleurs la Cour suprême dans R. c. Bertrand Marchand[30](« […] Les termes souples de l’art. 718.01 limitent le pouvoir discrétionnaire des tribunaux en accordant la priorité à ces objectifs, mais l’importance primordiale de ceux‑ci n’exclut pas la prise en compte d’autres objectifs de détermination de la peine, y compris la réinsertion sociale (Rayo, par. 102‑108) »). Toutefois, comme le précise également la Cour suprême dans le même arrêt, si « le juge peut accorder un poids important à d’autres facteurs, [il] ne peut leur accorder une priorité équivalente ou plus grande qu’aux objectifs de dénonciation et de dissuasion […] »[31].

[50] Cela reste vrai même lorsque le délinquant est jeune et sans antécédents judiciaires. Sans doute, en pareil cas, la modération demeure-t-elle de mise, et ce, « malgré l’importance des facteurs de dénonciation et de dissuasion générale dans l’imposition de peines pour des abus sexuels contre des enfants »[32], facteurs auxquels on doit néanmoins « accorder la priorité », comme l’écrit la Cour suprême dans Friesen :

[104] L’article 718.01 vient donc qualifier la directive antérieure de la Cour voulant qu’il appartienne aux juges chargés de la détermination de la peine d’établir quel objectif ou quels objectifs doivent être privilégiés. Lorsque le législateur indique les objectifs de détermination de la peine à privilégier dans certains cas, le pouvoir discrétionnaire des juges chargés de déterminer la peine est de ce fait limité, de sorte qu’il ne leur est plus loisible d’accorder une priorité équivalente ou plus grande à d’autres objectifs (Rayo, par. 103 et 107‑108). Toutefois, bien que cet article exige que lon accorde la priorité à la dissuasion et à la dénonciation, les juges chargés de la détermination de la peine conservent néanmoins le pouvoir discrétionnaire d’accorder un poids important à d’autres facteurs (y compris la réinsertion et les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue) pour en arriver à une peine juste, en conformité avec le principe général de proportionnalité (voir R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, par. 37(CanLII)).

[Soulignement ajouté]

[51] Bref, il incombe au tribunal d’accorder une attention particulièreaux objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui affecte donc forcément l’exercice de pondération auquel il doit se livrer aux fins de déterminer la peine, y compris dans les cas où, en raison de la jeunesse d’un délinquant primaire, il doit également donner un poids certain, c’est-à-dire important, aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique[33].

[52] Il ne s’agit évidemment pas d’écarter les principes phares de l’individualisation et de la proportionnalité[34], mais d’appliquer ceux-ci en tenant compte des exigences ci‑dessus.

Évidemment, ce n’est pas dire que l’on ne peut jamais, dans le cas d’un crime visé par l’al. 151a) C.cr., envisager l’imposition d’un emprisonnement dans la collectivité lorsque le délinquant remplit les conditions prévues à l’art. 742.1 C.cr. Le tribunal doit d’ailleurs considérer cette mesure et peut la juger appropriée à l’ensemble des circonstances dont il est saisi. Cela est particulièrement vrai dans le cas d’un délinquant jeune, qui en est à sa première infraction, alors qu’il est nécessaire d’examiner des sanctions moins contraignantes que l’enfermement dans une institution carcérale. Mais l’attention qui doit être accordée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion affecte, là encore, l’analyse à laquelle le juge doit se livrer.

[57] Évidemment, ce n’est pas dire que l’on ne peut jamais, dans le cas d’un crime visé par l’al. 151a) C.cr., envisager l’imposition d’un emprisonnement dans la collectivité lorsque le délinquant remplit les conditions prévues à l’art. 742.1 C.cr. Le tribunal doit d’ailleurs considérer cette mesure et peut la juger appropriée à l’ensemble des circonstances dont il est saisi. Cela est particulièrement vrai dans le cas d’un délinquant jeune, qui en est à sa première infraction, alors qu’il est nécessaire d’examiner des sanctions moins contraignantes que l’enfermement dans une institution carcérale[39].

[58] Cependant, comme l’avait déjà reconnu l’arrêt Proulx[40] (et nous y reviendrons), l’attention qui doit être accordée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion affecte, là encore, l’analyse à laquelle le juge doit se livrer.

Le juge pouvait légitimement, dans la foulée des arrêts Proulx, Friesen et Lemieux, conclure que l’incarcération s’imposait ici, malgré les facteurs atténuants et le fait que l’appelant, un délinquant primaire jeune, ne présente pas de danger pour la collectivité.

[61] En l’espèce, tenant manifestement pour acquis que l’appelant remplit ces conditions préliminaires (ce qui ressort de son jugement), le juge de première instance s’est donc posé la question de savoir si l’emprisonnement dans la collectivité était approprié à la situation, c’est-à-dire « si le prononcé d’une condamnation à l’emprisonnement avec sursis est conforme à l’objectif essentiel et aux principes visés aux art. 718 à 718.2 »[44], suivant en cela la méthode préconisée par l’arrêt Proulx[45]. Citant le paragr. 106 de celui-ci, il conclut que l’attention particulière qui doit être portée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion justifie, dans le contexte, de ne pas retenir cette modalité :

[58] Dans Proulx [renvoi omis], l’arrêt phare en la matière, il est énoncé que l’emprisonnement avec sursis peut néanmoins avoir un effet dénonciateur appréciable, mais précise que toutefois « l’incarcération produit un effet dénonciateur plus grand que l’emprisonnement avec sursis pour une peine à durée équivalente ». Il ajoute au paragraphe 106 :

« Toutefois, il peut survenir des cas où la nécessité de dénoncer est si pressante que l’incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant ».

[59] Dans le présent cas, la situation est suffisamment sérieuse, grave, que ce type d’emprisonnement ne suffit pas.

[60] De l’avis du Tribunal, l’incarcération doit-être la sanction appropriée afin, notamment, d’avoir un effet plus dissuasif.

[61] Il est également nécessaire que la dénonciation soit exprimée lorsque les circonstances l’exigent, comme en l’espèce, en raison de l’abus de confiance, de l’atteinte à l’intégrité physique, psychologique et émotionnelle de la victime, de même que de son état de grande vulnérabilité au moment de l’agression.

[62] Ce faisant, le Tribunal n’exclut pas les autres facteurs pertinents, tels le comportement postérieur de l’infraction de l’accusé, son bon rapport présentenciel et sa réhabilitation bien entamée.

[63] En regard de ce qui précède, l’incarcération est la seule peine qui puisse convenir pour exprimer adéquatement la réprobation de la société à l’égard du comportement de l’accusé.

[62]  À mon avis, le juge ne commet pas d’erreur en statuant ainsi. Rappelons en effet les propos suivants du juge Lamer dans Proulx :

114 Lorsque des objectifs punitifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, par exemple en présence de circonstances aggravantes, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d’objectifs correctifs. À l’inverse, selon de la nature des conditions imposées dans l’ordonnance de sursis, la durée de celle‑ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l’emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d’importance.

115 Finalement, il convient de souligner que le sursis à l’emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. Il va de soi que la présence de circonstances aggravantes augmentera le besoin de dénonciation et de dissuasion. Toutefois, il serait erroné d’écarter d’emblée la possibilité de l’octroi du sursis à l’emprisonnement pour cette seule raison. Je le répète, il faut apprécier chaque cas individuellement.

[Soulignements ajoutés]

[63] La Cour reprend cet enseignement dans Lemieux c. R.[46], renvoyant notamment au paragr. 127 de l’arrêt Proulx :

[104] En somme, le sursis peut avoir un effet dissuasif, mais les circonstances d’une affaire peuvent requérir l’incarcération, comme en l’espèce. Pour reprendre un extrait du paragr. 127 de Proulx, « Lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d’objectifs correctifs ». L’atteinte d’un juste équilibre est donc l’objectif cardinal.

[105] Il y aura évidemment des cas plus lourds que celui-ci, mais cela ne réduit pas la nécessité d’insister sur la nécessité de prioriser les objectifs de dénonciation et de dissuasion en raison du poids des circonstances aggravantes en comparaison avec celui des circonstances atténuantes. Toutefois, il ne faut évidemment pas conclure que ce sera toujours le cas dans les dossiers d’agression sexuelle. Chacun des cas doit être traité conformément à la règle de droit et en accord avec ses circonstances propres puisque « [l]es objectifs de dénonciation et de dissuasion ne sont pas mieux servis par l’infliction de peines excessives » : R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, paragr. 94. C’est la raison pour laquelle l’exercice de pondération est si important et mérite déférence.

[…]

[110] En conclusion, j’estime que l’emprisonnement avec sursis n’est pas approprié au motif que, pour reprendre les termes du paragr. 742.1aC.cr., cette peine ne serait pas conforme « aux principes énoncés aux articles 718 à718.2 / with the principles of sentencing set out in sections 718 to 718.2 », et ce, malgré l’obligation pour les tribunaux d’envisager une peine moins privative de liberté. Les circonstances du dossier mènent inexorablement à une peine d’incarcération.

[64] L’affaire présente ici des facteurs aggravants significatifs, dont la vulnérabilité particulière de la victime (qui était en état d’intoxication avancée, et ce, à la connaissance de l’appelant) et le caractère intrusif des gestes coercitifs commis sur sa personne par un agresseur qu’elle a tenté en vain de repousser, ce qui en accroît le degré de violence. L’art. 718.01 C.cr. octroyant lui‑même un caractère pressant aux objectifs de dénonciation et de dissuasion dans le cas d’une infraction commise sur des personnes mineures, le juge pouvait légitimement, dans la foulée des arrêts Proulx, Friesen et Lemieux, conclure que l’incarcération s’imposait ici, malgré les facteurs atténuants et le fait que l’appelant, un délinquant primaire jeune, ne présente pas de danger pour la collectivité.

[65] Il n’y a pas d’erreur révisable dans cette conclusion. Le juge n’a pas omis de considérer la possibilité d’imposer un emprisonnement dans la collectivité, modalité moins privative de liberté, et, l’ayant examinée, il l’a rejetée. On aurait pu souhaiter qu’il s’en exprime mieux ou plus longuement, mais sa concision n’est pas un défaut dans la mesure où ses propos comportent l’essentiel et s’accordent par ailleurs à l’ensemble de la preuve. Sur ce point, une cour d’appel, on le sait, « ne peut intervenir que si l’insuffisance des motifs a fait obstacle à un examen valable en appel »[47], ce qui n’est pas le cas ici.

Les peines clémentes (12 mois ou moins) sont généralement réservées aux délinquants primaires s’étant livrés à des attouchements superficiels ou encore à des situations exceptionnelles.

[71] Qu’en est-il en effet de la fourchette des peines en matière de crimes sexuels contre des personnes de moins de 16 ans (à cette fin, les infractions décrites à l’al. 151a) C.cr. ne seront pas distinguées de celles qui sont décrites par l’al. 152a) C.cr.).

[72] Inutile de dire que les peines imposées afin de sanctionner l’infraction de contacts sexuels que proscrit l’al. 151a) C.cr. (ou 152a)) occupent un registre très vaste, pour d’évidentes raisons qui tiennent tant à la nature des contacts en cause qu’à l’âge de l’enfant, aux circonstances de la commission de l’infraction et à la personne du délinquant. Comme l’écrit la Cour dans Marien Frenette c. R.[52] :

[27] La fourchette de peines pour les infractions de contacts sexuels et d’incitation aux contacts sexuels est très large, puisque ces infractions peuvent couvrir un large éventail de comportements. Les peines infligées refléteront l’analyse des faits du dossier [renvoi omis]. Selon les professeurs Parent et Desrosiers, « [l]es contacts sexuels donnent généralement lieu à des peines de quelques mois de prison à 4 ans d’emprisonnement environ », avec quelques cas méritant des peines supérieures allant de 4 à 6 ans [renvoi omis].

[73] Cela dit, les peines clémentes (12 mois ou moins) sont généralement réservées aux délinquants primaires s’étant livrés à des attouchements superficiels[53] ou encore à des situations exceptionnelles (comme celle de l’arrêt Caron Barrette[54], où la Cour a imposé au délinquant une peine de 90 jours de prison à purger de façon discontinue pour un crime commis dans des circonstances qu’on peut qualifier de hautement inhabituelles, dans le cadre d’une relation amoureuse par ailleurs connue des parents de la victime et approuvée par eux[55]).

[74] La nature des gestes posés en l’espèce et les circonstances de la commission de l’infraction, tenant compte des facteurs aggravants et atténuants, ne permettent pas de conclure que la situation se classe dans cette catégorie de peines (catégorie qui, de toute façon, n’a rien de contraignant : les fourchettes de peine ne sont que des outils de travail qui permettent, dans le cadre d’un processus demeurant ciblé sur l’individualisation, d’assurer néanmoins une certaine parité des peines infligées à des délinquants comparables ou de participer à l’évaluation du caractère raisonnable d’une peine).

[75] Les auteurs Parent et Desrosiers décrivent par ailleurs ainsi la fourchette des peines qu’ils qualifient d’intermédiaires, là encore souvent imposées à des délinquants primaires, comme l’appelant :

    1. ii) Les peines de durée intermédiaire (12 mois à 24 mois d’emprisonnement) : Les peines de durée intermédiaire s’appliquent généralement aux infractions comportant un mélange de facteurs atténuants et de circonstances aggravantes, avec prédominance de facteurs aggravants se rapportant soit à la commission du crime ou à la responsabilité du délinquant. […].[56]

[76] C’est ce que confirme l’arrêt R. c. Londono[57]. Dans cette affaire présentant des similarités avec la nôtre, l’intimé, âgé de 21 ans et concierge dans une école, a profité des avances d’une élève de 13 ans. L’infraction commise se déclinait en quatre incidents, dont deux impliquant une relation sexuelle complète. Malgré la jeunesse du délinquant, les circonstances difficiles qu’il vivait à l’époque de la commission de l’infraction, l’absence d’antécédents judiciaires, des regrets sincères, une réhabilitation complète et le soutien de son entourage, la Cour, à la majorité, infirme la peine de 90 jours d’emprisonnement imposée en première instance et y substitue un emprisonnement de 15 mois (moins les 90 jours déjà purgés). Il est vrai que les gestes infractionnels de l’intimé Londono étaient plus nombreux et plus graves que ceux de l’espèce. Par contre, comme il n’avait pas plaidé coupable, il ne bénéficiait pas de ce facteur atténuant. En outre, il n’était pas question dans Londono, d’une victime en état d’intoxication, ce qui est ici le cas. L’une dans l’autre, ces différences n’altèrent cependant pas le caractère comparable des dossiers.

[77] Les motifs majoritaires du juge Gagnon dans Londono sont en outre assortis d’un tableau recensant divers jugements prononcés postérieurement à l’arrêt Friesen, en matière de peines sanctionnant les infractions des al. 151a) ou 152a) C.cr. Il en ressort clairement (même si tous les délinquants, dans les affaires répertoriées, ne sont pas de jeunes personnes) que la peine imposée ici à l’appelant ne se démarque pas de la fourchette applicable (10-12 mois à 24 mois moins un jour).

[78] Par contraste, mentionnons l’arrêt St-Cyr c. R.[58]. Dans des circonstances analogues à celles de l’espèce (accusé et victime âgés respectivement de 19 et de 14 ans, contacts sexuels avec pénétration vaginale digitale, victime intoxiquée, accusé sans antécédents judiciaires et non criminalisé, réhabilité, qui a toujours respecté ses conditions de mise en liberté et se révèle un atout pour la société), la Cour infirme la peine de 12 mois d’incarcération imposée en première instance pour la remplacer par une peine de 90 jours d’emprisonnement à purger de manière discontinue. Elle écrit notamment ce qui suit :

[65] Les séquelles sur la victime, qui n’a pas témoigné, mais a complété une déclaration écrite, ne peuvent être ignorées. Son jeune âge et son état d’intoxication sont également des éléments aggravants, comme il a été mentionné.

[66] Considérant tous ces éléments, considérant les objectifs de dissuasion et de dénonciation ainsi que celui de réhabilitation, la Cour est d’avis qu’une peine d’emprisonnement de quatre-vingt-dix jours, à être purgée de façon discontinue, assortie d’une période de probation de dix-huit mois avec supervision, est indiquée. Cette peine répond au crime, par l’emprisonnement imposé, et au délinquant alors que la punition imposée préserve néanmoins ses acquis, son travail, tout en assurant sa supervision. Elle s’harmonise avec les peines généralement imposées pour ce type de crime dans les circonstances où il a été perpétré, telles que révélées par la preuve, notamment, mais non seulement, avec la peine récemment imposée par la Cour dans Caron-Barrette.

[79] Cet arrêt de notre cour est toutefois antérieur à l’arrêt Friesen et ne suffit pas à justifier l’infirmation du jugement de l’espèce[59]. L’approche post-Friesen s’illustre plutôt dans les arrêts Londono[60], Marien Frenette c. R.[61], Pierre c. R.[62] et R. c. G.G.[63], plus récents.

[80] Je ne reviendrai pas sur Londono, examiné plus haut (voir supra, paragr. [76] et [77]).

[81] Dans Marien Frenette, la Cour casse la peine globale de six ans d’emprisonnement imposée à un délinquant primaire ayant plaidé coupable à un chef de contacts sexuels (al. 151a) C.cr.), un chef d’incitation à des contacts sexuels (al. 152a) C.cr.) et un chef de leurre (al. 172.1(1)a)(2)a) C.cr.). Elle y substitue une peine de 30 mois de prison (concurremment) sur chacun des deux premiers chefs et de 12 mois sur le troisième. Il est vrai que les contacts visés par l’al. 151a) C.cr. s’étaient produits à l’occasion de trois incidents distincts et qu’il existait une relation de confiance entre l’appelant et sa victime (collègues de travail dans une pharmacie, lui âgé de 20 ans, elle de 14). Néanmoins, forte de l’arrêt Friesen et tout en rappelant le principe de la modération, la Cour n’en inflige pas moins une peine de 30 mois d’emprisonnement sur le chef de contacts sexuels. Tenant compte des différences entre les dossiers (dans cette affaire, la victime n’était pas intoxiquée, alors qu’elle l’est ici), une peine de 14 mois n’est pas manifestement contre-indiquée, c’est-à-dire déraisonnable.

[82] Dans Pierre, la Cour confirme l’imposition d’une peine de quatre ans d’emprisonnement à un délinquant primaire, sans antécédents judiciaires, âgé de 26 ans au moment du crime (en 2012), ayant plaidé coupable (en 2018) à une agression sexuelle (al. 271a) C.cr.), incluant une relation sexuelle complète et une fellation, sur une victime de 14 ans, en état d’intoxication avancée, qu’il a abandonnée le long de la route après l’agression. Le geste est isolé et circonstanciel, le risque de récidive étant faible et l’appelant étant autrement un actif pour la société. Notons que l’individu risquait par ailleurs l’expulsion du Canada au terme de sa peine, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[64]. Cette conséquence indirecte n’a pas convaincu la Cour de prononcer une peine plus clémente, vu la nature du crime et l’âge de la victime au moment de sa commission et vu l’attention particulière devant être accordée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion.

[83] Enfin, dans R. c. G.G., la Cour, pour les raisons suivantes, substitue une peine de 12 mois d’emprisonnement à la peine de 6 mois imposée en première instance pour des contacts sexuels comportant une pénétration digitale :

[11] Relativement aux facteurs à prendre en compte, la Cour s’inspire partiellement du jugement de première instance. Ainsi, au nombre de ceux qui sont atténuants, la Cour retient le fait que l’intimé a été un actif pour la société toute sa vie, son faible risque de récidive et l’absence d’antécédent judiciaire. Au nombre des facteurs neutres, on dénombre l’âge de l’intimé [renvoi omis], le passage du temps [renvoi omis] et l’absence de remords [renvoi omis]. Enfin, en ce qui concerne les facteurs aggravants, la Cour prend en compte l’âge de la victime au moment de l’évènement, soit 14 ans [renvoi omis], l’abus de confiance [renvoi omis], et, en dernier lieu, les conséquences importantes subies par la victime, tant émotionnelles qu’économiques [renvoi omis].

[12] La juge a estimé sévère la peine de 6 mois de prison qu’elle lui a infligée. La Cour ne peut partager pareil avis, particulièrement sous l’éclairage de l’arrêt Friesen [renvoi omis]. Celui-ci invite les cours d’appel provinciales à « s’écarter des précédents vers le haut » [renvoi omis] lorsqu’une infraction sexuelle est commise à l’endroit d’un enfant ou d’un adolescent. La Cour suprême y enseigne aussi que « [l]es tribunaux doivent […] prendre en considération la reconnaissance moderne du caractère répréhensible et de la nocivité de la violence sexuelle faite aux enfants au moment d’établir le degré de responsabilité du délinquant […] » [renvoi omis].

[84] En somme, comme on le voit, les peines d’emprisonnement imposées dans des dossiers comparables se situent habituellement dans la fourchette 10-12 mois à 24 mois moins un jour. La modalité de l’emprisonnement dans la collectivité, par ailleurs, y est rare.

L’imposition d’une peine clémente dans des situations susceptibles d’appeler une peine plus sévère est le reflet du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance dans le cadre du processus régi par les art. 718 et s. C.cr.

[85] Évidemment, même depuis l’arrêt Friesen, la jurisprudence compte toujours des cas où, dans des circonstances plus ou moins semblables à celles de la présente affaire, le tribunal impose une peine plus clémente ou prononce une peine à purger dans la collectivité. L’appelant attire ainsi notre attention sur le jugement prononcé dans R. c. Descôtes[65], affaire dans laquelle le juge inflige à l’accusé une peine d’emprisonnement de 18 mois à purger dans la collectivité pour la commission d’un crime d’agression sexuelle sur une victime de 17 ans souffrant d’une légère déficience intellectuelle, qu’il a abordée dans un parc et qu’il a embrassée et masturbée par-dessus les vêtements. L’accusé est un homme mûr, sans antécédents judiciaires; son risque de récidive est très faible, l’infraction constituant un geste isolé. Dans R. c. A.T.[66], le juge impose une peine de 15 mois d’emprisonnement avec sursis à un délinquant primaire âgé de 20 ans au moment des faits, qui a rapidement plaidé coupable à l’accusation d’avoir agressé sexuellement la victime, alors âgée de 16 ans, l’infraction ayant fait l’objet d’une poursuite par voie sommaire (al. 271b) C.cr.)[67].

[86] En tout respect, ces deux affaires ne sauraient convaincre qu’il y a lieu de casser ici le jugement de première instance. Outre les différences factuelles que l’on peut évoquer entre ces deux affaires et la nôtre, il demeure en effet que l’imposition d’une peine clémente dans des situations susceptibles d’appeler une peine plus sévère est le reflet du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance dans le cadre du processus régi par les art. 718 et s. C.cr. Or, en vertu de ce même pouvoir discrétionnaire, au terme d’un raisonnement respectueux de l’ensemble de ces dispositions et malgré une erreur sans conséquence, le juge de première instance a choisi en l’espèce d’imposer une peine de 14 mois d’emprisonnement à l’appelant, peine qui est raisonnable au regard de l’ensemble des faits et des principes pénologiques pertinents, en plus de se situer dans la fourchette des peines comparables. Elle est sévère, certes, mais n’a rien d’excessif ni de contre‑indiqué et, considérant la norme d’intervention applicable (voir supra, paragr. [28] à [30]), j’estime que la déférence s’impose.