Une preuve positive d’une réhabilitation concrète et bien amorcée est un facteur qu’il importe de prendre en considération au stade de la détermination de la peine.
[6] Reconnaissant que les objectifs de dénonciation et de dissuasion ont tendance à l’emporter dans une affaire comme celle-ci, la juge a affirmé que « [n]’eût été le cheminement exceptionnel de Monsieur Blais qui s’avère tout de même fragile, le Tribunal n’aurait aucune hésitation à imposer une lourde peine de pénitencier et même plus importante que celle que réclame le ministère public, puisqu’elle aurait été justifiée »[2].
[7] Elle a cependant jugé préférable, dans le contexte très particulier de l’espèce, de s’éloigner des fourchettes pertinentes et de privilégier l’objectif de réinsertion sociale. Elle s’est expliquée de manière détaillée et nuancée, en soulignant notamment — à l’instar du juge Lamer, alors de notre Cour, dans l’arrêt Lebovitch[3] — que « la réhabilitation réelle et bien amorcée du délinquant depuis la commission des infractions peut permettre de conclure que l’imposition d’une peine d’emprisonnement n’est pas compatible avec les objectifs et principes liés à la détermination de la peine au moment où elle est rendue »[4]. Elle a aussi noté avoir rarement vu un profil aussi positif d’un toxicomane qui, après avoir posé les bons gestes, était en voie de reprendre sa vie en main. Une peine d’emprisonnement, a-t-elle ajouté, mettrait certainement en péril les efforts de l’intimé et c’est la société qui, au final, en sortirait perdante.
[8] La juge a néanmoins lancé un message clair à l’intimé quant à la nature de la peine qu’elle lui a imposée ainsi qu’aux conséquences auxquelles il s’exposera s’il ne respecte pas les conditions mentionnées dans l’ordonnance de probation :
[94] En s’assurant d’imposer un suivi pour la plus longue période prévue au Code criminel, Monsieur Blais demeure sous le contrôle du Tribunal pour toute la durée de la probation. En ne prononçant qu’un sursis de sentence pour certaines infractions, le Tribunal s’assure également que Monsieur Blais soit bien conscient de la chance qui lui est accordée et que s’il devait commettre une nouvelle infraction, il pourrait recevoir, en plus de la peine pour une nouvelle accusation, la peine qu’il aurait pu recevoir dans ce dossier-ci, qu’il ne reçoit pas aujourd’hui.
[9] L’analyse à laquelle s’est livrée la juge est irréprochable en droit. Comme la Cour l’a rappelé en 2019, dans l’affaire Bernard[5], une preuve positive d’une réhabilitation concrète et bien amorcée est un facteur qu’il importe de prendre en considération au stade de la détermination de la peine, « surtout […] lorsque la toxicomanie sous-tend la problématique criminelle et que tous les indicateurs pointent vers une reprise en main »[6]. Évidemment, cela ne veut pas dire que l’objectif de réinsertion doit alors toujours l’emporter et qu’une peine d’emprisonnement n’est jamais indiquée. Tout demeure question de circonstances, le principe selon lequel « la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant »[7] gardant toute son importance.
La décision de surseoir au prononcé de la peine, assortie d’une ordonnance de probation comportant des conditions strictes, peut servir de manière adéquate les objectifs de dénonciation et de dissuasion.
[10] S’agissant de l’application du cadre juridique aux faits de la présente affaire, l’appelante n’a pas démontré que les peines étaient manifestement non indiquées. Elle a insisté sur le fait que la juge aurait négligé les objectifs de dénonciation et de dissuasion, au point où les peines seraient si clémentes qu’elles seraient susceptibles de miner la confiance du public envers l’administration de la justice. Or, cet argument méconnait le fait — souvent reconnu en jurisprudence — que la décision de surseoir au prononcé de la peine, assortie d’une ordonnance de probation comportant des conditions strictes, peut servir de manière adéquate ces deux objectifs[8].