[18] En fin de journée, le juge reçoit une note du jury[3] qui pose deux questions et que le juge lit aux avocats :
Monsieur le Juge, le jury se demande si l’admission de la possibilité d’un événement constitue une preuve. Pour préciser, si un avocat demande à un témoin si tel[le] ou tel[le] chose est possible, la réponse oui, non ou je ne sais pas doit-elle être appliquée ou perçue de la même manière que si l’avocat avait demandé si tel[le] ou tel[le] chose est vraie?
Par ce qu’elles révèlent de leurs préoccupations ou de ce qu’ils n’ont pas compris, les questions des jurés doivent être traitées avec le plus grand soin et les réponses que le juge y apporte sont d’une importance prééminente dans l’examen des directives.
[42] Toujours dans l’arrêt Primeau, les juges Bich et Hamilton notent que la « dimension pédagogique ou, si l’on préfère, didactique, des directives s’affirme encore davantage lorsque, après […] les avoir reçues, le jury, au cours de ses délibérations, soulève certaines questions et requiert à cette fin l’assistance du juge »[10]. Ils ajoutent : « Bref, par ce qu’elles révèlent de leurs préoccupations ou de ce qu’ils n’ont pas compris, les questions des jurés doivent être traitées avec le plus grand soin et les réponses que le juge y apporte sont d’une importance prééminente dans l’examen des directives »[11].
[43] En effet, « les directives répondant à une question du jury ont souvent un effet particulier »[12], car une « question porte généralement sur un point important du raisonnement du jury, ce qui rend encore plus dommageable toute erreur que le juge peut faire en y répondant »[13].
[44] Par ailleurs, comme le souligne le juge Watt dans l’arrêt Cudjoe[14], la nécessité de fournir au jury une réponse complète et correcte à une question ne justifie pas de succomber à une précipitation indue pour y répondre :
[134] Although I have found the trial judge’s response to the jury’s question caused no prejudice in the circumstances of this case, the need for a clear, correct, careful and comprehensive response to all jury questions warrants emphasis. Jury trials, especially the composition of jury instructions, are challenging work for all concerned. It makes little sense to sacrifice accuracy and completeness for immediacy of response. Questions from jurors that arise late in the evening, especially after a full day or longer of deliberations, may be better answered the following morning when everyone returns to their task more refreshed: R. v. Chahal, (2008) 2008 BCCA 529, 240 C.C.C. (3d) 363 (B.C.C.A.), at para. 40. Mistakes are as easily avoided as they are made. There is little point in rushing to make them. Stopwatch justice comes at too high a price.
[Les soulignements sont ajoutés]
[45] De plus, lorsque la question du jury est ambiguë, le juge du procès a le devoir de la faire clarifier par le jury avant d’y répondre; l’omission de le faire peut constituer une erreur révisable[15]. Une préoccupation particulièrement marquée dans la présente affaire.
La réponse communiquée au jury doit non seulement être correcte et complète, mais elle ne doit pas être improvisée, car il convient qu’elle soit soigneusement rédigée. Puisque les questions d’un jury s’avèrent toutes importantes, le juge ne doit pas y répondre avec empressement ou à brûle-pourpoint. La réponse à ces questions appelle une rédaction attentive et rigoureuse qui n’est pas brusquée par une urgence inutile
[46] Par ailleurs, un élément indispensable, la réponse communiquée au jury doit non seulement être correcte et complète, mais elle ne doit pas être improvisée, car il convient qu’elle soit soigneusement rédigée.
[47] Dans son ouvrage, le juge Watt expose la raison d’être de cette impérative nécessité :
A final point is of crucial importance. Response to juror questions is no place for judicial extemporaneity. The consequences of error in further instructions, especially those on legal principle, should convince even the most self-assured and sure-footed trial judge of the absolute necessity of a fully-scripted response. Written out. Read aloud. Copy provided. No ad-libbing[16].
[48] Puisque les questions d’un jury s’avèrent toutes importantes, le juge ne doit pas y répondre avec empressement ou à brûle-pourpoint. La réponse à ces questions appelle une rédaction attentive et rigoureuse qui n’est pas brusquée par une urgence inutile.
L’admission d’une possibilité dans une réponse en contre-interrogatoire n’établit pas qu’un événement est bel et bien survenu.
[55] La réponse du juge est non seulement confuse, mais elle est clairement erronée. L’admission par un témoin de l’existence d’une possibilité, sans autre preuve pour l’enraciner, ne constitue pas un élément de preuve. Confuse, car le juge fait une distinction entre la preuve d’un fait et la preuve d’une possibilité, la dernière étant une preuve « plus vague », mais, doit-on comprendre, néanmoins une preuve plus vague à considérer.
[56] Selon un principe de base du droit de la preuve, la règle de la pertinence, un élément de preuve est pertinent « lorsque, selon la logique et l’expérience humaine, elle tend jusqu’à un certain point à rendre la proposition qu’elle appuie plus vraisemblable qu’elle ne le paraîtrait sans elle »[19]. Or, appliquant cette définition, tout témoin qui affirme, sans plus, qu’une chose est possible ne rend pas la preuve d’un fait plus vraisemblable à moins qu’il n’existe d’autres éléments de preuve sur lesquels se fonder.
[57] Mais il y a plus.
[58] L’arrêt Simpson[20] de la Cour suprême apporte une réponse complète à la problématique soulevée dans le présent dossier. Le juge Moldaver y précise que l’admission d’une possibilité dans une réponse en contre-interrogatoire n’établit pas qu’un événement est bel et bien survenu :
[36] Durant le contre‑interrogatoire, à au moins deux occasions, la juge du procès est intervenue et a demandé à Jean‑Marc Arcand s’il était « possible » que son père ait conclu un accord verbal avec les intimés relativement à l’espace commercial. La juge du procès a en outre demandé s’il était « possible » que Marius Arcand ait donné les clés des locaux en question aux intimés durant l’été 2010. Jean‑Marc Arcand a reconnu qu’il était possible qu’un accord ait été conclu par son père et que les clés aient été remises aux intimés. Cependant, à aucun moment durant son témoignage, n’a‑t‑il admis que ces événements étaient bel et bien survenus. Il était tout simplement incapable de nier les suggestions qui lui étaient faites, puisqu’il n’était pas au courant des interactions entre son père et les intimés, M. Simpson et Mme Farrell.
[37] La juge du procès s’est fondée sur les réponses de Jean‑Marc Arcand pour conclure à l’existence d’une preuve d’apparence de droit. Soit dit en tout respect, ce faisant, elle a commis une erreur. Comme le ministère public l’a fait remarquer à bon droit, une affirmation faite à un témoin durant son contre‑interrogatoire ne constitue pas une preuve de celle‑ci, à moins que le témoin ne la tienne pour véridique : voir R. c. Skedden, 2013 ONCA 49, par. 12; R. c. Zebedee (2006), 2006 CanLII 22099 (ON CA), 81 O.R. (3d) 583 (C.A.), par. 114; R. c. M.B.M., 2002 MBCA 154, 170 Man. R. (2d) 131, par. 25‑27. Cette règle s’applique même lorsque l’affirmation a été suggérée par le juge du procès.
[38] L’incapacité de Jean‑Marc Arcand de nier les suggestions qui lui étaient faites ne nous éclaire en rien quant à la véracité ou non de ces suggestions. Prises isolément, ses réponses se limitent à faire savoir qu’il ne connaissait pas personnellement les interactions précises, le cas échéant, que pouvait avoir eues son père avec les intimés. La juge du procès n’était donc pas autorisée à se fonder sur ces réponses comme preuve de quelque chose de plus — par exemple, du fait que les intimés pourraient avoir conclu un accord avec Marius Arcand. Ainsi, le témoignage de son fils Jean‑Marc ne peut être utilisé pour évaluer si la défense d’apparence de droit alléguée franchit le seuil de la vraisemblance. Soit dit en tout respect, la juge du procès a commis une erreur de droit en concluant autrement[21].
[Les soulignements sont ajoutés]
[59] De ces passages ressortent les principes suivants : 1) la suggestion de l’avocat en contre-interrogatoire ne fait partie de la preuve que si elle est adoptée par le témoin[22] et 2) l’admission d’une possibilité n’est pas une preuve.
[60] Généralement, la réponse d’un témoin qui admet une possibilité qui lui est proposée en contre-interrogatoire se distingue de celle qui adopte le fait proposé[23]. Dans le contexte de la présente affaire, c’est la réponse que devait donner le juge du procès en précisant qu’une possibilité ne tient pas lieu de preuve.