R. c. Barton, 2019 CSC 33

Par souci d’équité envers l’accusé, et particulièrement par souci de respecter le principe de la protection contre le double péril, consacré à l’al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés , il est interdit au ministère public d’obtenir un nouveau procès en avançant une nouvelle thèse de la responsabilité en appel.

[47] Par souci d’équité envers l’accusé, et particulièrement par souci de respecter le principe de la protection contre le double péril, consacré à l’al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés, il est interdit au ministère public d’obtenir un nouveau procès en avançant une nouvelle thèse de la responsabilité en appel (voir Wexler c. The King, 1939 CanLII 41 (SCC), [1939] R.C.S. 350; Savard c. The King, 1945 CanLII 37 (SCC), [1946] R.C.S. 20, p. 33‑34, 37 et 49; R. c. Penno, 1990 CanLII 88 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 865, p. 895‑896; R. c. Egger, 1993 CanLII 98 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 451, p. 481). En outre, comme le juge Doherty l’a expliqué dans l’arrêt Varga, [traduction] « [l]e principe de la protection contre le double péril est compromis davantage lorsque les arguments plaidés en appel contredisent la thèse que soutient le ministère public au procès » (p. 793). Bref, « [l]’appel formé par le ministère public ne saurait constituer un moyen de communication d’une preuve différente que celle présentée au procès » (ibid.).

[48] Or, l’absence d’opposition du ministère public à une directive erronée dans l’exposé au jury ne fait pas forcément obstacle à une ordonnance de nouveau procès (voir Cullen c. The King, 1949 CanLII 7 (SCC), [1949] R.C.S. 658, p. 664‑665; R. c. George, 1960 CanLII 45 (SCC), [1960] R.C.S. 871, p. 875‑877 et 890). Plus précisément, l’inadvertance passive manifestée par la procureure du ministère public au procès n’écarte pas l’intérêt public au prononcé d’un verdict qui ne soit pas vicié par des directives au jury comportant des lacunes importantes.

[49] Mais même là, lorsqu’il s’agit d’évaluer si une erreur alléguée dans l’exposé au jury justifie une intervention en appel, l’absence d’opposition « est révélatrice quant à la justesse générale des directives au jury et à la gravité de la directive qui serait erronée » (R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 38; voir aussi Thériault c. La Reine, 1981 CanLII 180 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 336, p. 343‑344; R. c. Daley, 2007 CSC 53 (CanLII), [2007] 3 R.C.S. 523, par. 58; R. c. Patel, 2017 ONCA 702 (CanLII), 356 C.C.C. (3d) 187, par. 82). Il en est particulièrement ainsi lorsque l’avocat a expressément souscrit à la directive en question (voir Patel, par. 82).

Lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur une allégation concernant une directive erronée, la cour d’appel doit évaluer l’exposé dans son ensemble, du point de vue pratique, en se demandant si le jury a reçu des directives non pas parfaites, mais appropriées, qui lui permettaient de trancher l’affaire, tout en gardant à l’esprit que c’est la teneur de l’exposé qui compte, non le respect d’une formule consacrée

[54] Au Canada, la présence de directives erronées dans l’exposé au jury constitue une erreur de droit que le ministère public peut porter en appel. Lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur une allégation concernant une directive erronée, la cour d’appel doit évaluer l’exposé dans son ensemble, du point de vue pratique, en se demandant si le jury a reçu des directives non pas parfaites, mais appropriées, qui lui permettaient de trancher l’affaire, tout en gardant à l’esprit que c’est la teneur de l’exposé qui compte, non le respect d’une formule consacrée (voir Jacquard, par. 62; Daley, par. 30; R. c. Jaw, 2009 CSC 42 (CanLII), [2009] 3 R.C.S. 26, par. 32; R. c. Mack, 2014 SCC 58 (CanLII), 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3, par. 49). La cour d’appel doit examiner l’erreur alléguée « dans le contexte de l’ensemble de l’exposé au jury et du déroulement général du procès » (Jaw, par. 32).

Le régime de l’art. 276 s’applique à toute poursuite où il existe un lien entre l’infraction reprochée et une infraction énumérée au par. 276(1), même si le document d’inculpation n’en fait aucunement mention.

[75] Par ailleurs, en imposant l’exigence stricte que l’application du régime de l’art. 276 soit assujettie à l’inculpation expresse d’une infraction énumérée, on ferait primer la forme sur le fond. L’applicabilité de ce régime dépendrait ainsi de la façon dont la poursuite rédige le document d’inculpation, et non de la question de savoir si une infraction énumérée entre vraiment en jeu dans l’instance. Le cas échéant, il n’importe sans doute pas que le ministère public n’ait pas mentionné cette infraction dans le document d’accusation.

[76] Eu égard à ce qui précède, j’estime que le régime de l’art. 276 s’applique à toute poursuite où il existe un lien entre l’infraction reprochée et une infraction énumérée au par. 276(1), même si le document d’inculpation n’en fait aucunement mention. Par exemple, il serait satisfait à ce critère relationnel large si l’infraction énumérée était une infraction sous‑jacente à l’infraction reprochée ou incluse dans celle‑ci.

La croyance sincère mais erronée au consentement communiqué

 La notion de « consentement »

[89] La notion de « consentement » diffère selon l’étape de l’analyse. Pour les besoins de l’actus reus, la notion de « consentement » signifie que « dans son esprit, la plaignante souhaitait que les attouchements sexuels aient lieu » (Ewanchuk, par. 48). Donc, à ce stade, l’accent est mis sans détour sur l’état d’esprit de la plaignante, alors que la perception que l’accusé avait de cet état d’esprit n’entre pas en jeu. Par conséquent, si la plaignante témoigne qu’elle n’a pas consenti et que le juge des faits accepte son témoignage, il n’y a tout simplement pas eu consentement (voir Ewanchuk, par. 31). À cette étape, l’analyse de l’actus reus est terminée. Pour que l’actus reus soit établi, point n’est besoin que la plaignante ait manifesté l’absence de consentement ou la révocation de son consentement (voir J.A., par. 37).

[90] Pour les besoins de la mens rea, particulièrement pour l’application de la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, la notion de « consentement » signifie « que la plaignante avait, par ses paroles ou son comportement, manifesté son accord à l’activité sexuelle avec l’accusé » (Ewanchuk, par. 49). Par conséquent, l’analyse porte à cette étape sur l’état d’esprit de l’accusé; la question est alors de savoir si l’accusé croyait sincèrement « que le plaignant avait vraiment dit “oui” par ses paroles, par ses actes, ou les deux » (ibid., par. 47).

Pour établir la défense pertinente, l’accusé doit faire état d’une croyance sincère mais erronée que la plaignante a, en fait, communiqué son consentement, par ses paroles ou par ses actes

[91] Notre Cour a constamment affirmé que le moyen de défense pertinent est fondé sur la « croyance sincère mais erronée au consentement » (voir p. ex. R. c. Esau, 1997 CanLII 312 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 777, par. 1; Ewanchuk, par. 43; Darrach, par. 51; R. c. Cinous, 2002 CSC 29 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 3, par. 57; R. c. Gunning, 2005 CSC 27 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 627, par. 32; J.A., par. 24). Le Code lui‑même renvoie à la « croyance [de l’accusé] au consentement » (l’al. 273.2b) (l’intertitre)). Or, il ressort de la jurisprudence de notre Cour que, pour établir la défense pertinente, l’accusé doit faire état d’une croyance sincère mais erronée que la plaignante a, en fait, communiqué son consentement, par ses paroles ou par ses actes (voir R. c. Park, 1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836, par. 39 et 43‑44 (la juge L’Heureux‑Dubé); Ewanchuk, par. 46; J.A., par. 37, 42 et 48). Comme l’a dit la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Park, « [e]n pratique, les principaux facteurs pertinents quant à ce moyen de défense sont donc (1) le comportement communicatif proprement dit de la plaignante et (2) l’ensemble des éléments de preuve admissibles et pertinents qui expliquent comment l’accusé a perçu ce comportement comme exprimant un consentement. Tout le reste est secondaire » (par. 44 (souligné dans l’original)).

[92] J’estime donc qu’il convient d’affiner la terminologie juridique en désignant le moyen de défense avec plus de précision par l’expression « croyance sincère mais erronée au consentement communiqué », qui doit faire en sorte que tous les intervenants du système de justice mettent l’accent sur la question vitale de la communication du consentement et évitent de s’aventurer, par inadvertance, sur le terrain interdit du consentement présumé ou tacite.

Les négociations antérieures entre le plaignant et l’accusé concernant les actes précis en cause ou les coutumes et les pratiques en la matière devraient être admissibles. Ces négociations, coutumes et pratiques intervenues entre les parties révèlent leur attente légitime quant à l’incident en question

[93] L’insistance sur la croyance sincère mais erronée de l’accusé à la communication du consentement a des conséquences pratiques. Avant tout, en cherchant à invoquer le comportement sexuel antérieur de la plaignante pour appuyer la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, l’accusé doit pouvoir expliquer comment et pourquoi cette preuve venait renforcer sa croyance sincère mais erronée au consentement communiqué donné par la plaignante à l’activité sexuelle au moment où elle a eu lieu (voir S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd., feuilles mobiles), § 16:20.50.30). Dans certains cas, par exemple, le comportement sexuel antérieur peut établir l’existence d’une attente légitime quant à la façon dont le consentement est communiqué entre les parties, influant ainsi sur la perception qu’a l’accusé du consentement communiqué à l’activité sexuelle lorsqu’elle a eu lieu. La juriste américaine Michelle Anderson affirme : [traduction] « les négociations antérieures entre le plaignant et l’accusé concernant les actes précis en cause ou les coutumes et les pratiques en la matière devraient être admissibles. Ces négociations, coutumes et pratiques intervenues entre les parties révèlent leur attente légitime quant à l’incident en question » (M. J. Anderson, « Time to Reform Rape Shield Laws: Kobe Bryant Case Highlights Holes in the Armour » (2004), 19:2 Crim. Just. 14, p. 19, cité dans Hill, Tanovich et Strezos, § 16:20.50.30). Les « négociations » ne comprennent cependant pas l’entente sur un consentement général donné à l’avance à toute forme d’activité sexuelle. Comme je l’explique ci‑après, la croyance que la plaignante a donné son consentement général à l’avance à une activité sexuelle non définie ne saurait être invoquée comme moyen de défense, vu qu’elle repose sur une erreur de droit, non de fait.

[94] Toutefois, il faut bien se garder d’adopter un raisonnement inacceptable quant à la propension (voir Seaboyer, p. 615). L’accusé ne saurait fonder sa défense sur la logique défectueuse que le comportement sexuel antérieur de la plaignante, de par sa nature, rendait cette dernière davantage susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle en question, et qu’il avait cru pour cette raison à son consentement. Il s’agit du premier des « deux mythes » qui est interdit par l’al. 276(1)a) du Code.

Dans la mesure où la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué est fondée sur une erreur de droit — y compris relativement à la « teneur du consentement » du point de vue juridique — plutôt que sur une erreur de fait, ce moyen de défense n’est d’aucun secours.

Le consentement tacite : le fait de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part est une erreur de droit et ne constitue pas un moyen de défense.

[98] Le moyen de défense « spécieux » fondé sur le consentement tacite « repose sur la présomption voulant que, à moins qu’elle proteste ou résiste, une femme est “réputée” consentir » (Ewanchuk, par. 103, la juge McLachlin (plus tard juge en chef)). Il ressort de l’arrêt Ewanchuk que cette notion n’a pas sa place en droit canadien. Comme le juge Major l’a affirmé au nom des juges majoritaires, « le fait de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part est une erreur de droit et ne constitue pas un moyen de défense » (par. 51, citant R. c. M. (M.L.), 1994 CanLII 77 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 3; voir aussi J. Benedet, « Sexual Assault Cases at the Alberta Court of Appeal: The Roots of Ewanchuk and the Unfinished Revolution » (2014), 52 Alta. L. Rev. 127). De plus, le fait d’inférer que « le consentement du plaignant était implicite, compte tenu des circonstances ou de la relation [que l’accusé] entretenait avec lui » (J.A., par. 47) constitue aussi une erreur de droit. Bref, c’est une erreur de droit — non de fait — de présumer qu’à moins qu’elle dise « non », une femme donne implicitement son consentement à toute activité sexuelle.

Le consentement général donné à l’avance : la définition de « consentement » au par. 273.1(1) « indique que le plaignant doit consentir spécifiquement à chacun des actes sexuels et réfute l’argument que le législateur entendait inclure un consentement général donné à l’avance » et « selon la Cour, cette disposition exige que la plaignante consente aux attouchements “lorsqu’[ils] ont [. . .] lieu” ».

[99] La notion de « consentement général donné à l’avance » renvoie à l’idée erronée en droit selon laquelle le plaignant manifeste son accord à une activité sexuelle ultérieure d’une nature non définie (voir J.A., par. 44‑48). Comme il est résumé dans l’arrêt J.A., la définition de « consentement » au par. 273.1(1) « indique que le plaignant doit consentir spécifiquement à chacun des actes sexuels et réfute l’argument que le législateur entendait inclure un consentement général donné à l’avance » et « selon la Cour, cette disposition exige que la plaignante consente aux attouchements “lorsqu’[ils] ont [. . .] lieu” » (par. 34, citant Ewanchuk, par. 26). Par conséquent, le fait de croire que le plaignant a donné son consentement général à l’avance à une activité sexuelle non définie ne saurait être invoqué comme moyen de défense, vu que cette croyance repose sur une erreur de droit, non de fait.

La propension à consentir : la croyance de l’accusé que le comportement sexuel antérieur de la plaignante, de par son caractère sexuel, rendait celle‑ci davantage susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle en question constitue une erreur de droit.

[100] La loi interdit d’inférer que le comportement sexuel antérieur de la plaignante, de par sa nature, rend celle‑ci davantage susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle en question (voir l’al. 276(1)a) du Code et l’arrêt Seaboyer). Il s’agit du premier des « deux mythes ». Par conséquent, la croyance de l’accusé que le comportement sexuel antérieur de la plaignante, de par son caractère sexuel, rendait celle‑ci davantage susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle en question constitue une erreur de droit.

L’alinéa 273.2b) impose une condition préalable à la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué : l’absence de mesures raisonnables emporte exclusion de ce moyen de défense

[104] L’alinéa 273.2b) impose une condition préalable à la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué : l’absence de mesures raisonnables emporte exclusion de ce moyen de défense. Cette condition comporte à la fois une dimension objective et une dimension subjective : l’accusé doit prendre des mesures objectivement raisonnables pour s’assurer du consentement et le caractère raisonnable de ces mesures doit être apprécié eu égard aux circonstances dont il avait alors connaissance (voir R. c. Cornejo (2003), 2003 CanLII 26893 (ON CA), 68 O.R. (3d) 117 (C.A.), par. 22, autorisation de pourvoi refusée, [2004] 3 R.C.S. vii, citant K. Roach, Criminal Law (2e éd., 2000), p. 157; voir aussi Sheehy, p. 492‑493). Il est toutefois à noter qu’aux termes de ce même al. 273.2b), l’accusé n’est pas tenu de prendre « toutes » les mesures raisonnables, contrairement à la restriction analogue relative à la défense de la croyance erronée à l’âge légal imposée au par. 150.1(4) du Code[7] (voir R. c. Darrach (1998), 1998 CanLII 1648 (ON CA), 38 O.R. (3d) 1 (C.A.), p. 24, conf. par 2000 CSC 46 (CanLII) [2000] 2 R.C.S. 443 (sans commentaire sur ce point)).

L’obligation relative aux mesures raisonnables rejette l’idée périmée selon laquelle les femmes sont réputées consentir à moins qu’elles disent « non ».

[105] L’objectif de l’obligation relative aux mesures raisonnables a été formulé de différentes manières. Selon les auteurs de l’ouvrage Manning, Mewett & Sankoff: Criminal Law, l’art. 273.2 du Code vise [traduction] « à garantir la sécurité de la personne et l’égalité des femmes qui forment la vaste majorité des victimes d’agressions sexuelles, en veillant autant que possible à la présence de clarté dans les rapports entre deux participants à un acte sexuel » (M. Manning et P. Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff: Criminal Law (5e éd., 2015), p. 1094 (note de bas de page omise). La juge Abella (maintenant juge de notre Cour) affirmait dans l’affaire Cornejo que l’obligation relative aux mesures raisonnables [traduction] « se substitue aux présomptions rattachées traditionnellement — et irrégulièrement — à la passivité et au silence » (par. 21). La professeure Elizabeth Sheehy s’exprime en ces termes : [traduction] « L’obligation relative aux “mesures raisonnables” prévue par le projet de loi C‑49 avait pour objet de criminaliser les agressions sexuelles commises par des hommes qui prétendent avoir fait erreur sans pour autant avoir tenté de s’assurer du consentement de la femme ou bien qui invoquent des convictions misogynes intéressées pour justifier la croyance au consentement » (p. 492). Voici le dénominateur commun à toutes ces descriptions : l’obligation relative aux mesures raisonnables rejette l’idée périmée selon laquelle les femmes sont réputées consentir à moins qu’elles disent « non ».

Les mesures qui reposent sur les mythes liés au viol ou sur les présomptions stéréotypées au sujet des femmes et du consentement n’ont aucunement un caractère raisonnable

[106] Sans oublier que le « consentement » est défini au par. 273.1(1) du Code comme « l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle », qu’est‑ce qui peut constituer des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement? À mon avis, l’analyse relative aux mesures raisonnables repose grandement sur les faits. Il ne serait donc guère judicieux et utile d’essayer de dresser une liste exhaustive des mesures raisonnables ou d’occulter les termes de la loi en les complétant ou en les reformulant.

[107] Cela dit, il est possible de cerner certains éléments qui ne sont manifestement pas des mesures raisonnables. Par exemple, les mesures qui reposent sur les mythes liés au viol ou sur les présomptions stéréotypées au sujet des femmes et du consentement n’ont aucunement un caractère raisonnable. Ainsi, l’accusé ne saurait prétendre que le fait de se fier au silence, à la passivité ou au comportement ambigu de la plaignante est une mesure raisonnable pour s’assurer du consentement, car le fait de croire que l’un ou l’autre de ces facteurs emporte consentement constitue une erreur de droit (voir Ewanchuk, par. 51, citant M. (M.L.)). Dans le même ordre d’idées, il serait pour le moins abusif de penser qu’une agression sexuelle puisse constituer une mesure raisonnable (voir Sheehy, p. 518). Par conséquent, la tentative de l’accusé de [traduction] « tâter le terrain » en se livrant sciemment ou inconsidérément à des attouchements sexuels non consensuels ne saurait être considérée comme une mesure raisonnable. Il s’agit d’un enjeu particulièrement critique dans le cas où le plaignant est inconscient ou semi‑conscient (voir Sheehy, p. 537).

[108] Il est également possible de préciser dans quelles circonstances le critère à remplir pour satisfaire à l’obligation relative aux mesures raisonnables sera plus exigeant. Par exemple, plus l’activité sexuelle est envahissante ou plus le risque pour la santé et la sécurité des participants est élevé, le bon sens veut qu’une personne raisonnable fasse preuve d’une grande prudence pour s’assurer du consentement. Il en va de même si l’accusé et le plaignant se connaissent peu, aggravant ainsi le risque de malentendus et d’erreurs. En définitive, l’analyse relative aux mesures raisonnables demeure largement tributaire du contexte et ses exigences varient d’un cas à l’autre.

[109] Dans l’ensemble, le juge du procès et le jury devraient aborder l’analyse relative aux mesures raisonnables en se concentrant sur l’objet et en n’oubliant pas que l’obligation relative aux mesures raisonnables confirme que l’accusé ne saurait assimiler le silence, la passivité et le comportement ambigu à la communication du consentement. De plus, le juge du procès et le jury devraient se laisser guider par le besoin de protéger l’intégrité physique d’une personne, son autonomie sexuelle et sa dignité humaine. Enfin, si l’on veut que l’obligation relative aux mesures raisonnables ait un effet concret, il faut l’appliquer avec soin. Une analyse effectuée pour la forme n’est pas acceptable.

Bien que la distinction conceptuelle entre les mesures raisonnables au sens de l’al. 273.2b) et les motifs raisonnables au sens du par. 265(4) demeure valide, en pratique, il est difficile d’imaginer une situation où les mesures raisonnables ne constitueraient pas également des motifs raisonnables pour apprécier la sincérité de la croyance qu’affirme avoir eue l’accusé.

[110] Enfin, il faut établir une distinction entre la notion de mesures raisonnables pour s’assurer du consentement au sens de l’al. 273.2b) du Code et la notion de motifs raisonnables pour étayer la croyance sincère au consentement au sens du par. 265(4). Selon cette dernière disposition, dans le contexte d’une accusation de voies de fait, y compris d’agression sexuelle (voir le par. 265(2)), lorsque l’accusé allègue qu’il croyait que le plaignant avait consenti aux actes en question et que le juge du procès est « convaincu qu’il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury », le juge du procès « demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l’ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l’accusé, la présence ou l’absence de motifs raisonnables pour celle‑ci ». Cette disposition repose sur l’idée que, plus la croyance au consentement que l’accusé fait valoir devient déraisonnable, plus sa sincérité est douteuse (voir Pappajohn, p. 155‑156, le juge Dickson (dissident, mais non sur ce point)).

[111] En d’autres termes, lorsque l’accusé est inculpé d’une forme quelconque de voies de fait, la présence ou l’absence de motifs raisonnables constitue simplement un facteur à prendre en considération dans l’appréciation, conformément au par. 265(4), de la sincérité de la croyance au consentement manifestée par l’accusé. En revanche, lorsque l’accusé est inculpé d’agression sexuelle en vertu des art. 271, 272 ou 273, l’omission de prendre les mesures raisonnables est fatale à la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué selon l’al. 273.2b).

[112] Dans cette optique, dans le contexte d’une accusation fondée sur les art. 271, 272, ou 273 où l’accusé affirme avoir eu une croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, 1) s’il n’existe aucun élément de preuve permettant au juge des faits de conclure que l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement ou 2) si le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’a pas pris de mesures raisonnables pour s’assurer du consentement, il n’y a pas lieu de prendre en considération la présence ou l’absence de motifs raisonnables à l’appui d’une croyance sincère au consentement en vertu du par. 265(4), car l’accusé ne peut pas évoquer ce moyen de défense en raison de l’application de l’al. 273.2b).

[113] Enfin, bien que la distinction conceptuelle entre les mesures raisonnables au sens de l’al. 273.2b) et les motifs raisonnables au sens du par. 265(4) demeure valide, en pratique, il est difficile d’imaginer une situation où les mesures raisonnables ne constitueraient pas également des motifs raisonnables pour apprécier la sincérité de la croyance qu’affirme avoir eue l’accusé.

L’accusé qui souhaite invoquer la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué doit d’abord démontrer la vraisemblance de celle‑ci. Le juge du procès doit ainsi se demander s’il existe une preuve qui permette à un juge des faits raisonnable agissant d’une manière judiciaire de conclure (1) que l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement et (2) que l’accusé croyait sincèrement que le plaignant avait communiqué son consentement

[121] L’accusé qui souhaite invoquer la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué doit d’abord démontrer la vraisemblance de celle‑ci. Le juge du procès doit ainsi se demander s’il existe une preuve qui permette à un juge des faits raisonnable agissant d’une manière judiciaire de conclure (1) que l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement et (2) que l’accusé croyait sincèrement que le plaignant avait communiqué son consentement. Notre Cour a confirmé récemment qu’en l’absence d’une preuve qui permette au juge des faits de conclure que l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement, la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué ne doit pas être laissée à l’appréciation du jury (voir R. c. Gagnon, 2018 CSC 41 (CanLII)). Cette même conclusion a été tirée dans bon nombre de décisions des cours d’appel provinciales, dont celle prononcée en l’espèce (voir p. ex. Cornejo, par. 19; R. c. Despins, 2007 SKCA 119 (CanLII), 228 C.C.C. (3d) 475, par. 6 et 11‑12; R. c. Dippel, 2011 ABCA 129 (CanLII), 281 C.C.C. (3d) 33, par. 22‑23 et 28; R. c. Flaviano, 2013 ABCA 219 (CanLII), 368 D.L.R. (4th) 393, par. 41 et 50, conf. par 2014 CSC 14 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 270; motifs de la Cour d’appel (2017), par. 250).

[122] Par conséquent, s’il n’y a pas de preuve qui permette au juge des faits de conclure que l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement, la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué est dépourvue de vraisemblance et ne doit pas être laissée à l’appréciation du jury. Cette analyse préliminaire joue un rôle important : elle soustrait à l’appréciation du jury les moyens de défense ne s’appuyant pas sur une preuve suffisante, évitant ainsi le risque que le jury puisse retenir à tort un moyen de défense défectueux. Par conséquent, contrairement à ce qui s’est produit au procès en l’espèce[8], on ne devrait pas faire abstraction du critère de la vraisemblance.

[123] En revanche, si la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué a une certaine vraisemblance, y compris en ce qui a trait à à l’obligation relative aux mesures raisonnables, il convient de laisser cette défense à l’appréciation du jury. Il incomberait alors au ministère public de réfuter cette défense, en établissant hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’a pas pris de mesures raisonnables. Le juge du procès devrait donner au jury des directives à cet égard et préciser que l’obligation relative aux mesures raisonnables est une condition préalable à la défense. Le juge du procès devrait en outre expliquer quel type de preuve peut ou ne peut pas, en droit, constituer des mesures raisonnables, en s’assurant que les mesures qui sont fondées sur des erreurs de droit sont reléguées dans la dernière catégorie. Si le ministère public ne parvient pas à faire cette démonstration hors de tout doute raisonnable, cela n’entraîne pas forcément un verdict d’acquittement. En pareil cas, le juge du procès devrait expliquer aux jurés qu’il leur appartient, en droit, de se demander si le ministère public a néanmoins établi hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’avait pas une croyance sincère mais erronée au consentement communiqué. Cette exigence découle du fait que la défense en question porte en définitive sur une « croyance sincère mais erronée au consentement communiqué », non sur les « mesures raisonnables ». Au bout du compte, si le ministère public ne réussit pas à réfuter la défense hors de tout doute raisonnable, l’accusé aura alors droit à un acquittement.

Lorsque les directives du juge du procès sont conformes à celles élaborées par les avocats et le juge du procès lors de la conférence préalable à l’exposé, et que les avocats n’expriment aucune opposition une fois que l’exposé est fait, c’est un euphémisme de dire que le silence de l’avocat constitue une simple “omission de s’opposer”.