MISE EN GARDE : Ordonnance limitant la publication – infractions d’ordre sexuel : Il est interdit de publier ou diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin (article 486.4(1) C.cr).

Girard c. R., 2021 QCCA 1707

L’utilisation d’expressions générales pour qualifier les témoignages, par exemple en évoquant que le récit de l’accusé n’a « aucun sens », qu’il est non crédible ou « rocambolesque» ou encore que celui d’autres témoins sont des « témoignages de complaisance », constitue en définitive l’emploi de formules creuses qui, à défaut d’être rattachées à des éléments de preuves bien précis, ne permettent pas à l’accusé de savoir pourquoi son témoignage n’a pas été retenu ou ne soulevait pas de doute raisonnable.

[38] Dans l’arrêt R.R. c. R.[10], le juge Chamberland soulignait que l’utilisation d’expressions générales pour qualifier les témoignages, par exemple en évoquant que le récit de l’accusé n’a « aucun sens », qu’il est non crédible ou « rocambolesque» ou encore que celui d’autres témoins sont des « témoignages de complaisance », constitue en définitive l’emploi de formules creuses qui, à défaut d’être rattachées à des éléments de preuves bien précis, ne permettent pas à l’accusé de savoir pourquoi son témoignage n’a pas été retenu ou ne soulevait pas de doute raisonnable. La Cour a ordonné la tenue d’un nouveau procès en raison des motifs « déficients, inadéquats et insaisissables » au point d’affecter les fondements mêmes de la décision sur les questions de crédibilité au cœur de l’affaire.

[39] Plus récemment dans P.G. c. R.[11], la Cour, sous la plume de la juge Savard, reprenait à son compte les propos du juge Chamberland dans R.R. c. R.[12] et réitérait l’importance d’une obligation de motivation adéquate lorsque la crédibilité des témoins et la fiabilité de leurs témoignages sont au cœur de l’affaire.

[40] En l’espèce, l’utilisation d’expressions semblables à celles employées par le juge dans R.R. c. R.[13] constitue-t-elle une erreur ou une entrave à l’examen en appel qui puisse justifier cette Cour d’écarter le verdict?

Une juridiction d’appel doit être rigoureuse dans son appréciation, en examinant les motifs qui posent problème dans le contexte de l’ensemble du dossier et en établissant si le juge du procès a commis ou non une erreur ou s’il y a eu entrave à l’examen en appel. Il ne suffit pas de dire que les motifs du juge du procès sont ambigus – la cour d’appel doit déterminer l’ampleur et l’importance de l’ambiguïté.

[41] Dans son arrêt récent R. c. G.F.[14], la Cour suprême rappelait que les cours d’appel doivent se garder de passer au peigne fin le texte des motifs de première instance à la recherche d’une erreur. Elle signalait que cela se produit particulièrement dans des affaires d’agression sexuelle où des condamnations justifiées rendues à la suite de procès équitables sont annulées, non pas sur le fondement d’une erreur juridique, mais sur la base d’une analyse détaillée de l’expression imparfaite ou sommaire de la part du juge du procès, plus souvent qu’autrement dans des dossiers où les conclusions relatives à la crédibilité sont contestées. Il convient de reproduire les paragraphes 79 à 81 des motifs de la juge Karakatsanis à cet égard[15] :

[79] Pour avoir gain de cause en appel, l’appelant doit établir l’existence d’une erreur ou d’une entrave à l’examen en appel : Sheppard, par. 54. Le simple fait de souligner les aspects ambigus de la décision de première instance n’établit ni l’une ni l’autre. Lorsque tout ce que l’on peut dire c’est que le juge du procès a peut‑être commis une erreur, l’appelant ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir qu’il y a effectivement erreur ou entrave à l’examen en appel. Lorsque des ambiguïtés dans les motifs du juge du procès se prêtent à de multiples interprétations, celles qui sont compatibles avec la présomption d’application correcte doivent être préférées à celles qui laissent entrevoir une erreur : R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, [2008] 1 R.C.S. 5, par. 10‑12, citant R. c. Morrissey (1995), 1995 CanLII 3498 (ON CA), 22 O.R. (3d) 514 (C.A.), p. 523‑525. Ce n’est que lorsque les ambiguïtés, examinées dans le contexte de l’ensemble du dossier, rendent inintelligible le raisonnement du juge du procès qu’il y a entrave à l’examen en appel : Sheppard, par. 46. Une juridiction d’appel doit être rigoureuse dans son appréciation, en examinant les motifs qui posent problème dans le contexte de l’ensemble du dossier et en établissant si le juge du procès a commis ou non une erreur ou s’il y a eu entrave à l’examen en appel. Il ne suffit pas de dire que les motifs du juge du procès sont ambigus – la cour d’appel doit déterminer l’ampleur et l’importance de l’ambiguïté.

[80] Dans les arrêts R. c. Kishayinew, 2020 CSC 34, inf. 2019 SKCA 127, 382 C.C.C. (3d) 560, et R. c. Slatter, 2020 CSC 36, inf. 2019 ONCA 807, 148 O.R. (3d) 81, la Cour a adopté les motifs d’un juge dissident qui avait conclu que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en examinant ensemble la crédibilité et la fiabilité. Dans les deux affaires, les juges présidant les procès avaient accepté les témoignages des plaignantes et les avaient jugées crédibles, même si les conclusions qu’ils avaient tirées au sujet de la fiabilité n’étaient pas explicites à la lecture des motifs.

[81] Comme le démontre l’arrêt Slatter, les conclusions sur la crédibilité que rend un juge du procès commandent une déférence particulière. Bien que le droit exige que des motifs soient exprimés pour de telles conclusions, il reconnaît également que dans notre système de justice, le juge du procès est le juge des faits et bénéficie de l’avantage intangible que lui confère le fait de présider le procès. Parfois, la preuve indépendante et objective, par exemple, simplifie les conclusions sur la crédibilité. Une preuve corroborante peut étayer une conclusion d’absence de consentement volontaire, mais elle n’est évidemment pas requise, ni toujours disponible. Souvent, particulièrement dans un cas d’agression sexuelle où le crime est habituellement commis en privé, il n’y a que peu d’éléments de preuve supplémentaires, et la formulation de motifs relatifs aux conclusions sur la crédibilité peut être plus difficile. Conscient de la présomption d’innocence et du fardeau de la Couronne de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable, le juge du procès s’efforce d’expliquer pourquoi la plaignante est jugée crédible, ou pourquoi l’accusé n’est pas jugé crédible, ou pourquoi la preuve ne soulève pas un doute raisonnable. Toutefois, comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt Gagnon, par. 20 :

Apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Il est très difficile pour le juge de première instance de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits.
[Soulignements ajoutés]

[42] Cela dit, doit-on pour autant conclure qu’il s’agit d’une invitation faite aux juges d’appel d’abdiquer leur rôle lorsqu’ils sont en présence de motifs déficients?

[43] J’estime que non.