R. c. G.F., 2021 CSC 20

[1] Le consentement est l’assise sur laquelle sont fondées les règles de droit canadiennes relatives aux agressions sexuelles. Depuis des décennies, la Cour reconnaît que « [l]e pouvoir de l’individu de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon est un aspect fondamental de la dignité et de l’autonomie de l’être humain » : R. c. Ewanchuk, 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330, par. 28. Par conséquent, le consentement est soigneusement circonscrit et ses contours sont jalousement protégés. Il est maintenant incontestable que le consentement est un état d’esprit subjectif, entièrement personnel à la plaignante[1]. Le consentement implicite n’a pas sa place au Canada, et l’éventail des croyances erronées qu’un accusé peut légalement avoir au sujet du consentement de la plaignante est strictement limité par le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46.

Les éléments essentiels du crime d’agression sexuelle

[25] L’actus reus de l’agression sexuelle exige que la Couronne établisse trois éléments : i) les attouchements; ii) d’une nature objectivement sexuelle; iii) auxquels la plaignante n’a pas consenti : Ewanchuk, par. 25; R. c. Chase, 1987 CanLII 23 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 293. Les deux premiers éléments sont établis objectivement, tandis que le troisième est subjectif et déterminé par rapport à l’état d’esprit dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l’égard des attouchements : Ewanchuk, par. 25‑26. À l’étape de la mens rea, la Couronne doit prouver que i) l’accusé avait l’intention de se livrer à des attouchements sur la plaignante; et ii) l’accusé savait que la plaignante ne consentait pas, ou il ne se souciait pas de savoir si elle consentait ou non, ou a fait preuve d’aveuglement volontaire à cet égard : Ewanchuk, par. 42. La perception qu’avait l’accusé du consentement est examinée dans le cadre de la mens rea, notamment la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué : R. c. Barton, 2019 CSC 33, par. 90.

[29] En ce qui concerne tout d’abord le par. 273.1(1), le consentement s’entend de « l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle ». Selon la jurisprudence de la Cour, l’analyse de la question de savoir si la plaignante a consenti ou non est purement subjective, et déterminée par rapport à l’état d’esprit dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l’égard des attouchements, lorsqu’ils ont eu lieu : Ewanchuk, par. 26‑27; R. c. J.A., 2011 CSC 28, [2011] 2 R.C.S. 440, par. 34 et 43‑44. À l’étape de l’actus reus, le consentement signifie que, dans son esprit, la plaignante a accepté que les attouchements sexuels aient lieu : Ewanchuk, par. 48; J.A., par. 23; R. c. Park, 1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836, par. 16, la juge L’Heureux‑Dubé; Barton, par. 89; R. c. Goldfinch, 2019 CSC 38, par. 44. Le consentement nécessite « l’accord volontaire du plaignant à chacun des actes sexuels accomplis à une occasion précise » : J.A., par. 31; voir aussi par. 34. De plus, le consentement n’est pas examiné dans l’abstrait; il doit plutôt se rattacher à l’activité sexuelle. Dans l’arrêt Hutchinson, la Cour a expliqué que « l’activité sexuelle » ne vise que l’acte sexuel, la nature sexuelle de cet acte et l’identité précise du ou des partenaires de la plaignante : par. 54‑57. Par conséquent, pour qu’il y ait consentement, la plaignante doit subjectivement consentir à l’acte, à sa nature sexuelle et à l’identité précise de son ou de ses partenaires : Barton, par. 88.

[30] La jurisprudence de la Cour regorge d’un éventail d’expressions pour désigner différents aspects du consentement. Bien que le Code criminel renvoie simplement au « consentement » (art. 265 et par. 273.1(1)), la Cour a parlé du « véritable consentement » (J.A., par. 36), du « consentement véritable » (R. c. Cuerrier, 1998 CanLII 796 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 371, par. 127), du « consentement apparent » (Ewanchuk, par. 36; Hutchinson, par. 4) et du « consentement subjectif » (Hutchinson, par. 37).

[31] Comme je l’explique plus loin, il y a deux aspects au concept global de consentement, dont l’absence constitue un élément essentiel de l’infraction d’agression sexuelle. Le premier aspect est ce que notre Cour a appelé le « consentement apparent » ou « consentement subjectif » : voir Hutchinson, par. 4 et 37. Il concerne les conclusions factuelles tirées par le juge des faits concernant la question de savoir si la plaignante a subjectivement et volontairement donné son accord à l’activité sexuelle. Si le juge des faits arrive à la conclusion qu’aucun accord de cette nature n’existait, l’actus reus de l’agression sexuelle sera établi.

[32] Bien que notre Cour ait déjà utilisé les expressions « consentement subjectif » et « consentement apparent » d’une façon qui semble interchangeable, cette dernière expression n’est pas compatible avec le fait que le consentement commande une appréciation subjective de l’état d’esprit personnel de la plaignante. Les considérations concernant ce qui peut être « apparent » ne sont pas pertinentes, car elles risquent de réintroduire dans le droit canadien relatif aux agressions sexuelles le concept du consentement implicite, rejeté depuis longtemps. Je préfère l’expression « consentement subjectif », qui dépeint de façon plus juste ce qu’exigent le Code criminel et notre jurisprudence pour que la plaignante donne, dans son esprit, un « accord volontaire [. . .] à l’activité sexuelle ».

[33] Si la plaignante n’a pas consenti subjectivement à l’activité (pour quelque raison que ce soit), l’actus reus est alors établi. Toutefois, la présence d’un consentement subjectif, ou d’un doute raisonnable quant à un tel consentement, ne met pas nécessairement fin à l’affaire en donnant lieu à un acquittement. Il y a un deuxième aspect au « consentement » pour les fins de l’actus reus de l’agression sexuelle — le consentement subjectif doit également être valide « en droit » : Ewanchuk, par. 36‑40; voir aussi R. c. Lutoslawski, 2010 ONCA 207, 260 O.A.C. 161, par. 15. Une autre façon de formuler la question est de se demander si le consentement subjectif a été vicié.

[34] La question de savoir si le consentement subjectif sera invalide en droit est ultimement une question d’intérêt public. À ce sujet, le droit prévoit que malgré l’accord subjectif de la plaignante, il est possible que celui‑ci ne puisse pas être valide en droit. Parfois, le principe qui prévoit la viciation du consentement provient de la common law[2]. Dans d’autres cas, le principe est prévu par la loi. Dans le contexte d’une agression sexuelle, le Code criminel énonce aux par. 265(3) et 273.1(2) une série de facteurs qui vicieront le consentement subjectif.

Le paragraphe 265(3) indique quatre facteurs qui vicieront le consentement subjectif à une activité sexuelle. L’alinéa 273.1(2)c) prévoit aussi que le consentement subjectif est vicié lorsque l’accusé incite la plaignante à l’activité sexuelle par abus de confiance ou de pouvoir. Lorsque le consentement subjectif résulte de ces facteurs, la plaignante a été privée du pouvoir de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon, et le consentement n’est pas valide en droit.

Toutefois, ces facteurs n’empêchent pas qu’il y ait consentement subjectif. Ils dénotent plutôt que, même si la plaignante a permis l’activité sexuelle, il existe des circonstances où ce consentement subjectif sera vicié — c’est‑à‑dire réputé nul et sans effet. La distinction entre empêcher qu’il y ait consentement subjectif et le rendre invalide est peut‑être subtile, mais elle est importante. Un facteur qui empêche qu’il y ait consentement subjectif doit logiquement être lié à ce qu’exige le consentement subjectif. À l’inverse, un facteur qui vicie le consentement subjectif n’a aucun lien avec les conditions du consentement subjectif et doit trouver appui dans des considérations plus larges d’intérêt public, et être justifié par celles‑ci.

[35] Le paragraphe 265(3) indique quatre facteurs qui vicieront le consentement subjectif à une activité sexuelle. Le consentement subjectif ne peut être valide en droit s’il résulte de l’emploi de la force, de menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi, de certains types de fraudes ou de l’exercice de l’autorité : al. 265(3)a) à d). L’alinéa 273.1(2)c) prévoit aussi que le consentement subjectif est vicié lorsque l’accusé incite la plaignante à l’activité sexuelle par abus de confiance ou de pouvoir : Hutchinson, par. 4. Lorsque le consentement subjectif résulte de ces facteurs, la plaignante a été privée du pouvoir de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon, et le consentement n’est pas valide en droit : Ewanchuk, par. 28 et 37‑39; Saint‑Laurent c. Hétu, 1993 CanLII 4380 (QC CA), [1994] R.J.Q. 69 (C.A.), le juge Fish.

[36] Toutefois, ces facteurs n’empêchent pas qu’il y ait consentement subjectif. Ils dénotent plutôt que, même si la plaignante a permis l’activité sexuelle, il existe des circonstances où ce consentement subjectif sera vicié — c’est‑à‑dire réputé nul et sans effet. La distinction entre empêcher qu’il y ait consentement subjectif et le rendre invalide est peut‑être subtile, mais elle est importante. Un facteur qui empêche qu’il y ait consentement subjectif doit logiquement être lié à ce qu’exige le consentement subjectif. À l’inverse, un facteur qui vicie le consentement subjectif n’a aucun lien avec les conditions du consentement subjectif et doit trouver appui dans des considérations plus larges d’intérêt public, et être justifié par celles‑ci.

[37] L’exemple de la fraude met cette distinction en évidence. Selon le type de fraude, il peut y avoir trois conséquences : elle peut empêcher qu’il y ait consentement subjectif, elle peut le vicier, ou elle peut simplement n’avoir aucun lien avec l’analyse juridique du consentement.

[38] La fraude qui empêche qu’il y ait consentement subjectif doit être intrinsèquement liée aux conditions du consentement subjectif. Par exemple, le consentement subjectif exige que la plaignante consente à l’identité précise de la personne qui pose l’acte : Hutchinson, par. 57. Si, par suite d’une fraude, la plaignante se livre à une activité sexuelle avec une personne autre que celle avec laquelle elle croit être, il n’y a alors pas de consentement subjectif parce que les conditions du consentement subjectif ne sont pas réunies : Hutchinson, par. 57‑63. Cependant, à l’étape de l’actus reus, une simple erreur a le même effet. Une plaignante ne consent pas à « l’activité sexuelle » lorsqu’elle se livre par erreur à une activité sexuelle avec la mauvaise personne : voir, p. ex., R. c. G.C., 2010 ONCA 451, 266 O.A.C. 299, par. 20‑24.

[39] La fraude qui n’est pas liée aux conditions pour qu’il y ait consentement subjectif ne peut pas logiquement empêcher qu’un tel consentement se forme, mais peut le vicier. Par conséquent, l’al. 265(3)c) vise la fraude qui se rapporte à autre chose qu’à « l’activité sexuelle » : Hutchinson, par. 55. Sur le plan de la politique criminelle, toutefois, la fraude qui vicie le consentement est soumise à une norme beaucoup plus exigeante que la fraude qui empêche le consentement. Bien que cette dernière soit interchangeable avec une erreur, la fraude ne viciera le consentement que lorsqu’elle comporte le « caractère répréhensible d’un acte criminel » : Cuerrier, par. 133; voir aussi Hutchinson, par. 42.

[40] Si la fraude n’est pas liée aux conditions pour qu’il y ait consentement subjectif et ne comporte pas le caractère répréhensible d’un acte criminel, elle n’aura aucun effet sur l’analyse juridique du consentement. C’est pourquoi le fait de mentir au sujet de questions comme sa profession ou la valeur nette de ses avoirs est peut-être immoral, mais ce n’est pas criminel : Cuerrier, par. 133‑135.

[41] La fraude met donc en évidence la distinction entre les facteurs qui empêchent le consentement subjectif, les facteurs qui le vicient et les facteurs qui ne se rapportent pas à l’analyse juridique du consentement. Pour empêcher qu’il y ait consentement subjectif, le facteur doit empêcher qu’une condition relative au consentement subjectif soit respectée. Si tel n’est pas le cas, il ne peut que vicier le consentement, ce qui implique des questions générales de politique en matière de droit criminel sans rapport avec les conditions relatives au consentement subjectif. Si les réponses à ces questions ne justifient pas les lourdes conséquences du droit criminel, alors le facteur ne se rapporte pas à l’analyse juridique du consentement.

La capacité doit logiquement être interprétée comme une condition préalable au consentement subjectif. Ce dernier exige que la plaignante formule en son for intérieur un accord volontaire à l’activité sexuelle. Il s’ensuit naturellement que la plaignante doit être capable de former un tel accord.

[42] Les intimés, avec l’appui de l’intervenante, soutiennent que l’incapacité vicie le consentement subjectif plutôt qu’elle ne l’empêche. Je rejette cette affirmation pour trois raisons.

[43] D’abord, la capacité doit logiquement être interprétée comme une condition préalable au consentement subjectif. Ce dernier exige que la plaignante formule en son for intérieur un accord volontaire à l’activité sexuelle : J.A., par. 31, 36 et 45; Barton, par. 88. Il s’ensuit naturellement que la plaignante doit être capable de former un tel accord.

L’incapacité en tant que facteur viciant le consentement serait incompatible avec la structure du Code criminel.

Le paragraphe 265(3) énonce uniquement des facteurs viciant le consentement, tandis que le par. 273.1(2) comporte de multiples facettes, qui servent principalement à préciser la définition générale de « consentement » du par. 273.1(1) : J.A., par. 29. Seule la situation prévue à l’al. 273.1(2)c) vicie le consentement, soit celle où le consentement de la plaignante obtenu par la contrainte, la fraude ou un abus de confiance ou de pouvoir est présumé invalide en droit : Hutchinson, par. 4; R. c. Snelgrove, 2019 CSC 16, [2019] 2 R.C.S. 98, par. 3‑4. Les autres facteurs indiqués au par. 273.1(2) semblent préciser ce qu’exige le consentement subjectif.

[44] Ensuite, l’incapacité en tant que facteur viciant le consentement serait incompatible avec la structure du Code criminel. La définition du consentement dans le contexte d’une agression sexuelle, prévue au par. 273.1(1), est donnée « [s]ous réserve » du par. 265(3), qui prévoit les circonstances où les éléments « ne constitue[nt] pas un consentement », et du par. 273.1(2), qui prévoit les circonstances où « il n’y a pas de consentement du plaignant ». Le paragraphe 265(3) énonce uniquement des facteurs viciant le consentement, tandis que le par. 273.1(2) comporte de multiples facettes, qui servent principalement à préciser la définition générale de « consentement » du par. 273.1(1) : J.A., par. 29. Seule la situation prévue à l’al. 273.1(2)c) vicie le consentement, soit celle où le consentement de la plaignante obtenu par la contrainte, la fraude ou un abus de confiance ou de pouvoir est présumé invalide en droit : Hutchinson, par. 4; R. c. Snelgrove, 2019 CSC 16, [2019] 2 R.C.S. 98, par. 3‑4. Les autres facteurs indiqués au par. 273.1(2) semblent préciser ce qu’exige le consentement subjectif. On ne saurait affirmer que la plaignante qui manifeste l’absence d’accord a subjectivement consenti : al. 273.1(2)d) et e). De même, il n’y a aucun consentement subjectif susceptible d’être vicié si l’accord provient d’un tiers : al. 273.1(2)a). Dans l’arrêt J.A., notre Cour, lorsqu’elle a établi que l’accord doit être concomitant aux attouchements, a rejeté la thèse selon laquelle l’inconscience, qui est maintenant prévue à l’al. 273.1(2)a.1), vicie le consentement : par. 33. À mon avis, l’incapacité visée à l’al. 273.1(2)b) est une autre disposition apportant des précisions. Comme l’inconscience, l’incapacité prive la plaignante de la capacité de formuler un accord subjectif : J.A., par. 33. La plaignante privée de sa capacité ne peut donner un accord volontaire à l’activité sexuelle et ne peut donc pas donner un consentement subjectif.

[45] La troisième et dernière raison provient du besoin de certitude en droit criminel. La capacité en tant que condition préalable au consentement subjectif assure cette certitude parce qu’elle est inextricablement liée à ce qu’exige le consentement subjectif : l’accord volontaire concomitant à l’activité sexuelle. La capacité à consentir exige que la plaignante soit capable de comprendre ce qui est nécessaire pour qu’il y ait consentement subjectif — ni plus, ni moins.

[46] Inversement, l’incapacité en tant que facteur viciant le consentement serait accompagnée d’une série d’incertitudes. Sans lien avec les conditions pour qu’il y ait consentement, l’appréciation de l’incapacité devrait mener à la conclusion que, même si la plaignante a donné son accord volontaire à l’activité sexuelle, à un certain moment son processus décisionnel était si affaibli que le consentement subjectif n’était plus valide. Cela apporterait beaucoup d’incertitude à la tâche d’établir l’actus reus de l’agression sexuelle; l’outil brut du droit criminel n’est pas adapté à la délicate tâche de déterminer à quel moment la plaignante a fait un choix libre et volontaire alors que ses capacités étaient affaiblies. D’autres difficultés et incertitudes pourraient survenir à l’étape de la mens rea lorsqu’il faudrait évaluer si l’accusé était conscient du fait que le processus décisionnel de la plaignante était affaibli.

La capacité de consentir doit être une condition préalable au consentement subjectif. Il ne s’agit pas d’une question de viciation. Si la Couronne prouve hors de tout doute raisonnable que la plaignante n’était pas capable de donner son consentement ou n’a pas donné son accord à l’activité sexuelle, elle a alors prouvé l’absence de consentement subjectif et l’actus reus est établi.

[47] Pour ces motifs, la capacité de consentir doit être une condition préalable au consentement subjectif. Il ne s’agit pas d’une question de viciation. Si la Couronne prouve hors de tout doute raisonnable que la plaignante n’était pas capable de donner son consentement ou n’a pas donné son accord à l’activité sexuelle, elle a alors prouvé l’absence de consentement subjectif et l’actus reus est établi.

[51] De plus, l’arrêt Hutchinson n’exige pas que les différents aspects du consentement subjectif soient examinés dans un ordre rigoureux. Bien qu’en toute logique, une plaignante doive être capable de consentir pour qu’il soit possible de conclure dans les faits qu’elle a consenti, un juge du procès peut être saisi d’éléments de preuve indiquant que la plaignante était incapable de consentir et qu’elle n’a pas non plus donné son accord à l’activité sexuelle, et l’une ou l’autre de ces conclusions établira l’absence de consentement subjectif. Même si dans certains cas, il peut être plus respectueux à l’égard de la dignité de la plaignante de se pencher d’abord sur la question de savoir si elle a donné son accord à l’activité sexuelle (voir J. Benedet et I. Grant, « Hearing the Sexual Assault Complaints of Women with Mental Disabilities : Consent, Capacity, and Mistaken Belief » (2007), 52 R.D. McGill 243, p. 270), aucune exigence stricte n’oblige le juge du procès à examiner un aspect avant ou après l’autre.

[52] De même, il ne faut pas considérer l’arrêt Hutchinson comme imposant au juge des faits un ordre strict des opérations lorsqu’il examine la question du consentement subjectif et celle de la validité du consentement en droit. Bien qu’il soit habituellement logique au sens analytique d’aborder en premier lieu le consentement subjectif et ensuite la validité du consentement en droit, le juge du procès ne commettra pas nécessairement une erreur s’il ne suit pas cet ordre. Il peut y avoir une preuve claire que le consentement subjectif est vicié. Par exemple, si une plaignante a été contrainte de se livrer à une activité sexuelle par des menaces de violence, on peut difficilement qualifier d’erreur susceptible de révision le fait que le juge du procès conclue qu’il ne pouvait y avoir de consentement valide en droit, même s’il y avait consentement subjectif.

[53] Bref, pour conclure à l’existence d’un consentement subjectif, il faut que la plaignante ait été capable de consentir et qu’elle ait donné son accord à l’activité sexuelle. Une conclusion selon laquelle la plaignante était incapable de consentir ou n’a pas donné son accord à l’activité sexuelle établira l’absence de consentement subjectif. Il n’est pas nécessaire que ces deux aspects du consentement subjectif soient examinés dans un ordre strict. Ce n’est que si le consentement subjectif existe, ou s’il y a un doute raisonnable quant à celui‑ci, que le juge des faits doit aller plus loin et chercher à savoir si ce consentement était vicié.

[54] La question de savoir si la plaignante avait la capacité de consentir ne sera pas toujours en litige, pas plus que celle de savoir si le consentement subjectif était vicié. De telles questions sont tributaires des faits et du contexte propres à chaque cas.

Les quatre exigences pour qu’il y ait capacité

[55] Vu que la capacité est une condition préalable au consentement subjectif, les exigences pour qu’il y ait capacité sont liées à celles pour qu’il y ait consentement subjectif en tant que tel. Étant donné que le consentement subjectif doit être lié à l’activité sexuelle, la capacité à consentir exige que la plaignante soit lucide et capable de comprendre chaque élément de l’activité sexuelle : l’acte physique, sa nature sexuelle et l’identité précise de son partenaire : Barton, par. 88; Hutchinson, par. 54‑57.

[56] Il existe une autre exigence. Parce que le consentement subjectif exige un « accord volontaire », la plaignante doit être capable de comprendre qu’elle a le choix de se livrer ou non à l’activité sexuelle : Code criminel, par. 273.1(1). À tout le moins, l’accord volontaire exigerait que la plaignante exerce le choix de se livrer à l’activité sexuelle. Dans ce sens précis, afin de donner son accord volontaire à l’activité sexuelle, la plaignante doit comprendre qu’elle peut dire « non ». Dans l’arrêt J.A., la Cour a conclu que le consentement exige que la plaignante soit « lucide » au moment des attouchements, qu’elle soit en mesure d’évaluer chaque acte sexuel et de choisir d’y consentir ou non : par. 36 et 43‑44. Par conséquent, une plaignante inconsciente ne peut pas donner de consentement concomitant. Il s’ensuit que lorsque la plaignante est incapable de comprendre qu’elle a le choix de se livrer à l’activité ou de refuser de s’y livrer, elle est incapable de consentir. En conséquence, la plaignante qui est incapable de dire non, ou qui croit qu’elle n’a pas le choix, n’est pas capable de formuler un consentement subjectif : voir R. c. Al‑Rawi, 2018 NSCA 10, 359 C.C.C. (3d) 237, par. 60, citant R. c. Daigle (1997), 1997 CanLII 9934 (QC CA), 127 C.C.C. (3d) 130 (C.A. Qc), conf. par 1998 CanLII 786 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 1220.

[57] En résumé, pour que la plaignante soit capable de donner un consentement subjectif à l’activité sexuelle, elle doit être capable de comprendre quatre choses :

1. l’acte physique;

2. le fait que l’acte est de nature sexuelle;

3. l’identité précise de son ou ses partenaires; et

4. le fait qu’elle peut refuser de participer à l’activité sexuelle.

[58] La plaignante ne sera en mesure de donner un consentement subjectif que si elle est capable de comprendre ces quatre facteurs. Si la Couronne prouve l’absence d’un seul facteur hors de tout doute raisonnable, alors la plaignante est incapable de donner un consentement subjectif et l’absence de consentement est établie à l’étape de l’actus reus. Il ne serait pas nécessaire d’examiner la question de la validité du consentement en droit, puisqu’il n’y aurait aucun consentement subjectif pouvant être vicié.

Malgré les indications claires données par la Cour depuis que l’arrêt Sheppard a été rendu il y a 19 ans, selon lesquelles l’examen des motifs doit être fonctionnel et contextuel, nous continuons à voir des décisions des juridictions d’appel où le tribunal passe au peigne fin le texte des motifs de première instance à la recherche d’une erreur.

[76] Malgré les indications claires données par la Cour depuis que l’arrêt Sheppard a été rendu il y a 19 ans, selon lesquelles l’examen des motifs doit être fonctionnel et contextuel, nous continuons à voir des décisions des juridictions d’appel où le tribunal passe au peigne fin le texte des motifs de première instance à la recherche d’une erreur. Cela se produit particulièrement dans des affaires d’agression sexuelle, où des condamnations justifiées rendues à la suite de procès équitables sont annulées non pas sur le fondement d’une erreur juridique, mais sur le fondement d’une analyse détaillée de l’expression imparfaite ou sommaire de la part du juge du procès. Bien souvent, ce sont les conclusions relatives à la crédibilité qui sont contestées.

[77] Dans trois récents appels de plein droit, notre Cour a rétabli les déclarations de culpabilité pour agression sexuelle qui avaient été annulées en appel, se ralliant ainsi à l’opinion d’un juge dissident.

[78] Dans l’arrêt R. c. Langan, 2020 CSC 33, inf. 2019 BCCA 467, 383 C.C.C. (3d) 516, la Cour a fait siens les motifs dissidents du juge en chef Bauman, qui avait conclu que l’utilisation ambiguë par le juge du procès de certains messages textes n’établissait pas l’existence d’une erreur à la lumière d’une interprétation fonctionnelle et contextuelle. Le juge en chef Bauman a conclu, étant donné qu’il y avait des raisons valables d’admettre en preuve les messages textes, que [traduction] « nous ne devrions pas supposer que les éléments de preuve admis à bon droit ont été mal utilisés, en l’absence d’indications claires du contraire » : Langan (C.A.), par. 103; voir aussi par. 140.

[79] Pour avoir gain de cause en appel, l’appelant doit établir l’existence d’une erreur ou d’une entrave à l’examen en appel : Sheppard, par. 54. Le simple fait de souligner les aspects ambigus de la décision de première instance n’établit ni l’une ni l’autre. Lorsque tout ce que l’on peut dire c’est que le juge du procès a peut‑être commis une erreur, l’appelant ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir qu’il y a effectivement erreur ou entrave à l’examen en appel. Lorsque des ambiguïtés dans les motifs du juge du procès se prêtent à de multiples interprétations, celles qui sont compatibles avec la présomption d’application correcte doivent être préférées à celles qui laissent entrevoir une erreur : R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, [2008] 1 R.C.S. 5, par. 10‑12, citant R. c. Morrissey (1995), 1995 CanLII 3498 (ON CA), 22 O.R. (3d) 514 (C.A.), p. 523‑525. Ce n’est que lorsque les ambiguïtés, examinées dans le contexte de l’ensemble du dossier, rendent inintelligible le raisonnement du juge du procès qu’il y a entrave à l’examen en appel : Sheppard, par. 46. Une juridiction d’appel doit être rigoureuse dans son appréciation, en examinant les motifs qui posent problème dans le contexte de l’ensemble du dossier et en établissant si le juge du procès a commis ou non une erreur ou s’il y a eu entrave à l’examen en appel. Il ne suffit pas de dire que les motifs du juge du procès sont ambigus — la cour d’appel doit déterminer l’ampleur et l’importance de l’ambiguïté.

[80] Dans les arrêts R. c. Kishayinew, 2020 CSC 34, inf. 2019 SKCA 127, 382 C.C.C. (3d) 560, et R. c. Slatter, 2020 CSC 36, inf. 2019 ONCA 807, 148 O.R. (3d) 81, la Cour a adopté les motifs d’un juge dissident qui avait conclu que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en examinant ensemble la crédibilité et la fiabilité. Dans les deux affaires, les juges présidant les procès avaient accepté les témoignages des plaignantes et les avaient jugées crédibles, même si les conclusions qu’ils avaient tirées au sujet de la fiabilité n’étaient pas explicites à la lecture des motifs.

[81] Comme le démontre l’arrêt Slatter, les conclusions sur la crédibilité que rend un juge du procès commandent une déférence particulière. Bien que le droit exige que des motifs soient exprimés pour de telles conclusions, il reconnaît également que dans notre système de justice, le juge du procès est le juge des faits et bénéficie de l’avantage intangible que lui confère le fait de présider le procès. Parfois, la preuve indépendante et objective, par exemple, simplifie les conclusions sur la crédibilité. Une preuve corroborante peut étayer une conclusion d’absence de consentement volontaire, mais elle n’est évidemment pas requise, ni toujours disponible. Souvent, particulièrement dans un cas d’agression sexuelle où le crime est habituellement commis en privé, il n’y a que peu d’éléments de preuve supplémentaires, et la formulation de motifs relatifs aux conclusions sur la crédibilité peut être plus difficile. Conscient de la présomption d’innocence et du fardeau de la Couronne de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable, le juge du procès s’efforce d’expliquer pourquoi la plaignante est jugée crédible, ou pourquoi l’accusé n’est pas jugé crédible, ou pourquoi la preuve ne soulève pas un doute raisonnable. Toutefois, comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt Gagnon, par. 20 :

Apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Il est très difficile pour le juge de première instance de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits.

Selon une interprétation fonctionnelle et contextuelle des motifs de première instance, les juridictions d’appel devraient non pas prendre en considération le fait que le juge du procès a expressément utilisé les mots « crédibilité » et « fiabilité », mais plutôt se demander s’il s’est penché sur les facteurs pertinents qui se rapportent à la vraisemblance de la preuve dans le contexte factuel de l’affaire, notamment les préoccupations concernant la véracité et l’exactitude.

Pour autant que les juges présidant des procès se penchent sur ces considérations, ils ne sont pas tenus de prononcer le mot « fiable ».

[82] Les conclusions sur la crédibilité doivent également être appréciées en fonction de la présomption d’application correcte du droit, surtout en ce qui concerne le rapport entre fiabilité et crédibilité. La jurisprudence insiste souvent sur la distinction entre fiabilité et crédibilité, assimilant la fiabilité à la capacité d’un témoin d’observer, de se souvenir et de raconter les événements avec précision, et faisant référence à la crédibilité comme étant la sincérité ou l’honnêteté d’un témoin : voir, p. ex., R. c. H.C., 2009 ONCA 56, 244 O.A.C. 288, par. 41. Toutefois, selon une interprétation fonctionnelle et contextuelle des motifs de première instance, les juridictions d’appel devraient non pas prendre en considération le fait que le juge du procès a expressément utilisé les mots « crédibilité » et « fiabilité », mais plutôt se demander s’il s’est penché sur les facteurs pertinents qui se rapportent à la vraisemblance de la preuve dans le contexte factuel de l’affaire, notamment les préoccupations concernant la véracité et l’exactitude. La volonté du juge du procès d’accepter ou de croire le témoignage incriminant d’une plaignante comprend une appréciation implicite de la véracité ou la sincérité et de l’exactitude ou la fiabilité : Vuradin, par. 16. Souvent, le mot « crédibilité » est utilisé dans ce sens plus large pour désigner la vraisemblance de la preuve et comprend nécessairement la véracité et l’exactitude : McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), vol. 3, p. 30‑1 et 30‑2. Par exemple, selon le Black’s Law Dictionary (11e éd. 2019), p. 463, la crédibilité s’entend de [traduction] « [l]a qualité qui rend quelque chose (comme un témoin ou des éléments de preuve) digne de foi » et les modèles de directives au jury incluent la véracité et l’exactitude dans les évaluations de la « crédibilité » : G. A. Ferguson et M. R. Dambrot, CRIMJI : Canadian Criminal Jury Instructions (4e éd. (feuilles mobiles)). Pour autant que les juges présidant des procès se penchent sur ces considérations, ils ne sont pas tenus de prononcer le mot « fiable ».