Versailles c. R., 2023 QCCA 1046

L’article 723 C.cr. n’est pas une invitation faite au juge d’usurper le rôle de l’avocat. Ainsi, avant d’exiger la présentation d’une preuve, le juge devrait consulter les parties par rapport aux éléments recherchés et leur pertinence, tout en leur offrant la possibilité de la présenter elles-mêmes.

[25]      Lorsque le juge doit tenir compte d’un facteur dans la détermination de la peine, mais ne dispose pas de la preuve nécessaire à une analyse adéquate, cette disposition lui permet de requérir une telle preuve[10]. Ce pouvoir reflète le principe selon lequel, en matière de détermination de la peine, les règles de preuve sont plus souples et permettent au juge de s’assurer qu’il détient les renseignements utiles et nécessaires à la détermination de la peine appropriée[11].

[26]      Dans l’exercice de ce pouvoir, le juge ne doit pas perdre de vue que le processus criminel demeure contradictoire et que ce sont généralement les parties qui introduisent la preuve. L’article 723 C.cr. n’est pas une invitation faite au juge d’usurper le rôle de l’avocat. Ainsi, avant d’exiger la présentation d’une preuve, le juge devrait consulter les parties par rapport aux éléments recherchés et leur pertinence, tout en leur offrant la possibilité de la présenter elles-mêmes[12].

[27]      En l’espèce, lors de l’audience du 16 juillet 2021, le juge est intervenu à de nombreuses reprises pendant la plaidoirie du procureur de l’appelant quant à l’opportunité de faire entendre des témoins, et ce, principalement sur la question de la quantité de cannabis requise pour subvenir à des besoins thérapeutiques. L’intimé soutient qu’il n’y a aucune preuve établissant que le juge était prédisposé à ne pas retenir la preuve d’usage thérapeutique bien qu’il ait soulevé des questions à ce sujet. Selon lui, le juge a gardé l’esprit ouvert et rien dans sa conduite ne donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[28]      Je ne suis pas de cet avis. L’examen des circonstances dans lesquelles le juge a exigé une preuve additionnelle suivant l’article 723C.cr. soulève une crainte raisonnable de partialité.

L’impartialité judiciaire et l’apparence d’impartialité judiciaire sont mieux assurées lorsque le juge tranche entre les positions avancées par les parties.

[32]      L’impartialité judiciaire et l’apparence d’impartialité judiciaire sont mieux assurées lorsque le juge tranche entre les positions avancées par les parties. La Cour d’appel de l’Ontario précise ce point dans l’extrait suivant de sa décision dans l’affaire Hamilton :

[68] The trial judge’s role as the arbiter of the respective merits of competing positions developed and put before the trial judge by the parties best ensures judicial impartiality and the appearance of judicial impartiality. Human nature is such that it is always easier to objectively assess the merits of someone else’s argument. The relatively passive role assigned to the trial judge also recognizes that judges, by virtue of their very neutrality, are not in a position to make informed decisions as to which issues should be raised, or the evidence that should be led. (…)[13].

[33]      On ne peut reprocher au juge d’avoir été confronté à une situation similaire dans le passé et de connaître un expert particulier sur le sujet de l’utilisation thérapeutique de la marijuana. Cependant, il y a une différence importante entre identifier la nécessité d’une preuve supplémentaire sur une question à être tranchée et mener le processus afin de parvenir à un résultat particulier. Plutôt que de rester au-dessus de la mêlée, la conduite du juge laisse penser qu’il a adopté une position contraire aux intérêts de l’appelant.

[34]      De plus, la manière dont la preuve additionnelle a été administrée est également problématique.

[35]      La partie de l’audience au cours de laquelle les témoins appelés par le juge ont été entendus s’apparente à une enquête. Non seulement a-t-il pris en charge l’administration de la preuve, en procédant lui-même à l’interrogatoire en chef des témoins, mais il a abordé des sujets qui n’avaient pas été discutés au préalable avec les parties et qui n’avaient au mieux qu’un rapport indirect avec les questions en litige. C’était notamment le cas des sujets suivants : (i) la valeur de la récolte qu’une serre telle que celle en cause peut générer; (ii) la composition chimique du cannabis sous ses diverses formes; et (iii) le fondement de la décision de Santé Canada de délivrer un certificat à l’appelant en 2020 lui permettant de cultiver jusqu’à 195 plants à des fins thérapeutiques[14].

A sentencing judge cannot assume “the combined role of advocate, witness and judge”. He or she may not become “the prime source of information in respect” of issues during the sentencing hearing or emerge as “the driving force pursuing those issues during the proceedings.

[55]      Par conséquent, il m’est impossible de considérer le recours à l’article 723 C.cr. en l’espèce comme une tentative d’assurer l’imposition d’une peine proportionnée au sens de l’arrêt Hamilton[32], puisqu’à mon avis, une telle preuve n’avait pour but que d’ébranler un facteur atténuant avancé en défense, en usurpant, ce faisant, le rôle de la poursuite, qui avait fait le choix de ne pas produire de preuve contraire à ce sujet. Or, tel que le signalait notre Cour dans l’arrêt Baptiste c. R.[33] :

[35]   A sentencing judge cannot assume “the combined role of advocate, witness and judge”. He or she may not become “the prime source of information in respect” of issues during the sentencing hearing or emerge as “the driving force pursuing those issues during the proceedings.”

[56]      Dans de telles circonstances, le recours à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’article 723 C.cr. pour étayer son point de vue sur le manque de fondement d’une prétention d’une partie, alors que les éléments contenus dans le dossier permettaient déjà d’en apprécier le poids, m’apparaît déraisonnable et non judiciaire. L’approche du juge n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle écartée récemment par cette Cour dans Labonté Martin c. R.[34], où, incidemment, le même juge avait exigé la comparution d’un témoin expert en armes à feu parce que la peine de trois ans d’emprisonnement proposée à titre de suggestion commune par les parties lui semblait manifestement non indiquée, avant d’imposer une peine de six ans.