R. c. McColman, 2023 CSC 8

La méthode moderne d’interprétation législative

[35] Selon la méthode moderne d’interprétation législative, « il faut lire les termes d’une loi “dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur” » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, par. 117, citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26, citant tous deux E. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; voir aussi Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49, par. 37. Lorsqu’il détermine le sens du texte, le tribunal ne peut lire une disposition législative isolément, mais il doit plutôt lire celle‑ci à la lumière de l’économie générale de la loi : Rizzo, par. 21.

[36] Dans son argumentation écrite et lors des plaidoiries orales, le ministère public a attaché beaucoup d’importance aux objectifs plus larges qui sous‑tendent le Code de la route. Cependant, une analyse téléologique n’autorise pas l’interprète à faire abstraction du sens clair de la loi : voir R. c. D.A.I., 2012 CSC 5, [2012] 1 R.C.S. 149, par. 26.

Les tribunaux de première instance doivent évaluer en profondeur chacune des trois questions. Un examen superficiel du test de l’arrêt Grant empêche un contrôle approprié en appel et fait passer l’analyse fondée sur le par. 24(2) d’une analyse contextuelle à une règle de démarcation très nette.

[53] Le paragraphe 24(2) exige que les éléments de preuve obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis à l’accusé par la Charte soient écartés du procès s’il est établi, « eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». L’analyse fondée sur le par. 24(2) est une analyse objective, qui se fait du point de vue d’une personne raisonnable, et il incombe à la partie qui sollicite l’exclusion de convaincre le tribunal que l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice : Grant, par. 68.

[54] Le paragraphe 24(2) est axé sur le maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et de la confiance du public à son égard. En conséquence, l’exclusion d’éléments de preuve en vertu du par. 24(2) ne vise pas à sanctionner l’inconduite des policiers ou à dédommager l’accusé, mais a plutôt une portée systémique et institutionnelle : Grant, par. 70. Dans l’arrêt Grant, notre Cour a expliqué que l’analyse fondée sur le par. 24(2) soulève trois questions : (1) la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte; (2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Les tribunaux sont chargés de mettre en balance l’appréciation de chacune de ces questions, mais comme il a été reconnu dans Grant, « [l]a mise en balance requise par le par. 24(2) est de nature qualitative, la précision mathématique est donc impossible » : par. 140.

[55] Les tribunaux de première instance doivent évaluer en profondeur chacune des trois questions. Un examen superficiel du test de l’arrêt Grant empêche un contrôle approprié en appel et fait passer l’analyse fondée sur le par. 24(2) d’une analyse contextuelle à une règle de démarcation très nette.

[56] Dans le cas qui nous occupe, le juge du procès n’a pas procédé à une analyse fondée sur l’arrêt Grant, puisqu’il a conclu que le par. 48(1) du Code de la route autorisait l’interception aléatoire de vérification de la sobriété et que l’art. 9 n’avait pas été violé. En conséquence, notre Cour doit effectuer de nouveau l’analyse fondée sur l’arrêt Grant.

Bien que les deux premières questions agissent généralement en tandem en ce qu’elles font toutes deux pencher la balance en faveur de l’exclusion des éléments de preuve, le niveau de force avec lequel elles font pencher la balance n’a pas besoin d’être identique pour que l’exclusion soit requise. C’est le poids cumulatif des deux premières questions que les juges du procès doivent considérer et mettre en balance par rapport à la troisième question lorsqu’ils examinent si les éléments de preuve devraient être écartés.

[59] Il convient de signaler d’entrée de jeu que la première et la deuxième question sont distinctes. La première question évalue la conduite étatique elle‑même, tandis que la deuxième question va plus loin et apprécie l’incidence de la conduite étatique sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte. Notre Cour a souligné que « [b]ien que les deux premières questions agissent généralement en tandem en ce qu’elles font toutes deux pencher la balance en faveur de l’exclusion des éléments de preuve, le niveau de force avec lequel elles font pencher la balance n’a pas besoin d’être identique pour que l’exclusion soit requise » : R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, par. 141. Comme il a été noté dans R. c. Lafrance, 2022 CSC 32, par. 90, « c’est le poids cumulatif des deux premières questions que les juges du procès doivent considérer et mettre en balance par rapport à la troisième question lorsqu’ils examinent si les éléments de preuve devraient être écartés » (en italique dans l’original). Dans certaines situations, seule une des deux premières questions militera en faveur de l’exclusion des éléments de preuve. La conduite étatique qui n’est pas particulièrement grave pourrait néanmoins avoir une incidence importante sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte. À l’inverse, la conduite étatique qui est scandaleuse pourrait avoir une incidence minimale sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte. Les tribunaux doivent prendre garde de ne pas regrouper les deux premières questions en une seule analyse non structurée.

La société a un intérêt vital à lutter contre l’alcool au volant

[72] Deuxièmement, la conduite avec facultés affaiblies est une infraction grave. Notre Cour a reconnu que la société a un intérêt vital à lutter contre l’alcool au volant. Dans l’arrêt R. c. Bernshaw, 1995 CanLII 150 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 254, par. 16, le juge Cory a souligné :

Chaque année, l’ivresse au volant entraîne énormément de décès, de blessures, de peine et de destruction. Au plan numérique seulement, l’ivresse au volant a une plus grande incidence sur la société canadienne que tout autre crime. Du point de vue des décès et des blessures graves donnant lieu à l’hospitalisation, la conduite avec facultés affaiblies est de toute évidence le crime qui cause la plus grande perte sociale au pays.

(Voir aussi R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 8.)