Barendregt c. Grebliunas, 2022 CSC 22
En général, « le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire ».
Le critère de la diligence raisonnable que comporte le test de l’arrêt Palmer garantit que les parties mettent tout en œuvre pour présenter leur meilleure preuve dès la première occasion qui leur est donnée de le faire.
Des éléments de preuve qui auraient pu être disponibles au procès si la partie les présentant avait fait preuve de diligence raisonnable ne devraient généralement pas être admis en appel.
[36] Sur le plan fonctionnel, le premier critère de l’arrêt Palmer — selon lequel la preuve n’aurait pas pu être obtenue pour le procès, même si la partie qui cherche à la déposer avait fait preuve de diligence raisonnable — met l’accent sur la conduite de la partie qui cherche à produire la preuve. Il oblige les parties à prendre toutes les mesures raisonnables pour présenter leur meilleure preuve au procès. Cela garantit le caractère définitif et le déroulement ordonné des procédures judiciaires : R. c. St‑Cloud, 2015 CSC 27, [2015] 2 R.C.S. 328, par. 130; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 19; R. c. Angelillo, 2006 CSC 55, [2006] 2 R.C.S. 728, par. 15.
…
[39] Dans ce contexte, le principe du caractère définitif et du déroulement ordonné des procédures judiciaires comporte à la fois un aspect individuel et un aspect systémique. Sur le plan individuel, il s’attaque à l’injustice fondamentale que constitue le fait de [traduction] « permettre à une partie de remédier aux lacunes de la cause qu’elle a présentée au procès » : Stav c. Stav, 2012 BCCA 154, 31 B.C.L.R. (5th) 302, par. 32. La partie qui n’a pas agi avec diligence raisonnable ne devrait pas se voir accorder une « seconde chance » : S.F.D. c. M.T., 2019 NBCA 62, 49 C.C.P.B. (2nd) 177, par. 24. De plus, la partie adverse a le droit de savoir à quoi s’en tenir et ne devrait généralement pas avoir à plaider de nouveau une question qui a été tranchée en première instance, sauf en cas d’erreur justifiant l’intervention de la cour d’appel. Autrement, la partie adverse aurait à supporter des délais et des frais supplémentaires pour répondre à un nouveau dossier en appel. Permettre à une partie à un appel de combler les lacunes de la preuve qu’elle a présentée au procès en se servant des failles relevées par le juge de première instance serait fondamentalement injuste pour l’autre partie dans le cadre d’un débat contradictoire.
[40] Sur le plan systémique, ce principe préserve la distinction entre le rôle dévolu respectivement aux tribunaux de première instance et aux juridictions d’appel. Il incombe aux juges de première instance d’évaluer la preuve et de tirer des conclusions de fait. En revanche, les juridictions d’appel ont pour mission de vérifier si la décision rendue en première instance comporte des erreurs. L’admission d’éléments de preuve supplémentaires en appel brouille cette distinction essentielle en permettant dans les faits aux plaideurs d’étirer les procédures de première instance jusqu’au processus d’appel.
[41] En exigeant des parties qu’elles produisent tous les éléments de preuve nécessaires pour présenter leurs meilleurs arguments en première instance, le critère de la diligence raisonnable protège cette distinction. Cela assure à son tour le bon fonctionnement de notre architecture judiciaire (R. c. Sipos, 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423, par. 30), ainsi que l’utilisation efficace et efficiente des ressources judiciaires (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 16).
Les trois derniers critères du test de l’arrêt Palmer obligent les tribunaux à n’admettre en appel que les éléments de preuve qui sont pertinents et plausibles et qui auraient pu influer sur le résultat du procès. Contrairement au premier critère, qui est axé sur la conduite de la partie, ces trois critères portent sur la preuve présentée.
[44] Les trois derniers critères du test de l’arrêt Palmer obligent les tribunaux à n’admettre en appel que les éléments de preuve qui sont pertinents et plausibles et qui auraient pu influer sur le résultat du procès. Contrairement au premier critère, qui est axé sur la conduite de la partie, ces trois critères portent sur la preuve présentée. Et contrairement au critère de la diligence raisonnable, ces trois derniers critères constituent des « conditions » préalables, de sorte que les éléments de preuve qui ne remplissent pas ces conditions d’admissibilité ne peuvent pas être admis en appel : R. c. Lévesque, 2000 CSC 47, [2000] 2 R.C.S. 487, par. 14.
[45] Ces critères reflètent l’autre principe qui sous‑tend le test de l’arrêt Palmer, en l’occurrence l’importance de parvenir à un résultat juste dans le contexte de l’instance : Sipos, par. 30‑31; R. c. Warsing, 1998 CanLII 775 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 579, par. 56. Ce principe est directement lié au bien‑fondé de la décision rendue à l’issue du procès et à la fonction de recherche de la vérité de notre processus judiciaire. Les éléments de preuve qui ne sont pas dignes de foi, qui ne sont pas plausibles ou qui n’ont pas de valeur probante quant aux questions en litige risquent d’entraver, plutôt que de faciliter, la recherche de la vérité. Comme le juge Cory l’a fait remarquer dans l’arrêt R. c. Nikolovski, 1996 CanLII 158 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 1197, par. 13, « [l]’objectif ultime d’un procès, criminel ou civil, doit être la recherche et la découverte de la vérité.
Le test de l’arrêt Palmer s’applique à l’admission de toute preuve supplémentaire présentée en appel dans le but de faire réviser la décision de première instance.
[58] Le critère de la diligence raisonnable est suffisamment souple pour s’adapter aux préoccupations particulières que soulèvent les éléments de preuve portant sur des faits survenus après le procès. Comme notre Cour l’a jugé dans l’arrêt Bent c. Platnick, 2020 CSC 23, par. 60, le critère de la diligence raisonnable n’est pas un facteur rigide; c’est un concept pratique dont l’application est tributaire du contexte.
[59] En fin de compte, ce critère vise à déterminer si la partie aurait pu, en faisant preuve de diligence raisonnable, faire en sorte que la preuve puisse être disponible au procès. L’examen de la diligence raisonnable devrait être axé sur la conduite de la partie qui cherche à présenter la preuve en question et non sur la preuve elle‑même. Et, pour ce faire, le tribunal doit simplement se demander pourquoi cette preuve n’a pas été produite au procès : G.D.B., par. 20.
[60] La raison pour laquelle les « nouveaux » éléments de preuve n’ont pas été produits au procès peut avoir trait à la conduite des parties avant le procès. Dans le cas des faits survenus après le procès, le tribunal doit se demander si la conduite de la partie aurait pu influencer le moment où s’est produit le fait qu’elle cherche à prouver. Prenons un exemple. S’il s’agit d’une question de financement et que la partie en question n’a pas entrepris les démarches nécessaires pour obtenir un engagement de financement avant le procès, le tribunal peut se demander pourquoi cet élément de preuve n’a pas pu être obtenu pour le procès. Une partie ne peut tirer profit de sa propre inaction lorsque l’existence de faits dépend en tout ou en partie d’elle. Encore une fois, une partie doit présenter ses meilleurs arguments et sa meilleure preuve au procès. En fin de compte, ce qui importe, c’est que ce critère protège adéquatement le caractère définitif et le déroulement ordonné des procédures judiciaires dans notre système de justice.
[61] En somme, le critère de la diligence raisonnable est axé sur la conduite du plaideur dans le contexte particulier de l’affaire. Se demander si la preuve aurait pu être disponible au procès si la partie qui cherche à la produire en appel avait fait preuve de diligence raisonnable équivaut à l’obliger à démontrer que, même en faisant preuve de diligence raisonnable, il était impossible d’obtenir cette preuve pour le procès. Lorsqu’une partie cherche à présenter des éléments de preuve supplémentaires en appel, mais qu’elle n’a pas fait preuve de diligence raisonnable, le test de l’arrêt Palmer empêche généralement leur admission.
[62] Les parties ne prétendent pas que les autres critères de l’arrêt Palmer devraient s’appliquer différemment selon le moment où s’est produit le fait que la preuve cherche à établir. Il va sans dire que la preuve doit être pertinente et plausible, quel que soit le moment où les faits visés sont survenus. L’intérêt de parvenir à un résultat juste n’exige rien de moins.
[63] Quant au quatrième critère — celui de savoir si la preuve, advenant que l’on y ajoute foi, aurait influé sur le résultat du procès —, la logique demeure la même : le tribunal doit l’aborder de façon téléologique. Bien qu’il soit tentant de conclure que les éléments de preuve portant sur des faits survenus après le procès n’auraient jamais pu influer sur le résultat du procès, l’analyse n’est pas aussi étroite. Elle ne porte pas sur le moment où la preuve est présentée, mais sur la question de savoir si la preuve aurait eu une valeur probante suffisante quant aux questions en litige si elle avait été disponible au procès. Une approche trop formaliste à ce stade ferait l’impasse sur la raison d’être des critères établis par l’arrêt Palmer — en l’occurrence, l’intérêt de parvenir à un résultat juste dans le contexte de l’instance.
[64] Comme la Cour l’a fait observer dans l’arrêt Palmer, p. 776, il est satisfait au quatrième critère si la preuve, en supposant qu’elle ait été présentée au juge des faits et que celui‑ci y ait ajouté foi, avait un poids et une force probante suffisants pour pouvoir raisonnablement, compte tenu des autres éléments de preuve produits, influer sur le résultat.
il se peut que l’admission d’éléments de preuve supplémentaires ne porte aucunement atteinte au principe du caractère définitif des décisions judiciaires, même si le critère de la diligence raisonnable n’a pas été respecté. Par exemple, lorsque la juridiction d’appel a déjà relevé une erreur importante dans le jugement de première instance, les éléments de preuve qui peuvent l’aider à déterminer l’ordonnance qui s’impose — que ce soit pour démontrer la nécessité d’un nouveau procès, pour justifier le prononcé d’une ordonnance particulière ou pour étayer toute autre décision — pourraient exceptionnellement être admis.
[71] Dans d’autres cas, il se peut que l’admission d’éléments de preuve supplémentaires ne porte aucunement atteinte au principe du caractère définitif des décisions judiciaires, même si le critère de la diligence raisonnable n’a pas été respecté. Par exemple, lorsque la juridiction d’appel a déjà relevé une erreur importante dans le jugement de première instance, les éléments de preuve qui peuvent l’aider à déterminer l’ordonnance qui s’impose — que ce soit pour démontrer la nécessité d’un nouveau procès, pour justifier le prononcé d’une ordonnance particulière ou pour étayer toute autre décision — pourraient exceptionnellement être admis : Children’s Aid Society of Halton (Region), par. 27 et 52‑56; Children’s Aid Society of Toronto c. P. (D.) (2005), 2005 CanLII 34560 (ON CA), 19 R.F.L. (6th) 267 (C.A. Ont.), par. 8‑9. Cela est susceptible de favoriser une justice plus rapide, conformément à l’impératif de veiller à ce que les enfants soient fixés sur leur sort dans les meilleurs délais : C. Leach, E. McCarty et M. Cheung, « Further Evidence in Child Protection Appeals in Ontario » (2012), 31 C.F.L.Q. 177.
[72] Je veux être bien claire : l’existence de ces circonstances exceptionnelles ne dispense pas de l’application des autres critères de l’arrêt Palmer; la preuve doit toujours être pertinente, plausible et pouvoir influer sur le résultat. De même, l’intérêt de l’enfant ne peut pas être systématiquement invoqué pour faire l’impasse sur le critère de la diligence raisonnable et faire admettre des éléments de preuve supplémentaires en appel. Un appel n’est pas la continuation d’un procès. La partie doit plutôt convaincre le juge que l’intérêt de parvenir à un résultat juste dans le contexte de l’instance l’emporte largement sur le principe du caractère définitif et du déroulement ordonné des procédures judiciaires. En pareil cas, l’intérêt de la justice peut commander que l’on admette en appel des éléments de preuve supplémentaires.
Même lorsque des éléments de preuve sont correctement admis en appel, la juridiction d’appel doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge de première instance qui ne sont pas affectées par cette preuve supplémentaire.
[81] Enfin, même lorsque des éléments de preuve sont correctement admis en appel, la juridiction d’appel doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge de première instance qui ne sont pas affectées par cette preuve supplémentaire. Bien que la recherche d’un résultat juste à la lumière des éléments de preuve supplémentaires puisse exiger un examen global de l’affaire (St‑Cloud; Gordon), les juridictions d’appel ne sont pas autorisées à réévaluer ou à ignorer les conclusions de fait sous‑jacentes du juge de première instance, sauf en cas d’erreur manifeste et déterminante.