Roy c. R., 2018 QCCA 396

Les critères pour permettre une nouvelle preuve à l’occasion d’un appel

[1]           Le requérant demande la permission de présenter une preuve nouvelle aux fins de son appel de la déclaration de culpabilité prononcée par la Cour du Québec (l’honorable Claire Desgens) le 22 mars 2017[1]. Le jugement sur la peine impose à l’appelant un emprisonnement de 12 ans, réduit à 8 ans et 7 mois, pour tenir compte du temps de détention provisoire. Il n’y a pas d’appel du jugement sur la peine.

[2]           Il s’agit d’un père condamné pour l’homicide involontaire coupable de son fils alors âgé de 2 mois, en raison d’un traumatisme crânien non accidentel, anciennement connu sous l’appellation du syndrome du bébé secoué.

[3]           L’article 683 C.cr. confère un pouvoir discrétionnaire à la Cour pour permettre une nouvelle preuve à l’occasion d’un appel. Dans l’arrêt Palmer c. R.[2], la Cour suprême du Canada a énuméré les quatre principes devant guider la Cour dans l’analyse d’une telle demande :

on ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, ce principe devant s’appliquer de manière moins stricte dans les affaires criminelles;

la nouvelle preuve doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès;

la preuve doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi; et

elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

[4]           Nous sommes d’avis qu’il existe ici des circonstances particulières justifiant d’accorder la demande du requérant.

[5]           Depuis le début des procédures, le requérant est représenté par un avocat agissant sur mandat d’aide juridique. Il a demandé l’assistance d’un collègue vu la complexité de l’affaire; la demande lui a été refusée.

[6]           Il a contacté pas moins de 13 experts avant d’en trouver un qui accepte d’agir sur mandat d’aide juridique. À la suite de plusieurs conférences de gestion et à la demande du juge et de la Couronne pour fixer une date de procès, le procès est fixé, avant que le rapport de l’expert ne soit achevé. Finalement, ce rapport n’a pas été déposé au procès puisque ses conclusions confirmaient la thèse de la poursuite.

[7]           L’avocat, qui n’a jamais piloté ce type de dossier, a approfondi l’étude de la preuve scientifique complexe pour contre-interroger les experts de la poursuite. Dans le cadre de sa préparation, il a pris connaissance du rapport Goudge publié en 2008 par la Commission d’enquête sur la médecine légale pédiatrique en Ontario, rapport mettant en lumière les difficultés de conclure à un traumatisme crânien non accidentel. Le procès se termine et le jugement est rendu le 16 mars 2017, sans qu’il y ait eu d’analyse du dossier par un neuro-pathologiste. Aucun expert n’a témoigné en défense.

[8]           Immédiatement, l’avocat du requérant contacte le Dr Pollanen, chef du service de pathologie en Ontario, pour obtenir de l’aide. Ce dernier le dirige vers le Dr Ramsay, neuro-pathologiste, qui accepte de regarder le dossier du requérant pro bono. Le Dr Ramsay communique un rapport préliminaire soulignant notamment que « [a]n extensive neuropathology work-up should be carried out in all ‘suspicious death’ cases […] in which the cause of death was neurological […] ».

Le risque d’erreur judiciaire est un facteur décisif pour décider s’il y a lieu d’admettre une nouvelle preuve

[9]           Le Dr Ramsay conclut son rapport ainsi :

There are several disquieting features about this case. There were no fractures and bruises, which are unequivocal evidence of trauma. Although subdural bleeding is commonly caused by trauma there is some controversial evidence that it may be the result of hypoxic-ischaemic injury to and rupture of the dural blood vessels; a similar explanation may account for the retinal haemorrhages, which were at worst of moderate severity and therefore non-specific. There was commotio retinae, a highly unusual and, in the absence of evidence of direct trauma to the eye which is highly unusual, and is not explained. A full neuropathological examination was not carried out so the opportunity to find evidence to confirm (e.g. neck injury) or refute (e.g., no neck injury, vascular malformation) a traumatic aetiology has been lost.

This is a Preliminary Opinion that outlines the nature of my expert evidence. I need more time to complete this opinion because I need to do the following:

Receive, examine and, if indicated, carry out additional histological testing on sections from the paraffin wax blocks of the brain and dura;

Complete my reading of all the material you provided;

Explain the case ascertainment problems that there are in the literature about infantile non-accidental head injuries and the bearing this has on the analysis of the case in question;

Indicate where, how and why the trial testimony is in line with or differs from my views.

[10]        Dans les circonstances, nous sommes d’avis que le requérant a démontré avoir agi avec diligence. La preuve porte sur une question potentiellement décisive quant au procès, est plausible et pourrait influer sur le résultat du procès. Le risque d’erreur judiciaire est ici un facteur décisif et prime sur le caractère définitif des procédures judiciaires[3].

[11]        Comme indiqué précédemment, le Dr Ramsay n’a pas encore complété son analyse, notamment parce qu’il doit effectuer certains tests sur les échantillons du cerveau et de la dure-mère de l’enfant. La requête vise, dans un premier temps, à pouvoir effectuer ces tests; puis, le cas échéant, à déposer une nouvelle expertise au dossier d’appel.