La considération la plus importante est « [qu’il] appartient encore fondamentalement au juge des faits de décider si une façon différente de considérer l’affaire qui est proposée est suffisamment raisonnable pour soulever un doute dans son esprit.
[45] Quant au verdict, rendu sur la foi d’une preuve circonstancielle, il n’est pas déraisonnable. D’une part, le juge ne commet pas d’erreur de droit en décrivant la norme applicable. D’autre part, la preuve soutient le verdict.
[46] Dans R. c. Villaroman, 2016 CSC 33 (CanLII), [2016] 1 R.C.S. 1000, le juge Cromwell s’exprime ainsi à propos de l’évaluation de la preuve en présence d’un tel argument en appel :
[55] […] Cette évaluation limitée de la preuve en appel doit se faire en tenant compte de la norme de preuve applicable dans une affaire criminelle. Lorsque la thèse du ministère public dépend d’une preuve circonstancielle, la question consiste à se demander si le juge des faits, agissant d’une manière judiciaire, pouvait raisonnablement conclure que la culpabilité de l’accusé était la seule conclusion raisonnable qui pouvait être tirée de l’ensemble de la preuve : Yebes, p. 186; R. c. Mars (2006), 2006 CanLII 3460 (ON CA), 205 C.C.C. (3d) 376 (C.A. Ont.), par. 4; R. c. Liu(1989), 1989 ABCA 95 (CanLII), 95 A.R. 201 (C.A.), par. 13; R. c. S.L.R., 2003 ABCA 148 (CanLII); R. c. Cardinal (1990), 1990 ABCA 115 (CanLII), 106 A.R. 91 (C.A.); R. c. Kaysaywaysemat (1992), 1992 CanLII 8265 (SK CA), 97 Sask. R. 66 (C.A.), par. 28 et 31.
[47] Il importe cependant de préciser que les conclusions du juge de première instance pour déterminer si l’argument constitue une possibilité raisonnable ou encore conjecturale commandent une certaine déférence. Toujours dans Villaroman, le juge Cromwell ajoute :
[56] La Cour d’appel de l’Alberta a bien résumé le principe directeur dans l’arrêt Dipnarine, par. 22. Elle a souligné [traduction] « [qu’il] n’est pas nécessaire que la preuve circonstancielle exclue toute autre inférence imaginable » et qu’un verdict n’est pas déraisonnable simplement parce que « les autres explications possibles ne font naître aucun doute » dans l’esprit du jury. La considération la plus importante est « [qu’il] appartient encore fondamentalement au juge des faits de décider si une façon différente de considérer l’affaire qui est proposée est suffisamment raisonnable pour soulever un doute dans son esprit. »
[48] Dans le présent dossier, l’appelant plaidait, en première instance, qu’aucune preuve ne le lie directement au décès de la victime et qu’aucun témoin n’affirme avoir vu des coups de poing être portés au visage de la victime. S’appuyant sur ces lacunes dans la preuve, il fait alors valoir que l’on pouvait inférer de la preuve circonstancielle deux possibilités raisonnables menant à un verdict d’acquittement. D’une part, la lacération de l’artère vertébrale pouvait être la conséquence d’une chute accidentelle de la victime. D’autre part, Jean-Michel Renaud pouvait avoir infligé les coups de poing à la victime. Or, le juge conclut que la seule inférence raisonnable étayée par la preuve circonstancielle est que l’appelant a commis les voies de fait ayant causé la mort de la victime.
[49] Le verdict se fonde essentiellement sur les faits suivants : la preuve médicale révèle que la victime a reçu deux coups et que la perte de conscience a été spontanée ou quasi spontanée; l’appelant avait un mobile et l’opportunité de commettre le crime; Jean-Michel Renaud aussi, mais sa conduite démontre qu’il n’était pas l’auteur des voies de fait, alors que l’appelant, lui, s’est éloigné du groupe et a téléphoné à son beau-frère; la victime craignait l’appelant, mais pas M. Renaud; l’appelant était beaucoup moins ivre et plus fort que la victime; l’état d’esprit de l’appelant a basculé lorsque sa conjointe lui apprend qu’elle a mal; il s’est d’ailleurs écrié « Je vais le tuer, le Tab… » avant de retourner au chalet; il a ensuite confié à son beau-frère que son ami a essayé de violer sa conjointe, qu’il « [a] vu noir […] [et] fait une gaffe » et que son ami est étendu sur le sol et ne bouge plus. Toute cette preuve, malgré les explications de l’appelant, soutient le verdict et les hypothèses qu’il a évoquées ne peuvent le rendre déraisonnable.
[50] Ainsi, la thèse voulant que la victime, lourdement intoxiquée, ait chuté de façon à se causer elle-même les blessures mortelles, s’apparentant à celles occasionnées par des coups de poing, ne tient pas la route et repose sur une conjecture plutôt que sur « une appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve » : Villaroman, précité, paragr. 36. D’ailleurs cette hypothèse est écartée par le juge lorsqu’il s’attarde aux causes du décès.
[51] Il en est de même de l’argument voulant que M. Renaud soit l’auteur de l’infraction. Le juge s’y attarde longuement et le rejette, au motif qu’il est en contradiction avec l’ensemble de la preuve. D’ailleurs, peut-on penser que l’appelant aurait dit à M. Boudrias qu’il avait fait une gaffe, dans les circonstances qu’on connaît, sans mentionner qu’un autre des invités avait commis les voies de fait? Ces propos sont totalement incompatibles avec la thèse voulant que M. Renaud soit l’auteur du crime.
[52] En somme, la conclusion selon laquelle la culpabilité de l’appelant est la seule inférence raisonnable est soutenue par la preuve.
[53] Pour ces motifs, je propose le rejet de l’appel.