Procureur général du Québec c. Terroux, 2023 QCCA 731

Motifs du juge Vauclair

Dans l’exercice de la détermination de la peine dans le cadre d’infractions de violence familiale, on ne peut certainement pas reprocher à un juge de comparer la nature des blessures causées et la durée de la maltraitance pour mesurer le degré de responsabilité du délinquant et la gravité de l’infraction à punir.

Il en va de même avec le nombre de photographies, la nature spécifique des images qui seront, par ailleurs, toujours de la pédopornographie, la durée de leur possession ou encore le fait d’avoir en sus contribué à la dissémination de la pédopornographie.

Cette dimension quantitative participe à l’évaluation de la responsabilité morale d’un accusé.

[140] L’exercice comparatif auquel se livre le juge Tremblay est, en droit, dicté par la longue tradition canadienne de déterminer des peines qui tiennent compte d’un ensemble de circonstances, dont les caractéristiques du crime lui-même, de même que de la responsabilité morale du délinquant, lesquelles tiennent notamment à son profil et aux circonstances de la perpétration du crime. Les reproches adressés au juge en lui attribuant une approche mathématique, notamment en comparant le nombre de photographies et la durée de leur possession avec d’autres affaires, sont mal fondés et inappropriés.

[141] Même si l’exercice est imparfait et qu’il n’est pas toujours déterminant, il reste que cette dimension quantitative participe à l’évaluation de la responsabilité morale d’un accusé.

[142] La jurisprudence fait des distinctions en ce sens. Par exemple, on considère que le nombre de plants dans une culture de cannabis ou le poids total des drogues en possession d’un accusé est un élément pertinent et parfois distinctif de l’infraction. Dans l’exercice de la détermination de la peine dans le cadre d’infractions de violence familiale, on ne peut certainement pas reprocher à un juge de comparer la nature des blessures causées et la durée de la maltraitance pour mesurer le degré de responsabilité du délinquant et la gravité de l’infraction à punir.

[143]   Il en va de même avec le nombre de photographies, la nature spécifique des images qui seront, par ailleurs, toujours de la pédopornographie, la durée de leur possession ou encore le fait d’avoir en sus contribué à la dissémination de la pédopornographie. On distingue aisément, il me semble, la personne qui s’équipe de manière à rendre l’opération plus efficace, plus furtive, afin de se mettre à l’abri de la détection de l’autre personne qui accède de manière plus ouverte à la pédopornographie, poussée par une curiosité coupable, qui possède plusieurs milliers de photographies plutôt qu’une seule ou de cinq cents. Le crime demeure grave dans tous les cas, mais cela amène des distinctions pour les peines. D’ailleurs, le DPCP plaidait que ces mêmes circonstances étaient, en l’espèce, des facteurs aggravants.

La Cour a encore reconnu ce qui me semble être une évidence, soit qu’une même infraction découle d’un comportement criminel qui s’exprime de manière différente et qui fait osciller le degré de gravité de l’infraction et de responsabilité morale du délinquant.

[144]   La Cour a encore reconnu ce qui me semble être une évidence, soit qu’une même infraction découle d’un comportement criminel qui s’exprime de manière différente et qui fait osciller le degré de gravité de l’infraction et de responsabilité morale du délinquant :

[30] Il ne fait aucun doute que toutes les formes d’agressions sexuelles sont graves, que « [l]a violence sexuelle à l’égard des enfants demeure toutefois intrinsèquement répréhensible, quel que soit le degré d’atteinte à l’intégrité physique », et qu’il n’existe pas « de hiérarchie des actes physiques » : R. c. Friesen2020 CSC 9, par. 145-146

[31] Tout en acceptant ces affirmations, il demeure que des circonstances peuvent se révéler plus graves que d’autres. Une infraction générique définit des comportements qui se produisent dans des circonstances diverses, leur attribuant des caractéristiques qui les rendent plus ou moins graves. L’exercice de la détermination de la peine exige du juge qu’il fasse des distinctions devant des tragédies humaines, un exercice de comparaison difficile et bien imparfait, mais nécessaire.

R. c. Lamoureux, 2022 QCCA 1531, par. 30-31 ; voir aussi R. c. Lacelle Belec, 2019 QCCA 711, par. 98.

[145]   En comparant ainsi les situations, il n’est jamais question de réduire la gravité intrinsèque d’un comportement ou de gestes criminels.

Je propose de déclarer inconstitutionnelles les peines minimales d’un an d’emprisonnement prévues pour les infractions de possession (art. 163.1(4)a) C.cr.) et d’accès à la pédopornographie (art. 163.1(4.1)a) C.cr.), car contraires à l’article 12 de la Charte et de les déclarer inopérantes.

[161]   Aussi, je propose de déclarer inconstitutionnelles les peines minimales d’un an d’emprisonnement prévues pour les infractions de possession (art. 163.1(4)a) C.cr.) et d’accès à la pédopornographie (art. 163.1(4.1)a) C.cr.), car contraires à l’article 12 de la Charte et de les déclarer inopérantes.

Motifs du juge Bachand

[231]   Dans Naud, je suis d’accord avec le juge Ruel que la peine minimale d’un an n’est pas cruelle et inusitée pour l’intimé : dans les circonstances particulières de l’espèce, la différence de trois mois ne suffit pas pour constater une violation de l’article 12 de la Charte canadienne[71]. Toutefois, je suis d’accord avec le juge Vauclair qu’il y a lieu de poursuivre l’analyse de la constitutionnalité de la peine minimale prévue à l’article 163.1(4)a) C.cr. en se demandant si les applications raisonnablement prévisibles de cette disposition infligeront à d’autres délinquants des peines cruelles et inusitées. À la lumière de l’analyse du juge Vauclair et de celle à laquelle s’est livrée la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire John[72], j’estime que la peine minimale prévue à l’article 163.1(4)a) C.cr. est cruelle et inusitée au regard des autres applications raisonnablement prévisibles. Je suis donc d’avis que l’appel de la peine doit être rejeté.

[232]   La déclaration d’inconstitutionnalité mérite d’être également prononcée dans le dossier Senneville, et elle doit s’étendre à la peine minimale prévue à l’article 163.1(4.1)a) C.cr., que je considère, à l’instar du juge Vauclair, tout aussi cruelle et inusitée. Toutefois, je suis du même avis que le juge Ruel quant à la peine d’emprisonnement de 90 jours à être purgée de façon discontinue qui a été infligée en première instance : elle est manifestement non indiquée — principalement en raison de la nature des images en cause et des enseignements de l’arrêt Friesen[73] —, et il y a lieu d’y substituer une peine d’emprisonnement d’un an. Je suis également d’accord avec le juge Ruel qu’il n’y pas lieu de surseoir à l’ordonnance de réincarcération de l’intimé.