R. c. Bélanger, 2020 QCCA 1539
ORDONNANCE limitant la publication :
Il est interdit à quiconque de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit
tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité des enfants impliqués
dans cette affaire
L’existence du rapport Goudge relève de la connaissance d’office, mais pas son contenu, et surtout pas lorsqu’il s’agit d’affirmations ou de constatations relevant d’un domaine spécialisé comme la médecine.
[34] Le fait pour un juge de fonder sa décision sur des sources externes qui ne sont pas en preuve constitue une erreur de droit.
[35] L’appelante plaide que le juge commet une telle erreur en référant au rapport de la Commission d’enquête sur la médecine légale pédiatrique en Ontario (le rapport Goudge) qui n’a pas été déposé en preuve. Et l’erreur serait déterminante en ce que le juge aurait retenu cette information pour analyser de façon défavorable l’expertise du docteur Fortin.
[36] Selon moi, le reproche n’est pas fondé et, en définitive, il relève plus de l’hypothèse que de la preuve.
[37] L’existence du rapport Goudge relève de la connaissance d’office, mais pas son contenu, et surtout pas lorsqu’il s’agit d’affirmations ou de constatations relevant d’un domaine spécialisé comme la médecine. Plus précisément, les difficultés de conclure à un TCNA ne constituent ni un fait dont la notoriété rend l’existence raisonnablement incontestable ni un fait dont l’existence peut être démontrée immédiatement et exactement par le recours à des sources facilement accessibles dont l’existence est incontestable[13].
[38] En principe, un juge ne pourrait donc pas se référer à un tel rapport pour analyser les témoignages des médecins experts, à moins qu’il n’ait été déposé en preuve. Sur ce point, l’appelante a raison.
[39] Mais, en l’espèce, ce n’est pas ce que le juge a fait.
[40] D’abord, rien n’indique qu’il a consulté le rapport Goudge. Il n’y fait allusion qu’une seule fois[14], très brièvement, en exprimant ce que la Cour écrivait à ce sujet dans l’arrêt Roy, un « rapport mettant en lumière les difficultés de conclure à un traumatisme crânien non accidentel »[15]. C’est tout.
[41] De plus, la preuve soutenait ici la conclusion selon laquelle le diagnostic de TCNA comporte des difficultés certaines, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un diagnostic auquel le médecin ne peut arriver, en l’absence d’un témoignage direct du traitement violent subi par l’enfant ou d’un aveu, qu’après avoir écarté toutes les autres causes.
[42] Finalement, la facture même du jugement dissipe toute inquiétude quant à l’utilisation que le juge aurait pu faire de cette référence indirecte au rapport Goudge. Les raisons pour lesquelles il ne peut écarter l’avis du docteur Crevier sont énoncées, de même que celles pour lesquelles un doute raisonnable subsiste dans son esprit.
Les déclarations extrajudiciaires disculpatoires d’un accusé
[47] Règle générale, les déclarations extrajudiciaires disculpatoires d’un accusé sont inadmissibles pour prouver la véracité de leur contenu notamment parce qu’intéressées et dépourvues de valeur probante[21]. Il existe toutefois plusieurs exceptions à cette règle, par exemple lorsqu’il s’agit d’une déclaration mixte (comportant à la fois des éléments disculpatoires et inculpatoires)[22] et lorsque c’est le ministre public, et non l’accusé, qui la produit en preuve, auquel cas « tant le ministère public que les intimés [peuvent] se fonder sur elle pour prouver la véracité de son contenu »[23].
La preuve de l’offre faite par un accusé de se soumettre à un test polygraphique n’aura de valeur que dans la mesure où les circonstances permettent d’en inférer que l’accusé était ainsi prêt à faire quelque chose qu’une personne coupable n’accepterait pas de faire.
[53] Dans la dernière section du jugement entrepris, le juge se penche sur le comportement de l’intimée. Il conclut que celui-ci a toujours été le même, avant et pendant les quelques semaines où elle a gardé l’enfant, de même qu’après son décès (paragr. 235). Il note également que l’intimée a toujours pleinement collaboré avec les autorités et, enfin, que rien dans la preuve ne démontre une conscience coupable de sa part ou une froideur ou indifférence à l’égard de l’enfant et ses parents, « comme le prétendait la Poursuite » (paragr. 239). Le juge cite ensuite en exemple son acquiescement à se soumettre au test du polygraphe (paragr. 240).
[54] L’appelante plaide que le juge a erré en donnant cet exemple puisque la preuve n’a pas été faite qu’au moment de passer le test, l’intimée croyait qu’un résultat défavorable (négatif) pourrait être utilisé contre elle au procès ou encore, que l’appareil était infaillible. L’appelante plaide également que le juge erre lorsqu’il tire du fait de donner une déclaration aux policiers ou d’être triste une inférence compatible avec l’innocence de l’accusée. De plus, selon l’appelante, rien dans la preuve ne permettait de conclure que l’intimée avait pleinement collaboré avec les autorités.
[55] Le reproche est, selon moi, mal fondé.
[56] Dans R. c. Simon[24], la Cour se penche sur cette question de l’offre faite par un accusé de se soumettre à un test polygraphique. Je suis l’auteur des motifs auxquels ont souscrit mes collègues Proulx et Fish. La preuve d’une telle offre n’aura de valeur que dans la mesure où les circonstances permettent d’en inférer que l’accusé était ainsi prêt à faire quelque chose qu’une personne coupable n’accepterait pas de faire, par exemple si la preuve est faite que l’accusé croyait (à tort) « qu’un résultat négatif pourrait être utilisé contre lui au procès » ou « que l’appareil était infaillible. » J’ajoutais, et c’est important, que chaque cas est un cas d’espèce et que « même si je ne suis pas prêt à dire que la preuve de l’offre sera, dans tous les cas, inadmissible, je ne suis pas prêt à dire non plus qu’elle sera, dans tous les cas, admissible. »
[57] La preuve que l’accusé croit que le résultat du test polygraphique peut être utilisé contre lui au procès ou que l’appareil est infaillible ne constitue en somme qu’une façon, parmi plusieurs, de prouver qu’en offrant de s’y soumettre, l’accusé était prêt à faire quelque chose qu’une personne coupable ne ferait pas. Mais ce n’est pas la seule. Chaque cas est un cas d’espèce, comme la Cour le rappelle dans l’arrêt Simon.
[58] En l’espèce, ce n’est pas l’intimée qui a offert de se soumettre au test du polygraphe, ce sont les policiers qui lui ont demandé le 22 novembre 2011, ce à quoi elle a tout d’abord acquiescé. Ce n’est qu’après avoir discuté avec sa belle-fille (qui est policière), qu’à sa suggestion elle prendra conseil auprès de deux avocats et décidera finalement de ne pas passer le test. Jusqu’alors, elle ne comprenait pas que son statut n’était plus celui d’un simple témoin, mais celui d’un suspect, ce que le juge retient en sa faveur (« Ça ne dénote sûrement pas une conscience coupable. », paragr. 240).
[59] Il faut aussi tenir compte de la façon dont les parties ont présenté leurs arguments au juge de première instance pour apprécier pleinement son raisonnement. Une partie de la plaidoirie du ministère public visait à démontrer une conscience coupable de la part de l’intimée en s’appuyant sur certains de ses comportements ainsi que sa prétendue « froideur » face aux événements. Les motifs du jugement répondent aux arguments du ministère public.
[60] Dans ces circonstances, j’estime que le juge ne commet pas d’erreur en utilisant cette preuve.
La preuve de bonne réputation ne peut pas être simplement l’expression de l’opinion personnelle des témoins ou s’appuyer sur des actes ou gestes spécifiques; elle doit plutôt être le reflet de la connaissance par les témoins de la réputation de l’accusé au sein de la communauté.
[62] Le juge estime que la défense de bonne moralité est sérieuse et crédible[25]. Selon la preuve que le juge retient, l’intimée était une « mamie » pour les enfants. Elle les aimait, les consolait et leur donnait tout ce qui était nécessaire[26].
[63] L’appelante plaide que puisque l’intimée n’a pas témoigné, seule une preuve de réputation générale pouvait être faite. Pourtant, la preuve présentée porte sur des actes ou gestes spécifiques ainsi que sur l’opinion personnelle des témoins. Même si elle ne s’est pas opposée à ce que cette preuve soit faite, elle soutient qu’il revenait au juge de l’écarter parce que non pertinente.
[64] Dans l’arrêt Brault Fortier c. R.[27], la Cour écrit qu’un juge peut inférer d’une preuve de bonne réputation « que l’accusé n’est pas le genre de personne à commettre l’infraction reprochée ». Toutefois, lorsque l’accusé ne témoigne pas et que la preuve repose sur les témoignages de tiers, certaines limites s’imposent. Ainsi, la preuve ne peut pas être simplement l’expression de l’opinion personnelle des témoins ou s’appuyer sur des actes ou gestes spécifiques; elle doit plutôt être le reflet de la connaissance par les témoins de la réputation de l’accusé au sein de la communauté[28].
[65] La preuve de mauvaise réputation que peut produire le ministère public pour réfuter la preuve de l’accusé comporte aussi certaines limites, selon la façon dont la preuve de bonne réputation a été faite.
[66] Il est donc vrai que, en théorie, puisque l’intimée n’a pas témoigné, seule une preuve de bonne réputation générale pouvait être faite[29].
[67] En l’espèce, j’estime toutefois que l’appelante a implicitement renoncé à son droit de soulever en appel l’irrégularité, ou l’inadmissibilité, de cette preuve.
[68] Les auteurs Lederman, Bryant et Fuerst écrivent : « if defence counsel fails to object in the hope of a tactical advantage at the close of the trial or in order to create grounds of appeal, a court might treat this as a tacit waiver of a right to object »[30]. Il n’y a aucune raison ici, à mon avis, de traiter la conduite du ministère public différemment de celle de la défense. La position adoptée par l’appelante au procès découle d’un choix stratégique qui lui a permis de faire elle-même une preuve de mauvaise réputation à partir d’actes spécifiques qu’elle n’aurait pas pu autrement faire. Bien qu’il n’y ait pas de règle stricte selon laquelle l’omission de s’opposer à l’admissibilité d’une preuve au procès empêche une partie d’en faire ensuite un moyen d’appel, il serait inéquitable ici de traiter les parties différemment.