Morin c. R., 2025 QCCA 252

Dans le rapport présentenciel, l’agente de probation rapporte que l’appelante reconnaît qu’elle a commis des erreurs lors de sa prise de décision le 10 septembre 2015. Elle a « cheminé dans sa perception de la situation ». Elle exprime des remords. Le juge ne pouvait pas, dans ce cas, utiliser une phrase prononcée au procès pour conclure en fait au manque d’introspection de l’appelante, ce qui l’a amené à imposer une peine d’incarcération en s’appuyant sur l’effet dissuasif de celle‑ci.

[45]      Il ressort de ces passages que le juge priorise l’effet dissuasif de la peine et l’objectif de dénonciation. Pour ce faire, il s’appuie en partie sur le témoignage de l’appelante au procès. Cela appert du paragraphe 77. Le juge ne tient pas compte de la preuve administrée sur sentence concernant l’introspection de l’appelante. Or, cette preuve apporte des nuances. Comme mentionné précédemment, dans le rapport présentenciel, l’agente de probation rapporte que l’appelante reconnaît qu’elle a commis des erreurs lors de sa prise de décision le 10 septembre 2015. Elle a « cheminé dans sa perception de la situation ». Elle exprime des remords. Le juge ne pouvait pas, dans ce cas, utiliser une phrase prononcée au procès pour conclure en fait au manque d’introspection de l’appelante, ce qui l’a amené à imposer une peine d’incarcération en s’appuyant sur l’effet dissuasif de celle‑ci. En effet, bien qu’il n’emploie pas spécifiquement le mot « introspection », force est de constater que ce qu’il reproche à l’appelante est bel et bien son manque d’introspection.

Un long délai judiciaire, qui n’est pas pour autant inconstitutionnel au regard de l’alinéa 11b) de la Charte, peut, en de rares occasions, être pris en considération à titre de facteur extrinsèque pertinent dans la détermination de la peine.

[57]      En l’espèce, l’appelante a témoigné sur les conséquences indirectes découlant de sa condamnation. En outre, tant le rapport de sa psychologue que le rapport présentenciel en font mention. Son avocat, lors des observations sur la peine, a invoqué les longs délais judiciaires en plaidoirie. Le juge devait donc en analyser la pertinence, comme il l’a fait pour la médiatisation et la perte d’emploi. Comme déjà mentionné, il ressort de son jugement qu’il n’a pas procédé à cet exercice.

[58]      Les conséquences indirectes n’ont toutefois pas toutes le même impact et il faut donc déterminer si le défaut de tenir compte des longs délais judiciaires a eu une influence sur la peine imposée par le juge.

[59]      Dans R. c. Amato, la Cour conclut qu’un long délai judiciaire, qui n’est pas pour autant inconstitutionnel au regard de l’alinéa 11b) de la Charte, peut, en de rares occasions, être pris en considération à titre de facteur extrinsèque pertinent dans la détermination de la peine[50]. Il en va de « la détermination ultime d’une peine juste, appropriée et indiquée »[51]. La durée des procédures doit toutefois avoir causé un préjudice ou avoir eu un effet pertinent sur le délinquant[52]. Comme le mentionne la Cour, « une réduction de peine en raison de facteur extrinsèque doit être limitée aux cas les plus rares »[53].

[60]      En l’espèce, les longs délais judiciaires ne peuvent être imputés à l’appelante. Ils résultent principalement du fait qu’après un premier procès, à l’issue duquel elle a été acquittée, la Cour d’appel a annulé le verdict et ordonné un nouveau procès. À la suite du rejet de la demande de permission d’appeler à la Cour suprême, le nouveau procès a eu lieu et le verdict de culpabilité a été prononcé le 19 décembre 2022, soit six ans et demi après son inculpation, le 12 avril 2016.

[61]      L’appelante plaide le préjudice psychologique subi, lequel va au‑delà du simple stress inhérent au processus judiciaire. En effet, elle a souffert d’une dépression majeure et elle souffre d’insomnie chronique depuis les événements. Elle doit toujours prendre une médication pour stabiliser son état et rencontre sa psychologue chaque semaine. L’appelante vit un stress continu, car elle est dans l’attente et l’incertitude depuis plusieurs années. Elle a peu de contrôle sur ce qui se passe et il est difficile pour elle de se projeter dans l’avenir[54].

[62]      Il ressort du dossier que dès la survenance des événements, le 10 septembre 2015, l’appelante a subi des conséquences psychologiques importantes et a fait une dépression majeure. Depuis ce temps, elle est suivie par des psychologues et n’a pu reprendre un travail. Selon la preuve, la longue durée des procédures judiciaires a maintenu un niveau de stress élevé et de l’anxiété chez l’appelante. Or, le juge ne traite pas de ces conséquences indirectes pour l’appelante.

[63]      En outre, le juge aurait dû considérer l’impact de ce long processus judiciaire dans l’atteinte des objectifs pénologiques énoncés à l’article 718 C.cr. Comme mentionné au rapport présentenciel du 23 juin 2023, « l’ensemble des procédures judiciaires ont un impact significatif sur la principale concernée et bien qu’elle n’ait pas admis sa culpabilité devant la Cour, elle reconnait à ce jour qu’elle a commis des erreurs lors de sa prise de décision le soir du 10 septembre 2015 ».

[64]      Je suis d’accord que les conséquences indirectes résultant des longs délais judiciaires, et dont un juge doit tenir compte pour respecter le principe de la proportionnalité (leur pertinence découlant des principes d’individualisation et d’harmonisation), doivent être limitées au cas les plus rares. En l’espèce, toutefois, le juge aurait dû analyser tant l’impact des délais sur la santé psychologique de l’appelante que celui du long processus judiciaire qui a contribué à l’atteinte d’objectifs de la peine[55], puisque cela avait également un impact sur la peine imposée.

L’emprisonnement dans la collectivité, en l’espèce, satisfait l’objectif de ce type de peine qui est de réduire le nombre de délinquants non dangereux en prison.

[67]      Dans les circonstances de la présente affaire, je suis d’avis que les objectifs de dénonciation et de dissuasion peuvent être atteints par un emprisonnement avec sursis, accompagné de conditions strictes. Dans Proulx, la Cour suprême mentionne qu’une peine avec sursis, assortie de conditions rigoureuses, peut avoir un effet dénonciateur[56]. Elle reconnaît par ailleurs que l’effet dissuasif général de l’incarcération est incertain[57]. Quant à l’effet dissuasif spécifique, il n’est pas nécessaire de le considérer compte tenu du risque nul de récidive de l’appelante. L’emprisonnement dans la collectivité, en l’espèce, satisfait l’objectif de ce type de peine qui est de réduire le nombre de délinquants non dangereux en prison[58].

[68]      Par ailleurs, comme le rappelle mon collègue le juge Vauclair, dans l’arrêt Casavant c. R., il faut se poser la question suivante :

[67]      La question est toujours la même : « Pour cetteinfraction, commise par ce délinquant, ayant causé du tort à cette victime, dans cette communauté, quelle est la sanction appropriée au regard du Code criminel? » : R. c. Parranto, 2021 CSC 46 (CanLII), [2021] 3 R.C.S. 366, par. 113, citant R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 80 (soulignements dans le texte); R. c. Simard, 2024 QCCA 835, par. 63; R. c. V.L., 2023 QCCA 449, par. 42.[59]

[Soulignements dans l’original]

[69]      L’infraction commise par l’appelante s’est déroulée en quelques secondes et est attribuable à une grave erreur de jugement, laquelle a eu des conséquences dramatiques pour Jessy Drolet, sa mère et ses proches. Depuis huit ans et demi, l’appelante est confrontée à un long processus judiciaire. Son état de santé est affecté, mais elle s’est prise en main et bénéficie d’un suivi hebdomadaire avec sa psychologue. Elle demeure par ailleurs un actif pour la société et ne présente aucun risque de récidive.

[70]      À mon avis, il s’agit d’un cas où il faut favoriser l’emprisonnement avec sursis, lequel permet de satisfaire aux objectifs pénologiques dans la présente affaire. L’appelante a démontré qu’une peine à purger dans la collectivité est une peine appropriée. Comme le soulignait la Cour suprême dans R. c. Pham, « […] lorsque deux peines sont appropriées eu égard à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant, la peine qui convient le mieux pourrait être celle qui favorise le plus la réinsertion sociale de ce dernier »[60].

[71]      Quant à son statut de policière, le juge l’utilise pour conclure à la gravité intrinsèque de l’infraction[61] en sus de l’inclure comme facteur aggravant[62]. Toutefois, il est à noter qu’il reconnaît, en ce qui concerne la fourchette des peines, que les décisions des tribunaux imposant des peines d’emprisonnement à des policiers dans des cas de conduite dangereuse ont toutes été rendues dans la période au cours de laquelle la peine avec sursis n’était plus permise, entre 2007 et 2022[63].