Duchaussoy c. R., 2020 QCCA 380

En opposant la planification au caractère soudain et irréfléchi, la juge a laissé entendre qu’un meurtre planifié ne pouvait être commis de façon soudaine et irréfléchie, autrement dit, que la préméditation et le propos délibéré allaient de pair, qu’un meurtre prémédité était forcément un meurtre commis de propos délibéré.

[33] En opposant la planification au caractère soudain et irréfléchi, la juge a laissé entendre qu’un meurtre planifié ne pouvait être commis de façon soudaine et irréfléchie, autrement dit, que la préméditation et le propos délibéré allaient de pair, qu’un meurtre prémédité était forcément un meurtre commis de propos délibéré. Or, comme l’explique le juge Proulx dans R. c. Gentry, 1999 CanLII 13176 (C.A.), la préméditation et le propos délibéré sont deux éléments distincts et l’un peut exister sans l’autre :

On ne saurait trop insister sur la distinction fondamentale entre la « préméditation » et le « propos délibéré » qui doivent coexister pour qu’une personne puisse être déclarée coupable de meurtre au premier degré. Alors que la préméditation s’entend d’un projet bien arrêté dont la nature et les conséquences ont été examinées et soupesées, le propos délibéré suppose que le meurtrier ait pris le temps de réfléchir sur la portée du geste qu’il se proposait d’accomplir […].

Ces deux éléments peuvent être séquentiels, auquel cas il s’agit d’un meurtre au premier degré. Toutefois, l’un peut exister sans l’autre : il peut donc y avoir un meurtre prémédité, sans qu’il soit commis de propos délibéré ou encore un meurtre non prémédité, mais accompli de propos délibéré.

[Caractères gras dans l’original]

[34] Les directives supplémentaires de la juge, en particulier les exemples qu’elle a donnés de « ce qui peut être soudain et irréfléchi, a contrario avec une planification », ont pu amener le jury à adopter le raisonnement suivant : parce qu’il transportait une arme chargée et qu’il était prêt à tirer sur n’importe quel homme, l’appelant n’a pas pu agir de façon soudaine et irréfléchie. Ce raisonnement est erroné. L’appelant a pu planifier tuer un homme, n’importe lequel, en raison de la colère qui l’habitait[19], mais ne pas avoir tué M. Bouzid de propos délibéré. Comme on vient de le voir, un meurtre prémédité peut ne pas être commis de propos délibéré.

[35] Contrairement aux directives dans R. c. Mcintyre, 2002 CanLII 41096 (C.A.), paragr. 14, les directives supplémentaires de la juge n’ont pas permis aux jurés de comprendre que, pour déclarer l’appelant coupable de meurtre au premier degré, le meurtre de M. Bouzid devait avoir été « préparé, prémédité et, en plus, commis de façon réfléchie et non sous l’impulsion du moment ». La juge n’a pas non plus clairement précisé au jury que la préméditation et le propos délibéré constituaient des concepts distincts : R. c. Aalders, 1993 CanLII 99 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 482, p. 502-504.

[36] Cette nuance avait son importance ici, car, à la différence des faits de l’arrêt Aalders, ces deux éléments n’étaient pas particulièrement reliés. L’un pouvait exister sans l’autre. De plus, l’appelant a déclaré avoir « vu noir totalement » et « passé out ben raide » pour reprendre ses mots. L’absence de propos délibéré au moment où il a déchargé son arme sur la victime trouvait donc appui dans la preuve. Là encore, la situation de l’espèce se distingue de celle de l’arrêt MacNeil c. R., 2013 QCCA 562, où l’accusé n’avait fait aucune déclaration et où les éléments de préméditation et de propos délibérés étaient amplement démontrés : paragr. 29. Il est, du reste, bien établi que les directives doivent être adaptées aux faits de l’espèce et que chaque affaire comporte ses propres exigences : R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760, paragr. 51-52; R. c. Bissonnette, 2018 QCCA 2165, paragr. 28, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 23 mai 2019, no 38522; Palma c. R., 2019 QCCA 762, paragr. 45.

La jurisprudence reconnaît que les réponses aux questions posées par le jury revêtent une importance capitale et que leur effet dépasse de loin celui des directives principales.

[37] La jurisprudence reconnaît également que les réponses aux questions posées par le jury revêtent une importance capitale et que leur effet dépasse de loin celui des directives principales : R. c. Griffin, 2009 CSC 28, [2009] 2 R.C.S. 42, paragr. 45; R. c. Naglik, 1993 CanLII 64 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 122, p. 139; Levers c. R., 2017 QCCA 1266, paragr. 58. Il en est ainsi parce que « [l]a question porte généralement sur un point important du raisonnement du jury, ce qui rend encore plus dommageable toute erreur que le juge peut faire en y répondant » : R. c. Pétel, 1994 CanLII 133 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 3, p. 15.

[38] En l’espèce, la question posée par le jury indiquait clairement que les jurés avaient besoin d’aide pour comprendre et différencier les notions de préméditation et de propos délibéré. Les exemples donnés par la juge ont vraisemblablement joué un rôle important dans leurs délibérations, plus encore que la relecture des directives principales qui n’avaient peut-être pas été bien comprises.

[39] Ces exemples ont pu amener le jury à croire à tort que s’il concluait à la préméditation (par opposition à une pulsion soudaine et irréfléchie), il devait nécessairement conclure au propos délibéré.

[40] L’intimée, de façon subsidiaire, invoque la disposition réparatrice prévue au sous-alinéa 686(1)b)(iii) C.cr. Elle avance que la preuve du meurtre au premier degré était « accablante », notamment parce que « dès la veille du meurtre, l’appelant avait l’intention de tuer une ou plusieurs personnes indéterminées ». C’est faire dire beaucoup à la déclaration de l’appelant. Ce dernier, je le rappelle, a déclaré qu’il ne savait pas ce qui serait arrivé si l’employée du Tim Hortons ou la chauffeuse d’autobus avait été un homme. Il a acquiescé à la suggestion du policier qu’ils seraient morts, probablement, avant de répéter qu’il ne savait pas ce qui se serait passé, mis à part le fait que « ça aurait été très violent »[20]. À mon sens, il ne s’agit pas d’un cas où la preuve est si accablante qu’il aurait été impossible pour le jury de rendre un autre verdict : R. c. Mayuran, 2012 CSC 31, [2012] 2 R.C.S. 162, paragr. 45; R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716, paragr. 34.

[41] Par ailleurs, selon la thèse de l’intimée, l’appelant avait planifié tuer un ou plusieurs hommes, d’où l’élément de préméditation. Dans les circonstances, je ne peux me convaincre que l’erreur commise par la juge dans ses directives supplémentaires n’a pu avoir aucune incidence sur le verdict. Le risque que le jury ait confondu les notions de préméditation et de propos délibéré m’apparaît bien présent.