Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59

Il n’existe aucun régime d’exception applicable aux forces policières en droit civil québécois.

[37] En droit civil québécois, l’art. 48 de la Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1, confie expressément aux policiers la mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime, de même que les infractions aux lois ou aux règlements adoptés par les autorités municipales. Ce faisant, les policiers contribuent à assurer la sécurité des personnes et des biens et à sauvegarder les droits et les libertés (voir, p. ex., A.-R. Nadeau, Droit policier : Loi sur la police annotée et règlements concernant la police (12e éd. 2008), p. XIII).

[38] En accomplissant leur mission, les policiers sont appelés à restreindre ces mêmes droits et libertés en recourant au pouvoir coercitif de l’État, ce qui se traduit notamment par la détention ou l’arrestation de personnes, ainsi que par des fouilles, perquisitions ou saisies. Le risque d’abus est indéniable. C’est pourquoi il importe, dans une société qui repose sur la primauté du droit, que les actes des policiers trouvent en tout temps un fondement juridique (Dedman c. La Reine, 1985 CanLII 41 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 2, p. 28-29; R. c. Sharma, 1993 CanLII 165 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 650, p. 672-673). À défaut de telles justifications, leur conduite est illégale et ne saurait être tolérée.

[39] Les policiers sont conséquemment astreints, dans l’exercice de ces pouvoirs, à des règles de conduite exigeantes visant à prévenir l’arbitraire et les restrictions injustifiées aux droits et libertés (Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41 (CanLII), [2007] 3 R.C.S. 129, par. 71; Jauvin c. Québec (Procureur général), 2003 CanLII 32249 (QC CA), [2004] R.R.A. 37 (C.A.), par. 46). Lorsqu’un policier s’écarte de ces règles, il est susceptible d’engager sa responsabilité civile. Il ne bénéficie à cet égard d’aucune immunité de droit public (Jauvin, par. 42; Régie intermunicipale de police des Seigneuries c. Michaelson, [2005] R.R.A. 7 (C.A. Qc), par. 22; Popovic c. Montréal (Ville de), 2008 QCCA 2371 (CanLII), [2009] R.R.A. 1, par. 63).

[40] En droit québécois, comme tout autre justiciable, le policier est tenu responsable civilement du préjudice qu’il cause à autrui par une faute, conformément à l’art. 1457 du Code civil du Québec (« C.c.Q »). Son employeur est pour sa part tenu de réparer le préjudice dans la mesure où la faute du policier a été commise dans l’exécution de ses fonctions, suivant les art. 1463 et 1464 C.c.Q. En somme, il n’existe aucun régime d’exception applicable aux forces policières (M. Lacroix, « Responsabilité civile des forces policières », dans JurisClasseur Québec — Responsabilité professionnelle, par A. Bélanger, dir., fasc. 13, par. 6; J.‑L. Baudouin et C. Fabien, « L’indemnisation des dommages causés par la police » (1989), 23 R.J.T. 419, p. 422).

[41] Pour déterminer si un policier doit être tenu responsable civilement, il faut se reporter aux conditions cumulatives prescrites à l’art. 1457 C.c.Q., en l’occurrence la faute, le préjudice et le lien causal entre les deux. La présente affaire requiert plus particulièrement l’examen de la notion de faute civile du policier et du critère qui s’y applique, soit celui du policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances. Sur ce point, je suis en accord avec les juges majoritaires de la Cour d’appel : le critère du policier raisonnable ne perd pas sa pertinence lorsque le respect du droit est en cause.

La conduite policière doit être évaluée selon le critère du policier normalement prudent, diligent et compétent placé dans les mêmes circonstances.

[45] Il est bien établi que la conduite policière doit être évaluée selon le critère du policier normalement prudent, diligent et compétent placé dans les mêmes circonstances (Chartier c. Procureur général du Québec), 1979 CanLII 17 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 474, p. 512-513, le juge Pratte, dissident en partie, mais non sur ce point; Hill, par. 72; Jauvin, par. 44 et 59; Michaelson, par. 22; Popovic, par. 63; Lacombe c. André, 2003 CanLII 47946 (QC CA), [2003] R.J.Q. 720 (C.A.), par. 41; St-Martin c. Morin (Succession de), 2008 QCCA 2106 (CanLII), [2008] R.J.Q. 2539, par. 101; Lacroix, « Responsabilité civile des forces policières », par. 14-15). Les professeurs Baudouin et Fabien expliquent en ces termes la démarche d’un tribunal appelé à se prononcer sur la faute reprochée à un policier :

Le tribunal appelé à juger la conduite du policier doit tout d’abord apprécier les faits in abstracto, par référence au standard idéal et abstrait du policier d’une prudence, diligence et compétence normales. Ce standard n’est pas nécessairement la résultante d’une observation du comportement moyen observé chez les collègues de travail du policier sous examen. En déterminant ce standard, le tribunal peut tenir compte de données empiriques. II n’est cependant pas lié par elles et peut projeter dans ce standard l’idée qu’il se fait de ce qui lui paraît socialement souhaitable. Le « bon père de famille » du Code civil n’est pas une donnée sociologique mais une créature normative.

Le standard de conduite appliqué au policier, pour déterminer s’il a commis une faute, n’en est pas un d’excellence. Il s’agit d’un standard moyen, qui n’est ni le meilleur, ni le plus médiocre.

Il est important ensuite de bien situer le « policier-étalon » dans les mêmes circonstances externes que celles du policier dont on évalue la conduite. Il faut tenir compte des circonstances de lieu : température, visibilité, urgence, etc. et des circonstances de temps.

(Baudouin et Fabien, p. 423-424; voir aussi C. Massé, « Chronique – Arrestation illégale et brutalité policière : dans quelles circonstances la responsabilité des policiers peut-elle être engagée? » (2013), Repères, mai 2013 (accessible en ligne dans La référence), p. 2.)

[46] Ce critère du policier raisonnable reconnaît le caractère largement discrétionnaire du travail policier (Hill, par. 51-52 et 73). À cet égard, les observations de la Cour dans l’arrêt Hill, à propos du délit d’enquête menée de façon négligente, sont pour l’essentiel transposables en droit civil québécois :

Dans l’exercice de ses fonctions à la fois importantes et périlleuses, le policier exerce son pouvoir discrétionnaire et son jugement professionnel selon les normes et les pratiques établies à l’égard de sa profession et il le fait dans le respect des normes élevées de professionnalisme exigé à bon droit par la société.

. . .

La norme ne commande pas une démarche parfaite, ni même optimale, lorsqu’on considère celle-ci avec le recul. La norme est celle du policier raisonnable au regard de la situation — urgence, données insuffisantes, etc. — au moment de la décision. Le droit de la négligence n’exige pas des professionnels qu’ils soient parfaits ni qu’ils obtiennent les résultats escomptés. [Référence omise; par. 52 et 73.]

Le contenu des règles de droit qui encadrent le travail des forces policières définit, dans une certaine mesure, l’étendue de « l’obligation de prudence et diligence qui s’impose dans un contexte donné ».

[47] Le contenu des règles de droit qui encadrent le travail des forces policières définit, dans une certaine mesure, l’étendue de « l’obligation de prudence et diligence qui s’impose dans un contexte donné » (voir Ciment du Saint-Laurent, par. 36). Dans le cadre d’une action en responsabilité civile, le tribunal sera ainsi appelé à apprécier la conduite du policier à la lumière des balises fixées notamment par les textes constitutionnels et quasi-constitutionnels, les lois criminelles et pénales, les lois constitutives des corps policiers et leurs codes de déontologie (voir, p. ex., Hill, par. 41; voir aussi M. Vauclair et T. Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales (26e éd. 2019), par. 207-211; Lacroix, « Responsabilité civile des forces policières », par. 6-11; Baudouin, Deslauriers et Moore, vol. 2, no 2-1 à 2-2).

[48] La transgression de telles règles de conduite législatives ou réglementaires pourra souvent, sauf circonstances particulières, être assimilée à une faute civile (voir Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 600, par. 96; Compagnie d’assurance Continental du Canada c. 136500 Canada inc., [1998] R.R.A. 707 (C.A. Qc), p. 712). Ce sera particulièrement le cas lorsqu’une disposition exprime elle-même une norme élémentaire de prudence ou de diligence (Morin c. Blais, 1975 CanLII 3 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 570, p. 580; Harvey c. Trois-Rivières (Ville de), 2013 QCCA 772 (CanLII), [2013] R.J.Q. 650, par. 56-62). Néanmoins, en droit québécois, une conduite illégale n’est pas systématiquement fautive sur le plan civil (Ciment du Saint-Laurent, par. 21 et 34; L. (J.) c. Gingues, 2008 QCCA 2242 (CanLII), 93 C.C.L.T. (3d) 67, par. 5; voir, à ce sujet, Baudouin, Deslauriers et Moore, vol. 1, no 1-191; Karim, par. 2519; M. Tancelin, Des obligations en droit mixte du Québec (7e éd. 2009), par. 634; N. Vézina, « Du phénomène de pollution lumineuse appliqué à l’observation des astres jurisprudentiels : responsabilité objective, responsabilité subjective et l’arrêt Ciment du Saint-Laurent », dans G. Bras Miranda et B. Moore, dir., Mélanges Adrian Popovici : Les couleurs du droit (2010), 357, p. 369-383; M. Lacroix, L’illicéité : Essai théorique et comparatif en matière de responsabilité civile extracontractuelle pour le fait personnel (2013), p. 160; M. Lacroix, « Le fait générateur de responsabilité civile extracontractuelle personnelle : continuum de l’illicéité à la faute simple, au regard de l’article 1457 C.c.Q. » (2012), 46 R.J.T. 25, p. 37-38; Jobin, p. 224-229).

Même si la personne raisonnable doit bien sûr se conformer aux règles de conduite qu’impose la loi, comme le rappelle d’ailleurs l’art. 1457 al. 1 C.c.Q., ces règles ne créent pas, au regard du régime général de la responsabilité civile, des obligations de résultat. Mais,la norme de conduite attendue des policiers est à juste titre élevée : un policier qui agit illégalement ne pourra aisément échapper à toute responsabilité civile en soulevant son ignorance du droit ou sa compréhension erronée de celui-ci

[49] En d’autres termes, même si la personne raisonnable doit bien sûr se conformer aux règles de conduite qu’impose la loi, comme le rappelle d’ailleurs l’art. 1457 al. 1 C.c.Q., ces règles ne créent pas, au regard du régime général de la responsabilité civile, des obligations de résultat (voir, au sujet de cette notion, Crépeau, p. 11-12). Dans Ciment du Saint-Laurent, la Cour a rejeté la thèse selon laquelle la violation de règles législatives ou réglementaires constitue une « faute civile » objective, qui imposerait une forme de responsabilité stricte, indépendamment de la prudence et de la diligence dont a fait montre l’auteur du préjudice eu égard aux circonstances :

La norme de la faute civile correspond à une obligation de moyens. Par conséquent, il s’agira de déterminer si une négligence ou imprudence est survenue, eu égard aux circonstances particulières de chaque geste ou conduite faisant l’objet d’un litige. Cette règle s’applique à l’évaluation de la nature et des conséquences d’une violation d’une norme législative. [Je souligne; par. 34.]

(Voir, à ce sujet, Baudouin, Deslauriers et Moore, vol. 1, no 1-164.)

[50] En droit civil québécois, il ne suffit pas de démontrer l’illégalité de la conduite du policier. L’obligation qui incombe à ce dernier demeure une obligation de moyens, même lorsque le respect de la loi est en cause. Pour obtenir réparation, le demandeur doit d’abord établir l’existence d’une faute au sens de l’art. 1457 C.c.Q., c’est-à-dire un écart par rapport à la conduite du policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances. Le régime général de la responsabilité civile n’est pas pour autant laxiste. Comme je l’expliquerai ci-dessous, la norme de conduite attendue des policiers est à juste titre élevée : un policier qui agit illégalement ne pourra aisément échapper à toute responsabilité civile en soulevant son ignorance du droit ou sa compréhension erronée de celui-ci.

[51] De surcroît, le simple fait que l’acte d’un policier ait une assise juridique ne dégage pas ce dernier à coup sûr de toute responsabilité civile (voir Infineon, par. 96; Baudouin, Deslauriers et Moore, vol. 1, no 1-192). Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, un policier doit agir raisonnablement et respecter l’obligation générale de prudence et de diligence à l’égard d’autrui qui lui incombe, selon les circonstances, en vertu de l’art. 1457 C.c.Q. (voir, en common law, Hill, par. 41).

[52] Avant d’aller plus loin, j’apporterai une précision. Le présent pourvoi porte sur une action fondée sur l’art. 1457 C.c.Q. et non sur l’art. 49 al. 1 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (« Charte québécoise »). Je n’ai donc pas à me prononcer sur la notion d’atteinte illicite à l’art. 24 de la Charte québécoise, qui prévoit que « [n]ul ne peut être privé de sa liberté ou de ses droits, sauf pour les motifs prévus par la loi et suivant la procédure prescrite ». Je préfère reporter à une autre occasion l’étude de la norme applicable aux atteintes illicites au regard de l’art. 24, lorsque la Cour aura le bénéfice d’observations complètes à ce sujet.

Il ne suffit pas de suivre la pratique professionnelle courante pour échapper à sa responsabilité. Il faut que le caractère raisonnable de cette pratique puisse être démontré.

[59] Les formations et les instructions données aux policiers, de même que les politiques, directives et procédures internes des corps policiers, doivent être prises en compte dans l’appréciation de la conduite d’un policier, sans toutefois être en elles-mêmes déterminantes. Un policier raisonnable doit en effet savoir que celles-ci n’ont pas force de loi (voir R. c. Beaudry, 2007 CSC 5 (CanLII), [2007] 1 R.C.S. 190, par. 44-46). De même, les pratiques usuelles constituent tout au plus un facteur pertinent. Comme l’indiquait la Cour dans l’arrêt Roberge, dans le contexte d’une action en responsabilité civile découlant de l’erreur de droit d’un notaire, « il ne suffit pas [. . .] de suivre la pratique professionnelle courante pour échapper à sa responsabilité. Il faut que le caractère raisonnable de cette pratique puisse être démontré » (p. 434). Le simple fait de répéter une erreur de droit ne rend pas cette dernière excusable.

[60] En tant que professionnel chargé de faire respecter la loi, le policier doit être en mesure de faire preuve de jugement quant au droit applicable. Il ne peut s’en remettre aveuglément aux formations et aux instructions qui lui ont été données, ni suivre machinalement les politiques, directives et procédures internes ou les pratiques usuelles des policiers.

[61] De façon analogue, il est bien établi qu’un policier ne peut éviter d’engager sa responsabilité civile personnelle simplement en plaidant qu’il ne faisait qu’exécuter un ordre qu’il savait ou devait savoir illégal (Chartier, p. 498; Chaput c. Romain, 1955 CanLII 74 (SCC), [1955] R.C.S. 834, p. 842; Pelletier c. Cour du Québec, 2002 CanLII 41229 (QC CA), [2002] R.J.Q. 2215 (C.A.), par. 37; Lacroix, « Responsabilité civile des forces policières », par. 16). Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore l’expriment avec justesse : « Sur le plan civil, c’est la désobéissance à un ordre illégal qui doit être considérée comme la conduite normale d’une personne prudente et diligente et non l’inverse » (vol. 1, no 1-206; voir aussi G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil : Les conditions de la responsabilité (2e éd. 1998), par J. Ghestin, dir., p. 502). Il en va de même en ce qui concerne les formations et instructions données aux policiers, ainsi que les politiques, directives et procédures internes des corps policiers.

[62] Bien entendu, le policier n’est pas un avocat et n’est pas assujetti aux mêmes normes que ce dernier (Hill, par. 50). Il n’est pas tenu, par exemple, d’entreprendre lui-même des recherches approfondies et une réflexion poussée sur les subtilités d’une jurisprudence contradictoire (voir Grant, par. 133). Qui plus est, lorsqu’une question de droit prête à controverse, la conduite du policier ne devrait pas être jugée fautive dans la mesure où elle s’appuie sur une interprétation raisonnable et par ailleurs conforme aux formations et aux instructions qui lui ont été données (voir, par analogie, Roberge, p. 436).

[63] Cela dit, les attentes envers les policiers demeurent élevées. En cas d’incertitude quant au droit en vigueur, il leur incombe d’effectuer les vérifications raisonnables dans les circonstances, par exemple en suspendant leurs activités afin de consulter un procureur ou encore de relire les dispositions pertinentes et la documentation accessible. En principe, une erreur sera jugée moins sévèrement si elle survient au cours d’une intervention d’urgence, ou dans une situation mettant en jeu la sécurité du public, plutôt que dans le cadre d’une opération savamment planifiée ou encore dans l’application routinière d’un règlement. En d’autres termes, à moins que les circonstances n’exigent une intervention immédiate, il ne convient pas d’agir d’abord, puis de vérifier ensuite. Je précise que — même dans une situation d’urgence — le fait qu’un comportement paraisse dangereux au policier ne lui permet pas de présumer l’existence d’une infraction (voir Baudouin et Fabien, p. 423-424).

[64] En clair, un policier commet parfois une faute civile s’il adopte une conduite illégale, même si celle-ci est par ailleurs conforme aux formations et aux instructions reçues, aux politiques, directives et procédures en place et aux pratiques usuelles. Tout est affaire de contexte : il faut se demander si un policier raisonnable aurait agi de la même manière. Conséquemment, en appréciant la conduite d’un policier, le tribunal doit « accorder une grande importance aux circonstances externes » et « éviter la vision parfaite que permet le recul » (Dubé c. Gélinas, 2013 QCCS 1681, par. 68 (CanLII); voir aussi Hill, par. 73; Gounis, par. 29; Boisvenu c. Sherbrooke (Ville de), 2009 QCCS 2688, par. 79 (CanLII)).

[65] À cet égard, j’insiste sur le fait que la conduite du policier doit être appréciée en fonction du droit en vigueur au moment des faits (Hill, par. 73; St-Martin, par. 94; L.(J.), par. 5; Communauté urbaine de Montréal c. Cadieux, [2002] R.J.D.T. 80 (C.A. Qc), par. 39-41). On pourrait difficilement lui reprocher d’avoir appliqué une disposition présumée valide, applicable et opérante à l’époque pertinente (Guimond c. Québec (Procureur général), 1996 CanLII 175 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 347, par. 14).

[66] C’est ce qui m’amène à traiter de la présomption de validité sur laquelle repose, en partie du moins, l’opinion des juges majoritaires de la Cour d’appel.

La présomption de validité ne permet pas de tenir pour acquise l’existence même d’une infraction. Autrement dit, bien qu’une infraction existante doive être présumée valide, une infraction n’est pas présumée exister du seul fait que l’État, qu’une personne morale de droit public ou qu’un de leurs représentants croit qu’elle existe.

[71] Sur le plan de la responsabilité civile, la présomption de validité a pour corollaire que le simple fait de faire respecter une disposition subséquemment déclarée invalide ne sera généralement pas considéré comme une faute — en l’absence bien sûr de mauvaise foi ou d’un comportement abusif ou autrement fautif (voir Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 405, par. 78-79; Guimond, par. 13-19; Blainville (Ville) c. Beauchemin, 2003 CanLII 12922 (QC CA), [2003] R.J.Q. 2398 (C.A. Qc), par. 57). L’action légitime de l’État et des personnes morales de droit public serait en effet indûment entravée si leurs représentants — y compris les policiers — ne pouvaient présumer leur validité. C’est pourquoi, comme je l’ai indiqué précédemment, il convient de se reporter, dans l’évaluation de leur responsabilité, au « droit tel qu’il existait au moment de l’acte contesté » (Cadieux, par. 39 (je souligne)).

[72] Mais la présomption de validité ne permet pas de tenir pour acquise l’existence même d’une infraction. Autrement dit, bien qu’une infraction existante doive être présumée valide, une infraction n’est pas présumée exister du seul fait que l’État, qu’une personne morale de droit public ou qu’un de leurs représentants croit qu’elle existe. Rien ne saurait justifier que l’on donne effet à des mesures législatives ou réglementaires qui n’ont en fait jamais été adoptées ou prises.

[73] Il est sans doute rare, j’en conviens, qu’un policier pense qu’une infraction existe, alors que celle-ci est inexistante. Mais il arrive que l’État, qu’une personne morale de droit public ou qu’un de leurs représentants croie à tort qu’un acte ou une omission constitue une infraction, en raison d’une erreur quant à la portée d’une règle de droit. Dans Ryan c. Auclair (1991), 31 Q.A.C. 60, par exemple, la Cour d’appel du Québec devait décider si des policiers avaient commis une faute en procédant à l’arrestation de religieuses qui distribuaient de porte en porte des tracts religieux. Les religieuses soutenaient que le règlement municipal interdisant la distribution de circulaires ne visait que les imprimés commerciaux. Quoique la Cour n’ait ultimement pas conclu à la responsabilité civile des policiers, elle n’a pas présumé que l’interprétation retenue par les policiers était exacte. Par ailleurs, dans l’affaire Procureur général du Québec c. Ouellet, 1998 CanLII 12543, la Cour d’appel a confirmé une décision octroyant des dommages-intérêts à l’exploitant d’un commerce de vente de produits pour fabrication de vin, cidre et bière à la suite d’une saisie qui reposait sur une infraction en réalité inexistante au regard de la Loi sur la Société des alcools du Québec, L.R.Q., c. S-13. Dans chacune de ces décisions, la présomption de validité n’a joué aucun rôle dans l’appréciation de la responsabilité civile. Le raisonnement demeure le même, peu importe le motif pour lequel le policier a erré. Que le policier croie qu’un acte ou une omission constitue une infraction en raison d’une erreur quant à la portée d’une règle de droit ou encore d’une erreur quant à l’existence d’une règle de droit, la présomption de validité ne lui est d’aucun secours.

[74] En somme, il est vrai qu’un policier n’engage généralement pas sa responsabilité civile en faisant respecter une disposition — présumée valide au moment des faits — qui est par la suite déclarée invalide, dans la mesure bien sûr où il ne commet par ailleurs aucune faute dans l’exercice de ses pouvoirs. Du reste, dès lors que la jurisprudence a reconnu l’existence d’une infraction ou précisé sa portée, un policier peut bien sûr s’y fier, sans crainte que sa conduite à cet égard soit jugée fautive. Il ne s’ensuit pas, cependant, que l’existence en droit d’une infraction — ou encore sa portée — doive être tenue pour acquise, dans le cadre d’une action en responsabilité civile, sur la foi de simples prétentions en ce sens de l’État, d’une personne morale de droit public ou d’un de leurs représentants.