Procureur général du Québec c. C.M., 2021 QCCA 543
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Une peine simplement excessive ne suffit pas pour invalider une peine minimale obligatoire au plan constitutionnel.
[39] Les peines minimales sont critiquables et, à plusieurs égards, vulnérables au plan constitutionnel[17]. La peine minimale « modifie le processus général de la détermination de la peine, lequel prend appui sur l’examen de tous les éléments pertinents pour arriver à un résultat proportionné »[18].
[40] Par cette mesure, le législateur cherche à « retirer aux juges le pouvoir discrétionnaire d’infliger une peine inférieure à la peine minimale prescrite »[19] en application du principe fondamental de proportionnalité[20]. La peine minimale fait automatiquement primer l’objectif de dissuasion au détriment des autres objectifs en matière de détermination des peines[21] et limite la possibilité pour le juge d’individualiser la peine aux circonstances du crime et du délinquant.
[41] Il reste cependant que le législateur « possède le pouvoir de faire des choix de politique générale en ce qui a trait à l’infliction de peines aux auteurs d’actes criminels et d’arrêter les peines qu’il juge appropriées pour tenir compte des objectifs que sont la dissuasion, la dénonciation, la réadaptation et la protection de la société »[22].
[42] Le législateur peut avoir prévu une peine minimale pour certains types de crimes particulièrement perturbateurs de l’ordre ou de la sécurité publique, « qui accorde [obligatoirement] plus d’importance à la dissuasion générale, à la dénonciation et au châtiment qu’aux autres objectifs de détermination de la peine, tels la réadaptation », ou encore la dissuasion spécifique[23].
[43] Dans cet esprit, à moins qu’elles n’aient été déclarées inconstitutionnelles, les peines minimales prévues dans le Code criminel sont d’application obligatoire et « [l]e pouvoir discrétionnaire d’un juge n’est pas si large qu’il lui permette de déroger à cette expression claire de la volonté du législateur »[24].
[44] La barre est donc haute lorsqu’il s’agit d’établir qu’une peine est cruelle et inusitée » au sens de l’article 12 de la Charte[25]. En effet, une peine minimale contrevient à cette disposition si elle inflige une peine exagérément disproportionnée, c’est‑à-dire si elle est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine, odieuse ou intolérable socialement[26].
[45] Une peine simplement excessive ne suffit pas pour invalider une peine minimale obligatoire au plan constitutionnel[27].
La violence sexuelle commise par des adultes de sexe masculin à l’endroit d’adolescentes s’accompagne de taux plus élevés de blessures physiques, de suicide, de toxicomanie et de grossesses non désirées.
[64] Puis, en avril 2020, la Cour suprême rend unanimement l’arrêt R c. Friesen, dans lequel elle dit envoyer « le message clair que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont des crimes violents qui exploitent injustement leur vulnérabilité et leur causent un tort immense ainsi qu’aux familles et aux collectivités »[45].
[65] Le plus haut tribunal du pays y rappelle que « [p]rotéger les enfants de l’exploitation illicite et du danger est l’objectif primordial du régime législatif créant les infractions d’ordre sexuel contre des enfants dans le Code criminel »[46], ce qui comprend l’obtention de services sexuels d’une personne âgée de moins de 18 ans moyennant rétribution, l’infraction qui est en cause dans la présente affaire[47].
[66] Ainsi, selon la Cour suprême, il doit être fait « en sorte que les peines infligées pour les infractions d’ordre sexuel contre les enfants correspondent aux initiatives législatives du Parlement et à la compréhension actuelle du tort immense que causent ces infractions aux enfants »[48].
[67] La Cour rappelle aux tribunaux chargés d’imposer des peines qu’il peut être nécessaire de s’écarter des fourchettes et précédents antérieurs aux récents changements législatifs afin d’imposer des peines proportionnelles aux délinquants compte tenu de la meilleure compréhension de la gravité et la nocivité des infractions d’ordre sexuel contre des enfants[49].
[68] La Cour suprême énonce également les facteurs centraux à prendre en considération pour fixer une peine juste dans le cas de crimes sexuels impliquant des enfants, ce qui inclut la probabilité de récidive, le degré d’atteinte physique ou psychologique ainsi que l’âge de la victime[50]. Sur ce dernier point, bien que la culpabilité morale du délinquant soit accentuée lorsque la victime est particulièrement jeune, la Cour exprime qu’il est nécessaire d’infliger des peines proportionnelles dans le cas où la victime est adolescente[51]. En effet, « la violence sexuelle commise par des adultes de sexe masculin à l’endroit d’adolescentes s’accompagne de taux plus élevés de blessures physiques, de suicide, de toxicomanie et de grossesses non désirées »[52].
[69] Dans son exercice d’évaluation de la constitutionnalité de la peine minimale, la juge élude presque complètement les objectifs de dénonciation et de dissuasion des méfaits sociaux considérables et dévastateurs des crimes sexuels commis sur les adolescents.
[70] Selon elle, « [i]mposer une peine obligatoire d’emprisonnement de six mois plutôt que la peine de trois mois jugée convenable au regard des circonstances de l’affaire, et ce, dans le seul but de dénoncer et dissuader des tiers, serait totalement disproportionné »[53].
[71] Il est vrai que l’on ne peut infliger une peine totalement disproportionnée à la seule fin de dissuader les citoyens de désobéir à la loi criminelle[54]. Toutefois, « la dissuasion générale peut justifier l’infliction d’une peine qui, quoique sévère, se situe à l’intérieur de la fourchette des peines qui ne sont pas cruelles et inusitées »[55].
[72] L’infraction d’obtention de services sexuels d’une personne de moins de 18 ans moyennant rétribution est objectivement grave, étant passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans, plafond qui a été rehaussé en 2014. Cette augmentation a un effet d’accroissement sur la fourchette des peines. Il est à noter que les peines maximales ne sont pas théoriques et « ne sauraient être réservées aux pires cas impliquant les pires circonstances et les pires criminels »[56].
Les opérations d’infiltration menées par la police sont devenues un outil important — sinon le plus important — dont disposent les policiers pour repérer les délinquants qui s’en prennent aux enfants et les empêcher de leur faire du mal.
[91] Dans l’arrêt Friesen, dont la juge de première instance n’avait cependant pas le bénéfice, la Cour suprême enseigne que les tribunaux chargés d’imposer des peines doivent donner effet à la culpabilité morale du délinquant même si les faits découlent d’une opération d’infiltration policière.
[92] En effet, « [l]es opérations d’infiltration menées par la police sont devenues un outil important — sinon le plus important — dont disposent les policiers pour repérer les délinquants qui s’en prennent aux enfants et les empêcher de leur faire du mal »[67].
[93] L’intimé ne peut s’attribuer le mérite de ce facteur. Tout comme le leurre d’enfant, la sollicitation de services sexuels de mineurs moyennant rétribution « ne devrait jamais être considéré[e] comme un crime sans victime »[68]. Les opérations d’infiltration du SPL ont sans aucun doute permis de protéger plusieurs victimes potentielles d’activités d’exploitation sexuelle[69]. Par conséquent, l’absence de victime réelle n’a pas pour effet de diminuer le degré de responsabilité de l’intimé[70].
[94] En somme, compte tenu du contexte, de la gravité objective de l’infraction, de la gravité subjective de sa commission, de la préséance des objectifs de dénonciation et de dissuasion en matière de crimes sexuels commis sur des enfants, et malgré la réhabilitation de l’intimé et la présence de plusieurs facteurs atténuants, la peine minimale de six mois n’était pas exagérément disproportionnée dans le cas de l’intimé au point d’être cruelle et inusitée, injustifiée et par conséquent inopérante. Il s’agit d’une peine qui aurait raisonnablement pu être imposée à l’intimé.
[95] Quelques mots au sujet de l’arrêt R. c. J.L.M.[71], rendu en 2017. Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique déclare inopérante et inconstitutionnelle la peine minimale de six mois pour l’infraction d’obtention de services sexuels d’une personne de moins de 18 ans moyennant rétribution.
[96] Bien qu’elle précise que cet arrêt n’a pas force de précédent au Québec et que son contexte diffère passablement de la présente affaire, la juge qualifie le raisonnement des juges majoritaires d’autorité morale importante[72].
[97] Des distinctions et nuances importantes doivent cependant être apportées.
[98] Dans J.L.M., l’accusé, 46 ans, avait offert de l’argent et des cigarettes à sa nièce âgée de 16 ans en échange de services sexuels. Il s’était vu imposer une peine de sept mois d’emprisonnement en première instance. En appel, la juge Bennett, pour la majorité, a conclu que le juge de première instance n’avait pas adéquatement considéré les principes enseignés par les arrêts Ipeelee[73] et Gladue[74] en matière de détermination de la peine pour un délinquant autochtone. Il s’agit donc d’une situation considérablement différente de la présente affaire.
[99] En outre, puisque l’infraction avait été commise en 2011, c’était l’ancien paragraphe 212(4) du Code criminel qui s’appliquait à la situation de l’accusé. Ainsi, dans sa revue de la jurisprudence pour déterminer la fourchette de peines applicables, la juge Bennett considère des décisions rendues entre 1990 et 2007[75], soit bien avant les modifications législatives apportées en 2014 et 2015 en matière d’infractions d’ordre sexuel contre des enfants ayant eu pour effet, comme je l’ai mentionné, de porter à la hausse les peines imposées pour l’infraction en cause.
Le pouvoir de surseoir à l’exécution d’une mesure d’incarcération, par ailleurs appropriée, peut s’exercer lorsque la réincarcération du délinquant causerait une injustice, ce qui n’est généralement le cas que lorsque la peine d’emprisonnement prononcée en première instance est entièrement ou presque entièrement purgée au moment où la cour d’appel y substitue une peine plus sévère à la suite d’un appel du ministère public.
[107] L’intimé a purgé l’entièreté de la peine de 90 jours d’emprisonnement imposée en première instance et effectué les 150 heures de travaux communautaires prévus dans son ordonnance de probation. Est-il dans l’intérêt de la justice d’ordonner la réincarcération de l’intimé dans ce contexte?
[108] Dans l’arrêt K.F. c. R., notre Cour écrit que « [l]e pouvoir de surseoir à l’exécution d’une mesure d’incarcération, par ailleurs appropriée, peut s’exercer lorsque la réincarcération du délinquant causerait une injustice, ce qui n’est généralement le cas que lorsque la peine d’emprisonnement prononcée en première instance est entièrement ou presque entièrement purgée au moment où la cour d’appel y substitue une peine plus sévère à la suite d’un appel du ministère public »[80].
[109] Ce pouvoir doit rester exceptionnel, de manière à ne pas compromettre l’intégrité du processus de détermination de la peine[81]. Il s’agit d’un tempérament qui peut trouver application lorsqu’une cour d’appel accueille l’appel du ministère public pour imposer, changer les modalités ou allonger une peine d’incarcération pour des questions de principe, mais que de telles mesures ont un impact démesuré sur le délinquant alors que sa peine a été ou est presque complètement purgée.
[110] Dans l’arrêt R. c. Veysey, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a dégagé les facteurs non limitatifs suivants qu’une cour d’appel peut prendre en considération en évaluant cette question : (1) la gravité de l’infraction pour laquelle le délinquant a été condamné; (2) la période de temps qui s’est écoulée entre le moment où le délinquant a recouvré sa liberté et la date à laquelle la cour entend et tranche l’appel sur la peine; (3) la question de savoir si des retards quelconques sont imputables à l’une ou l’autre des parties; et (4) l’incidence de la réincarcération sur la réadaptation du délinquant[82]. Ces facteurs ont été considérés par notre Cour dans plusieurs arrêts[83].
[111] Appliquant les facteurs développés dans l’arrêt Veysey au présent pourvoi, je note que : l’infraction commise par l’intimé est grave; il s’est cependant écoulé environ quatre mois entre le moment où l’intimé a fini de purger la peine imposée en première instance et le moment où la Cour a entendu l’appel; aucun retard n’est imputable aux parties; la juge de première instance a conclu que la réhabilitation de l’intimé était acquise et qu’il subirait des conséquences personnelles et familiales importantes de son incarcération[84].