CFG Construction inc. c. R., 2023 QCCA 1032

Un fondement crucial de l’admissibilité d’une preuve de faits similaires est l’établissement de l’improbabilité d’une coïncidence, une question totalement sans pertinence à l’évaluation de la négligence.

[147]   Toute preuve démontrant la négligence de l’appelante au sujet de l’entretien du camion que conduisait la victime durant cette période était clairement admissible. En effet, une telle preuve concerne la négligence de l’appelante durant la période couverte par l’acte d’accusation et non sa propension à commettre l’infraction.

[148]   De plus, une preuve circonstancielle de même nature durant la période précédant celle couverte par l’acte d’accusation était aussi admissible dans la mesure où elle pouvait démontrer la connaissance du problème affligeant l’entretien du camion de même que ses freins, y compris les moyens mis en œuvre pour le résoudre.

[149]   Conceptuellement, le cadre d’analyse entourant l’admissibilité de la preuve de faits similaires se révèle totalement inadéquat, car fondamentalement mal conçu pour l’évaluation de la négligence ou l’absence de diligence raisonnable[73]. En effet, un fondement crucial de l’admissibilité d’une preuve de faits similaires est l’établissement de l’improbabilité d’une coïncidence[74], une question totalement sans pertinence à l’évaluation de la négligence.

[150]   Pour cette raison, je partage l’opinion formulée par les auteurs de l’ouvrage Regulatory Offences in Canada: Liability and Defences au sujet du caractère incompatible du concept de preuve de propension en droit réglementaire :

[T]here is a fundamental disconnect between a consideration of character or disposition evidence in the criminal arena and similar fact evidence in regulatory prosecutions.

In the regulatory field, the conduct itself is not inherently evil, reprehensible, morally repugnant or felonious. The activities being regulated are legal, except when an accused fails to live up to the standards imposed in legislation. In that context, it makes no sense to talk about the “forbidden reasoning” that prevents the admissibility of similar fact evidence.

[…]

We argue that it is wrong to characterize evidence relating to due diligence as evidence of propensity at all. Evidence of past incidents may inform first and foremost the question of foreseeability. It may establish that the accused was on notice of a problem, whether through an earlier incident or a warning given by the regulatory agency, employees, consultants, contractors or others. The alternatives available to the accused might also be proven by what was done on earlier occasions. Evidence of prior incidents might also be relevant to proof of the actus reus as indicative of the control that an accused might exercise[75].

[151]   Bien que ces observations aient été formulées dans un ouvrage concernant le droit réglementaire, leur application ne pose aucun problème dans le présent dossier. En effet, la diligence raisonnable et la négligence constituent les deux revers d’une même médaille.

[152]   La distinction entre les infractions de responsabilité stricte et celles de négligence pénale ou criminelle se reflète dans la différence des fardeaux de preuve, de même que dans le degré d’écart requis pour établir la commission de la preuve.

[153]    Les infractions de négligence pénale ou criminelle formulent la norme de diligence devant être respectée et qui doit être prouvée hors de tout doute raisonnable par la poursuite alors que le défendeur inculpé d’une infraction de responsabilité stricte doit établir sa diligence raisonnable par prépondérance de preuve.

[154]   Voici comment le professeur Roach décrit la relation entre la diligence raisonnable et la notion de négligence pour les infractions de responsabilité stricte :

Although the fault element for a strict liability offence is negligence, the Crown need not prove negligence beyond a reasonable doubt. Rather, the accused must prove a defence of due diligence or lack of negligence on a balance of probabilities.

[…]

The burden on the accused is an important component of the halfway house approach of strict liability offences, because it means that the Crown is not required to prove negligence beyond a reasonable doubt and that the accused is not acquitted because there is a reasonable doubt as to negligence[76].

[155]   Manifestement, la preuve de la négligence d’une personne morale comporte un risque plus faible de préjudice moral ou par raisonnement, car l’évaluation requise par la nature même de l’infraction exige une évaluation qualitativement différente. De plus, ce risque s’avère moins considérable dans le cadre d’un procès devant une juge seule[77].

[156]   Ainsi, la juge d’instance ne fait pas erreur au sujet de l’admissibilité de la preuve lorsqu’elle affirme que : « la nature de l’infraction alléguée doit être considérée, soit de la négligence criminelle, une infraction qui peut permettre l’admissibilité en preuve, selon les circonstances, d’éléments touchant les comportements antérieurs »[78].

[157]   À mon avis, il ne s’avère pas nécessaire de réévaluer l’admissibilité de chacun des témoignages. La lecture du jugement démontre indubitablement que la juge a correctement utilisé la preuve présentée pour évaluer si l’appelante avait été négligente et non pour conclure que celle-ci avait une propension à l’être.

[158]   Certes, la preuve présentée par la poursuite ne concernait pas uniquement l’entretien du camion et de ses freins. L’éventail de la preuve administrée par la poursuite était vaste, mais celle-ci était logiquement pertinente à l’égard d’un fait en cause, soit la négligence de l’appelante.

[159]   Toutefois, les facteurs qui peuvent être considérés pour déterminer soit la diligence raisonnable, soit la négligence pénale ou criminelle, s’avèrent similaires. Le professeur Roach en présente une synthèse fort utile dans son ouvrage Criminal Law :

The courts look to a large range of factors in determining whether the accused has established a defence of due diligence to a regulatory offence. Relevant factors include: the likelihood and gravity of the risk, including whether it was foreseeable and the effect that it could have on vulnerable people and neighbourhoods. Other factors look to the ability of the accused to control or manage the risk of the prohibited act from occurring. Factors such as alternative solutions, regulatory compliance, industry standards and preventive systems, efforts made to address the problem, and the promptness of the accused’s response are significant. Other matters such as factors beyond the control of the accused, technological limitations, skill level expected of the accused, complexities involved, and economic considerations can be relevant in determining whether the accused has taken all reasonable steps to prevent the risk. Courts will consider the perspective of the reasonable person when applying the due diligence defence. They will examine the training and supervision that was or was not given to employees. The focus in due diligence is on whether the accused has taken reasonable steps to prevent the commission of the offence[79].

[160]   À la lumière de ces facteurs, même si je considérais qu’une partie de la preuve avait une pertinence qui s’éloignait des questions en litige – une détermination à laquelle je ne parviens pas en raison du seuil peu élevé applicable à la notion de pertinence[80] – je n’identifie aucun préjudice dans le présent dossier, car la condition mécanique du camion après l’accident établissait de toute façon, et de manière autonome, que son entretien avait été nécessairement négligé durant la période visée par l’acte d’accusation ce qui établissait un écart marqué et important avec la conduite d’une personne raisonnable dans ce domaine d’activité.

Le défaut de respecter l’obligation de tenir des notes d’enquête doit faire l’objet d’une évaluation propre aux circonstances et toute explication fournie pour justifier ce défaut doit faire l’objet d’un examen qui tient compte de l’ensemble de la preuve.

[228]   Il ne fait aucun doute que les habitudes de l’enquêteur à l’égard de la rédaction et de la conservation de ses notes s’écartent clairement des obligations depuis longtemps reconnues qui incombent aux policiers, comme le démontre l’analyse fouillée du juge Moldaver dans l’arrêt Wood c. Schaeffer[123].

[229]   Dans cette affaire, il énonce qu’un policier « est notamment tenu de prendre des notes au sujet des faits survenus au cours de sa période de service »[124]. Il souligne que « [d]es juristes chevronnés se sont […] prononcés en faveur de l’existence de cette obligation »[125] et que « [c]es conclusions reposent selon [lui] sur des assises solides »[126].

[230]   Il expose « [l]’importance que revêtent les notes prises par les policiers aux yeux du système de justice pénale est évidente » et conclut de la manière suivante :

[67] Compte tenu de ce qui précède, c’est sans grande difficulté que je conclus que les policiers ont l’obligation de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après l’enquête.  M’inspirant des propos formulés par M. Martin, j’estime que l’obligation de rédiger des notes constitue, à tout le moins, un aspect implicite de l’obligation qu’a tout agent de police de faciliter le dépôt d’accusations et le déroulement des poursuites, une obligation qui est d’ailleurs expressément prévue à l’al. 42(1)e) de la Loi.

[68]      Il n’y a évidemment rien de nouveau dans tout cela pour les agents. Dans le cas qui nous occupe, par exemple, la politique de l’OPP vient confirmer l’existence de l’obligation de prendre des notes, les agents étant tenus à consigner [traduction] « de façon concise et exhaustive les détails de chaque incident » survenu au cours de leur période de service et de « prendre toutes les notes d’enquête originales [. . .] au cours de l’enquête ou dès que possible après celle‑ci » (Ordonnance 2.50 de l’OPP, Member Note Taking, dossier de l’UES, p. 48‑52).  De façon plus générale, les guides à l’intention des policiers soulignent depuis longtemps l’importance des notes exactes, détaillées et exhaustives; voir, p. ex., R. E. Salhany, The Police Manual of Arrest, Seizure & Interrogation (7e éd. 1997), p. 270‑278[127].

[Les soulignements sont ajoutés]

[231]   Le défaut de respecter l’obligation de tenir des notes d’enquête doit faire l’objet d’une évaluation propre aux circonstances et toute explication fournie pour justifier ce défaut doit faire l’objet d’un examen qui tient compte de l’ensemble de la preuve[128].

[232]    D’ailleurs, contrairement à la conclusion de la juge d’instance, j’estime que la politique de gestion relative aux notes personnelles des policiers en vigueur à la SQ au moment des rencontres de témoins lors de l’enquête visant l’appelante démontre éloquemment l’obligation qui incombait à l’enquêteur de prendre des notes et de les conserver[129].

[233]   Étonnamment, même si l’appelante appuyait sa demande en arrêt des procédures sur l’arrêt Wood c. Schaeffer, la juge n’analyse aucunement les principes qui y sont formulés.

[234]   Cette lacune explique en partie l’erreur de la juge à l’égard des obligations découlant de la politique de gestion en vigueur à la SQ, de même que sa conclusion erronée selon laquelle la destruction des notes par l’enquêteur et l’omission de prendre des notes des circonstances entourant les rencontres avec les témoins ne découlent pas d’une négligence inacceptable.

[235]   À mon avis, la conduite de l’enquêteur révèle un degré inacceptable de négligence. Même s’il est vrai que la destruction de ses notes est volontaire, celle-ci n’était toutefois pas délibérée dans le sens où elle ne visait pas à contourner sciemment ses obligations[130], comme dans l’affaire Zalat[131]. Le dossier supporte amplement la conclusion de la juge sur cet aspect.

[236]   Par ailleurs, comme l’affirme sans surprise la Cour dans l’arrêt Zalat, « la destruction volontaire [des] notes [d’un policier] est certainement à décourager »[132].