La norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y avait vraisemblance est celle de la décision correcte.
[37] Il est vrai qu’il y a eu de l’incertitude par le passé au sujet de la norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y avait vraisemblance (voir, p. ex., R. c. Thibert, 1996 CanLII 249 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 37, par. 33). Dans des affaires telles Thibert, la question n’a pas été caractérisée comme une question de droit contrôlable selon la norme de la décision correcte. Cependant, maintenant qu’il a catégoriquement été établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, cela a pour effet d’éliminer tout besoin de déférence. La décision correcte signifie que « les cours d’appel ont toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance » (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8). Les juges de première instance doivent trancher la question de la vraisemblance correctement, à défaut de quoi ils commettent une erreur de droit susceptible de contrôle (voir Cinous, par. 55). Je rejetterais l’invitation du ministère public de nous écarter du sens établi de la norme de la décision correcte dans ce contexte. Introduire un certain degré de déférence en l’espèce ne ferait que créer de la confusion et des complications inutiles dans le droit en matière de norme de contrôle.
Ne pas soumettre un verdict réaliste à l’appréciation du jury présente le risque que le jury, appelé à choisir entre une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale et un acquittement, rende un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale simplement parce qu’un acquittement serait « prononcé à contrecœur ».
[43] L’importance de ne pas soumettre à l’appréciation du jury des thèses insoutenables est amplifiée dans le contexte des infractions incluses. Alors que le fait de donner des directives au jury sur un moyen de défense insoutenable fait courir le risque d’un acquittement non étayé par la preuve, le fait de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse insoutenable fait courir le risque d’une déclaration de culpabilité déraisonnable, qui est « l’erreur qui est peut‑être la plus grave de toutes » (R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 26).
[44] D’autre part, en fixant le seuil de preuve à un niveau peu élevé, le critère de la vraisemblance garantit que toutes les thèses valables sont soumises à l’examen attentif du jury. De cette manière, le critère facilite l’exercice du droit de la personne accusée d’être jugée par un jury, si elle le désire, plutôt que par un juge siégeant seul (voir Osolin, p. 690, citant P. Hogg, Constitutional Law of Canada(3e éd. 1992), vol. 2, p. 48‑15; R. c. Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702, par. 58‑60). Les juges de première instance doivent faire attention de ne pas compromettre ce choix protégé en statuant sur des questions qui relèvent à juste titre du jury.
[45] Bien que les infractions incluses ne soient pas complètement analogues aux moyens de défense, la question de savoir s’il convient de soumettre ces infractions à l’appréciation du jury fait également intervenir le droit de présenter une défense pleine et entière dans la mesure où les soumettre à cette appréciation donne au jury une voie additionnelle permettant de conclure que l’accusé n’est pas coupable de l’infraction principale. D’ailleurs, notre Cour a reconnu que ne pas soumettre un verdict réaliste à l’appréciation du jury présente le risque que le jury, appelé à choisir entre une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale et un acquittement, rende un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale simplement parce qu’un acquittement serait « prononcé à contrecœur » (R. c. Haughton, 1994 CanLII 73 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 516, p. 517).
Une infraction incluse doit être soumise à l’appréciation du jury si, et seulement si, elle est vraisemblable, ce qui signifie qu’il existe une possibilité réaliste qu’un acquittement soit prononcé relativement à l’infraction principale et qu’un verdict de culpabilité soit rendu pour l’infraction incluse.
[50] Lorsqu’une infraction est à juste titre une infraction incluse conformément à ces principes, la question distincte de savoir si cette infraction devrait être soumise à l’appréciation du jury se pose. Une infraction incluse doit être soumise à l’appréciation du jury si, et seulement si, elle est vraisemblable, ce qui signifie qu’il existe une possibilité réaliste qu’un acquittement soit prononcé relativement à l’infraction principale et qu’un verdict de culpabilité soit rendu pour l’infraction incluse (voir R. c. Wolfe, 2024 CSC 34, par. 50; Joseph c. R., 2018 QCCA 1441, par. 19; R. c. Smith, 2023 NBCA 20, par. 33; R. c. Iyamuremye, 2017 ABCA 276, 355 C.C.C. (3d) 289, par. 82; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.27‑33.28).
[51] Pour décider s’il s’agit d’une possibilité réaliste, le juge du procès doit se demander s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire d’avoir un doute raisonnable à l’égard d’éléments de l’infraction principale qui la distinguent de l’infraction incluse, tout en acceptant hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction incluse (R. c. Wong (2006), 2006 CanLII 18516 (ON CA), 209 C.C.C. (3d) 520 (C.A. Ont.), par. 12; Ronald, par. 46; Tenthorey, par. 63; Chacon-Perez, par. 162). L’enquête exige que le juge examine la preuve dans son ensemble et qu’il garde à l’esprit que, conformément à la présomption d’innocence, un jury peut toujours rejeter des éléments de preuve ou refuser de tirer des inférences particulières (Ronald, par. 48; Joseph, par. 25).
…
[62] En somme, une infraction incluse sera vraisemblable s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse et un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale. Le juge du procès doit se demander non seulement si l’interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre d’avoir un doute à l’égard des éléments distinctifs de l’infraction principale, mais aussi si la même interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre au jury de conclure que tous les éléments de l’infraction incluse sont établis. Cela soulève la question de savoir si une interprétation donnée de la preuve est raisonnable à cette fin.
Dans les cas qui mettent en jeu des éléments de preuve circonstancielle, le juge du procès qui se demande s’il y a vraisemblance doit procéder à une « évaluation limitée » de la preuve.
[64] Dans les cas qui mettent en jeu des éléments de preuve circonstancielle, le juge du procès qui se demande s’il y a vraisemblance doit procéder à une « évaluation limitée » de la preuve (R. c. Arcuri, 2001 CSC 54, [2001] 2 R.C.S. 828, par. 23; voir aussi Cinous, par. 90). Cette opération est nécessaire, car « la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés » (Arcuri, par. 23). Dans le cadre du processus d’évaluation limitée, le juge du procès ne tire pas d’inférences de fait, mais il arrive plutôt « à une conclusion concernant les inférences de fait qui pourraient raisonnablement être faites » (Cinous, par. 91). En d’autres mots :
. . . le juge doit s’abstenir « de se prononcer sur la crédibilité des témoins, d’apprécier la valeur probante de la preuve, de tirer des conclusions de fait ou de faire des inférences de fait précises », peu importe jusqu’à quel point la réponse peut paraître évidente pour lui. En fait, il doit, à cette étape des procédures, tenir pour vrai tous les témoignages rendus. Néanmoins, s’il l’estime opportun, le juge peut se livrer à une évaluation limitée de la preuve considérée dans son ensemble, comme il le ferait pour décider du renvoi à procès à l’issue de l’enquête préliminaire. [Je souligne; notes en bas de page omises.]
(Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.23)
[65] Les inférences de fait qui découlent raisonnablement de la preuve doivent être mises à la disposition du jury même lorsque le juge du procès estime que d’autres inférences plus plausibles pourraient être tirées. Autrement dit, l’opération d’« évaluation limitée » ne fait pas de comparaison entre des inférences concurrentes. Cette forme d’analyse comparative est un exemple d’évaluation substantielle, qui dépasse de la portée du critère de la vraisemblance (Cinous, par. 90; R. c. Pappas, 2013 CSC 56, [2013] 3 R.C.S. 452, par. 26).
[66] Lorsqu’il effectue une évaluation limitée de la preuve, le juge du procès n’est pas autorisé à apprécier la crédibilité ou la fiabilité (Cinous, par. 90). L’exception étroite à la règle selon laquelle la preuve doit être tenue pour vraie est qu’une simple assertion, sans plus, peut être insuffisante pour établir la vraisemblance (Aalders, p. 505; Park, par. 20).
[67] Un exemple d’évaluation limitée autorisée consiste à se demander si le raisonnement proposé entre en conflit avec des éléments de preuve qui ne sont pas sérieusement contestés. Selon la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Park, « [l]orsque, examinée d’un œil réaliste, la preuve en faveur de l’accusé qui est sérieusement contestée est manifestement et logiquement inconciliable avec la preuve qui n’est pas sérieusement contestée, on peut conclure alors, tant sur le plan du droit que sur celui de la logique, à l’invraisemblance du moyen de défense auquel se rapportent les contradictions constatées sur le plan de la logique » (par. 29 (soulignement omis)). Il en va de même pour les infractions incluses.
L’obligation du juge du procès de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse dépendra non seulement de la preuve présentée, mais également des questions juridiques soulevées et des thèses avancées.
[69] L’obligation du juge du procès de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse dépendra non seulement de la preuve présentée, mais également des questions juridiques soulevées et des thèses avancées (voir R. c. Sarrazin, 2010 ONCA 577, 259 C.C.C. (3d) 293, par. 62, conf. par 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505; Chalmers, par. 52‑53). Dans l’affaire Wong, par exemple, l’accusé a prétendu avoir agi accidentellement ou, subsidiairement, avoir agi en légitime défense, lorsqu’il a blessé le collègue de son colocataire. Il a été accusé de voies de fait graves pour avoir infligé une blessure, mais il a été déclaré coupable par le jury de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles. Le juge Doherty a statué que l’infraction incluse n’aurait pas dû être soumise à l’appréciation du jury parce que l’élément distinctif de l’infraction principale — la nature de la blessure subie — n’était pas contesté. En conséquence, les seuls verdicts qui auraient dû pouvoir être rendus par le jury étaient une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction principale ou un acquittement complet (par. 12‑14).
[70] Il faut aussi tenir compte des cas dans lesquels la seule question que le jury devait trancher est celle de l’identité du contrevenant (voir, p. ex., Chacon-Perez). Les interprétations de la preuve dont dispose raisonnablement le jury dans de tels cas seront généralement soit que l’accusé a commis l’infraction principale, soit que quelqu’un d’autre l’a commise, aucun de ces scénarios n’étant compatible avec la déclaration de culpabilité de l’accusé pour une infraction incluse. En conséquence, ces cas justifieront généralement des accusations « tout ou rien », lesquelles exigent du jury qu’il rende soit un verdict de culpabilité en ce qui a trait à l’infraction principale, soit un verdict d’acquittement.
Dans la mesure où l’arrêt Nygaard appuie la proposition suivant laquelle un participant doit obtenir un nouveau procès uniquement parce que le contrevenant principal en a obtenu un, il ne devrait pas être suivi.
Rien dans la loi n’autorise une cour d’appel à ordonner un nouveau procès uniquement pour prévenir le risque que des verdicts incompatibles sur le plan factuel soient rendus dans le futur.
[109] La Cour dans Nygaard n’a pas concilié sa décision avec celle qu’elle a rendue dans Rémillard, laquelle était une source faisant autorité. Si la Cour dans Nygaard avait tenu compte des contraintes juridiques que lui impose l’arrêt Rémillard, elle serait parvenue à un résultat différent; elle n’aurait pas pu conclure que M. Nygaard devait obtenir un nouveau procès uniquement parce que son coaccusé M. Schimmens devait en obtenir un. Dans la mesure où l’arrêt Nygaard appuie la proposition suivant laquelle un participant doit obtenir un nouveau procès uniquement parce que le contrevenant principal en a obtenu un, il ne devrait pas être suivi.
[110] Cette conclusion rend la common law conforme à l’art. 23.1 du Code criminel, qui a été édicté avant que la Cour rende sa décision dans Nygaard, mais après que l’infraction dans cette affaire eut été commise. L’article 23.1 prévoit que les art. 21 à 23, dispositions portant sur la responsabilité à titre de participant, s’appliquent à un accusé « même si la personne qu’il a aidée, encouragée, conseillée, amenée, reçue ou assistée ne peut être déclarée coupable de l’infraction ». L’édiction de l’art. 23.1 a coupé court à tout argument selon lequel un participant doit obtenir un nouveau procès uniquement parce que l’auteur principal en obtiendra un.
[111] Les conclusions de fait d’un jury lors d’un procès ne s’appliquent qu’à ce procès parce qu’elles dépendent entièrement, et sont indissociables, de la preuve et des arguments présentés lors de ce procès (Rémillard, p. 23‑24; Hick, p. 386; R. c. Chol, 2021 BCCA 279, 73 C.R. (7th) 78, par. 31). Les parties prennent des décisions stratégiques en ce qui a trait à la preuve à produire, à la manière de la présenter et aux thèses à faire valoir. C’est une caractéristique nécessaire de notre système de justice que des procès différents peuvent donner lieu à des résultats qui impliquent des conclusions de fait différentes. Cela découle directement du fait que l’innocence est présumée et que cette présomption ne peut être réfutée qu’au moyen d’une preuve produite de façon appropriée au procès dans lequel la culpabilité d’une personne est examinée.
[112] En somme, rien dans la loi n’autorise une cour d’appel à ordonner un nouveau procès uniquement pour prévenir le risque que des verdicts incompatibles sur le plan factuel soient rendus dans le futur, et d’ailleurs une telle ordonnance ne serait pas appropriée de toute façon. Un principe fondamental veut que les cours d’appel ne modifient pas les verdicts de jury valablement rendus et non viciés.
Les aides au jury, qui synthétisent et expliquent la preuve, jouent un rôle important dans la recherche de la vérité dans ces affaires. Par ailleurs, les aides au jury présentent des risques qui exigent l’attention soutenue des juges de première instance.
[116] Le moyen d’appel incident qui suit soulève une question d’une portée plus large à propos du recours à des aides au jury. Des avancées technologiques exponentielles ont rendu tant les activités criminelles que les enquêtes policières de plus en plus complexes. Cette complexité croissante signifie que la preuve présentée dans des procès criminels modernes est souvent vaste et épineuse. Les aides au jury, qui synthétisent et expliquent la preuve, jouent un rôle important dans la recherche de la vérité dans ces affaires. Par ailleurs, les aides au jury présentent des risques qui exigent l’attention soutenue des juges de première instance. En l’espèce, j’examine dans quelles circonstances il y a lieu de permettre qu’elles aillent dans la salle du jury afin d’aider celui‑ci dans ses délibérations.
…
[121] Les aides au jury sont des outils permettant de comprendre la signification d’un élément ou d’un ensemble d’éléments de preuve testimoniale, documentaire ou matérielle. Elles comprennent des cartes, des échéanciers, des listes de protagonistes, des tableaux et des diaporamas. Alors que les éléments de preuve testimoniale, documentaire et matérielle [traduction] « donnent au juge des faits la possibilité d’avoir une impression directe significative », les aides au jury remplissent une fonction secondaire, à savoir « aider le jury à interpréter, à comprendre ou à analyser » ces éléments de preuve (S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), § 23.1).
[122] Contrairement à la preuve, les aides au jury ne fournissent pas un fondement justifiant à lui seul des conclusions de fait ou de droit. Leur utilité repose entièrement sur la question de savoir si le juge des faits accepte de façon indépendante la preuve sur laquelle elles reposent (R. c. Scheel (1978), 1978 CanLII 2414 (ON CA), 42 C.C.C. (2d) 31 (C.A Ont.), p. 34; voir aussi R. c. Kanagasivam, 2016 ONSC 2250, 29 C.R. (7th) 201, par. 41; R. c. Shaw, 2004 NBBR 260, 277 R.N.‑B. (2e) 306, par. 8).
[123] Les aides au jury prennent différentes formes et leur sophistication varie, et la distinction entre les aides au jury et la preuve peut parfois être difficile à établir (voir Hill, Tanovich et Strezos, § 23.1). Dans certains cas, des outils qui peuvent être à juste titre classés comme des aides au jury seront néanmoins admis en preuve par l’entremise d’un témoin et déposés comme pièces conformément aux règles ordinaires de preuve. La présente espèce ne concerne pas la pratique consistant à admettre des aides au jury en preuve conformément à ces règles.
[124] La question soulevée est plutôt de savoir dans quelles circonstances des aides au jury peuvent être autorisées à aller dans la salle du jury en dehors des règles normales de preuve pour être utilisées par le jury au cours de ses délibérations. À la Cour d’appel, le juge Nordheimer a fait remarquer que, normalement, seules deux catégories d’éléments matériels iront dans la salle du jury : les pièces déposées au procès et les aides au jury présentées sur consentement (par. 114). Comme il l’a souligné à juste titre, malgré le consentement des parties, le juge du procès conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas envoyer une aide au jury dans la salle du jury et, inversement, le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de permettre qu’une aide contestée aille dans la salle du jury en certaines circonstances. Je vais maintenant examiner ces circonstances.
La partie qui demande à ce qu’une aide au jury aille dans la salle du jury devrait communiquer celle‑ci à la partie adverse dès qu’il est raisonnablement possible de le faire après qu’elle a été préparée et présenter une demande au tribunal en vue d’offrir cette aide.
[125] Sur le plan théorique, le pouvoir discrétionnaire de permettre que des aides au jury aillent dans la salle du jury relève du domaine des pouvoirs de gestion du juge du procès, lesquels découlent de la compétence inhérente ou implicite du tribunal de contrôler sa propre procédure et de « garantir le bon fonctionnement des rouages de la cour » (R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, [2022] 1 R.C.S. 71, par. 20; voir aussi R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167, par. 58).
[126] La partie qui demande à ce qu’une aide au jury aille dans la salle du jury devrait communiquer celle‑ci à la partie adverse dès qu’il est raisonnablement possible de le faire après qu’elle a été préparée et présenter une demande au tribunal en vue d’offrir cette aide. Lorsque la partie adverse s’oppose à ce que l’aide aille dans la salle du jury, le juge du procès devrait solliciter des observations. Les aides qui satisfont aux critères énoncés ci‑après devraient être autorisées à aller dans la salle du jury et devraient porter une marque formelle de façon à les distinguer de la preuve.
[127] Si une aide est autorisée à être utilisée par le jury, il incombe au juge du procès de donner des directives au jury sur les utilisations appropriées et inappropriées de l’aide (voir, p. ex., R. c. Hovila, 2013 CarswellAlta 2965 (B.R.), par. 20). Comme exemple d’une mise en garde bien formulée, je citerais les directives du juge du procès en l’espèce, lesquelles sont reproduites plus loin. Des directives appropriées sont essentielles pour garantir que le jury ne se fie pas à une aide comme [traduction] « raccourci pratique » au lieu d’examiner la preuve (R. c. Belcourt, 2012 BCSC 2128, par. 10).
[128] La détermination des mécanismes procéduraux et des directives qui sont nécessaires dans les circonstances dépendra de la nature de l’aide, de son objet et des points de vue des parties. Par exemple, une aide au jury simple comme une carte ou une liste de protagonistes peut commander une approche simplifiée ou informelle. En revanche, une aide complexe ou obscure peut exiger que la partie qui l’offre appelle un témoin à expliquer et à authentifier l’aide. Le juge du procès devrait prendre des décisions dans l’optique de prévenir l’iniquité, de maintenir l’efficacité du procès et d’améliorer la capacité de recherche de la vérité du jury.
Avant de permettre qu’une aide au jury aille dans la salle du jury au cours des délibérations, le juge du procès doit être convaincu que l’aide est raisonnablement nécessaire, exacte et équitable. Ces critères servent à mettre en balance la valeur que sont susceptibles de revêtir ces aides dans la compréhension de la preuve avec leur capacité à distraire le jury ou à l’induire en erreur. Il y a lieu de permettre que des aides au jury aillent dans la salle du jury si le premier élément l’emporte sur le second.
[129] En ce qui concerne les critères substantiels, je suis d’accord avec le juge Nordheimer pour dire que le juge du procès a commis une erreur en se fondant sur une déclaration tirée de l’arrêt R. c. Bengert (1980), 1980 CanLII 321 (BC CA), 15 C.R. (3d) 114 (C.A. C.‑B.), selon laquelle [traduction] « les membres du jury [ont] droit à tout ce qui peut les aider à traiter la preuve de manière raisonnable, intelligente et rapide » (p. 160). Ce critère est trop large et ne tient pas compte du préjudice potentiel découlant du recours excessif aux aides.
[130] J’adopterais plutôt le critère énoncé par le juge Nordheimer de la Cour d’appel, avec quelques légères modifications. Avant de permettre qu’une aide au jury aille dans la salle du jury au cours des délibérations, le juge du procès doit être convaincu que l’aide est raisonnablement nécessaire, exacte et équitable. Ces critères servent à mettre en balance la valeur que sont susceptibles de revêtir ces aides dans la compréhension de la preuve avec leur capacité à distraire le jury ou à l’induire en erreur. Il y a lieu de permettre que des aides au jury aillent dans la salle du jury si le premier élément l’emporte sur le second.
[131] Le premier critère est que l’aide doit être raisonnablement nécessaire pour que le jury comprenne la preuve. Une aide sera raisonnablement nécessaire lorsque la preuve qu’elle inclut est tellement vaste, complexe ou de nature technique qu’un jury aurait du mal à parvenir à la comprendre sans aide ou sans consacrer des efforts et un temps déraisonnables. Le juge du procès n’a pas à être convaincu qu’il serait impossible pour le jury de s’acquitter de sa tâche sans l’aide; il suffit de démontrer qu’il serait déraisonnablement lourd, ou déraisonnablement long, pour le jury de passer en revue les points de données pertinents nécessaires à la compréhension de la preuve sans l’aide. Comme la juge Fairburn (maintenant juge en chef adjointe de la Cour d’appel) l’a expliqué dans la décision Kanagasivam, au par. 42 :
[traduction] L’utilisation d’aides démonstratives de cette nature peut servir à raccourcir ce qui pourrait autrement prendre des jours d’audience à développer. Elle peut également faciliter la tâche du jury en abrégeant ce qui pourrait être d’innombrables heures passées à revoir et à distiller des données au cours du processus de recherche des faits.
[132] Les jurys ne sont pas censés [traduction] « trouver des aiguilles dans des bottes de foin » (Kanagasivam, par. 48). Cependant, lorsque l’aide ne fait que reformuler la preuve déjà accessible d’une manière plus attrayante ou pratique, le critère de la nécessité ne sera pas rempli.
[133] Deuxièmement, l’aide doit résumer la preuve avec exactitude. Elle ne peut déformer, rapporter incorrectement ou occulter aucun élément de preuve, que ce soit intentionnellement ou non (Kanagasivam, par. 52). Dans l’arrêt R. c. Poitras (2002), 2002 CanLII 23583 (ON CA), 57 O.R. (3d) 538 (C.A.), le juge Doherty a décrit comme suit l’impératif d’exactitude, au par. 48 :
[traduction] Toute inexactitude ou insuffisance dans les documents écrits, ou toute confusion ou iniquité créée par ces documents, est susceptible d’avoir une incidence importante sur la validité de tout verdict rendu par le jury. La grande importance accordée au fait d’assurer l’exactitude et l’impartialité des documents écrits ne devrait pas décourager l’utilisation des documents écrits, mais devrait encourager une préparation minutieuse de tout document écrit destiné au jury.
Une aide qui pourrait être trompeuse en soi peut être considérée suffisamment exacte si elle est accompagnée d’autres aides qui complètent le portrait de la preuve. Toutefois, des préoccupations relatives à l’équité peuvent entrer en jeu si on attend des parties qu’elles répondent aux aides unilatérales au jury, comme je l’explique ci‑dessous.
[134] En outre, une aide peut être considérée inexacte si elle ne tient pas compte de la complexité de la preuve. Pour rappeler la mise en garde formulée par le juge Conlan dans la décision Woods c. Jackiewicz, 2019 ONSC 2069, [traduction] « nous devons prendre soin d’éviter de trop simplifier la preuve technique par l’utilisation d’une aide démonstrative » (par. 13(vi)). Il n’est pas toujours possible d’abréger sans sacrifier l’exactitude.
Le juge du procès doit être convaincu qu’il serait équitable de permettre que l’aide aille dans la salle du jury. L’appréciation de l’équité comporte un examen global de la valeur explicative et de l’effet préjudiciable de l’aide.
[135] Troisièmement et enfin, le juge du procès doit être convaincu qu’il serait équitable de permettre que l’aide aille dans la salle du jury. L’appréciation de l’équité comporte un examen global de la valeur explicative et de l’effet préjudiciable de l’aide (voir Jackiewicz, par. 13(iii)). Une considération clé est la mesure dans laquelle l’aide reflète la thèse d’une partie, bien qu’il n’existe aucune condition préalable stricte voulant qu’une aide soit totalement exempte du point de vue de la partie qui l’offre. Si l’aide reflète la thèse d’une partie, la partie adverse devrait avoir la possibilité de soumettre sa propre aide, ou de soumettre des modifications ou des ajouts à l’aide. Les aides neutres qui ne reflètent pas le point de vue de l’une ou l’autre des parties répondront plus facilement aux exigences de l’équité.
[136] En exerçant leur pouvoir discrétionnaire à l’égard des aides au jury, les juges de première instance devraient viser à préserver le fonctionnement approprié et équitable du système contradictoire. Les juges de première instance doivent être conscients des déséquilibres sur le plan des ressources et ne devraient pas permettre qu’une aide unilatérale aille dans la salle du jury lorsqu’il serait trop lourd pour la partie adverse de produire des éléments matériels concurrents. Une considération importante est la rapidité avec laquelle une aide peut raisonnablement être communiquée après avoir été préparée. Certaines aides devront peut‑être être mises à jour tout au long du procès pour pouvoir satisfaire au critère de l’exactitude ou représenter équitablement l’ensemble de la preuve. Naturellement, il sera plus lourd pour une partie de fournir des éléments matériels concurrents si l’aide originale est communiquée pour la première fois peu de temps avant sa présentation au jury.
[137] Les objectifs ultimes de ces critères sont d’empêcher un raisonnement inapproprié de la part du jury et d’éviter l’apparence d’iniquité. La décision d’envoyer ou non une aide au jury à la salle du jury est, en fin de compte, une décision discrétionnaire qui appartient au juge du procès. À titre de décision relative à la gestion de l’instance, elle commande la déférence en l’absence d’une erreur de principe ou d’un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire (Samaniego, par. 26).