Brunet c. R., 2024 QCCA 988

Dans un contexte d’exploitation sexuelle, la notion de consentement de l’adolescente est évacuée. L’activité sexuelle ne peut alors être considérée comme légale, ce qui vient exclure toute possibilité d’invoquer l’exception énoncée par l’arrêt Sharpe

[6] Il ajoute que l’erreur concernant l’existence d’une situation d’exploitation sexuelle basée sur une situation de confiance l’empêche de se prévaloir, tant en réponse à l’infraction de leurre qu’à celle de production de pornographie juvénile, de l’exception d’usage personnel de la pornographie juvénile comme établie par l’arrêt Sharpe[2]. Sous réserve des enjeux posés par l’environnement technologique entourant la confection et la transmission du matériel pornographique, l’appelant qui désire se prévaloir de cette exception doit d’abord établir la légalité de l’activité sexuelle. Or, dans un contexte d’exploitation sexuelle, la notion de consentement de l’adolescente est évacuée. L’activité sexuelle ne peut alors être considérée comme légale, ce qui vient exclure toute possibilité d’invoquer l’exception énoncée par l’arrêt Sharpe.

Il n’est pas nécessaire pour le poursuivant d’établir que l’accusé a abusé de la « situation de confiance » dont il jouissait pour soutirer un consentement ni même d’établir quelque lien que ce soit entre ces deux éléments. Le simple fait qu’une situation visée à l’article 153 C.cr. prévalait entre l’accusé et l’adolescent au moment des faits suffit.

[35] Bien que cette question soit au cœur de l’analyse du juge de première instance, il convient de rappeler que l’appelant n’a pas été accusé d’exploitation sexuelle au sens du paragraphe 153(1) C.cr.

[36] Cette notion d’exploitation sexuelle s’immisce toutefois de manière incidente dans le débat dans la mesure où le juge retient que l’appelant se trouvait en situation de confiance face à la plaignante, ce qui est déterminant à la fois sur l’infraction de leurre et sur la légalité de l’activité sexuelle puisque cette conclusion évacue la notion du consentement.

[37] L’exploitation sexuelle est une infraction en soi qui exige la démonstration, hors de tout doute raisonnable, par le poursuivant des éléments essentiels énoncés dans l’arrêt R. c. Audet (« Audet ») :

Pour obtenir une condamnation en vertu du par. 153(1), la Couronne doit établir hors de tout doute raisonnable que le plaignant est un adolescent au sens du par. 153(2), que l’accusé s’est livré à l’une des activités énumérées au par. 153(1) et, finalement, que ce dernier était, lors de la commission des actes en question, en situation d’autorité ou de confiance à l’égard de l’adolescent, ou encore que ce dernier était alors, à l’égard de l’accusé, en situation de dépendance, en plus de prouver, évidemment, la mens rea nécessaire à l’égard de chacun de ces éléments.[7]

[Soulignements ajoutés]

[38] La Cour suprême rappelle dans l’arrêt Audet[8] :

De toute évidence, le législateur a voulu protéger davantage les adolescents. Il a choisi des moyens plus drastiques, en criminalisant l’activité elle-même, qu’elle soit consensuelle ou non (par. 150.1(1) du Code), dans la mesure où y participe une personne se trouvant à l’égard de l’adolescent dans l’une des situations énumérées au par. 153(1). Comme l’écrivait avec éloquence le juge Woolridge dans Hann (No.2), précité, à la p. 36:

[traduction] Le texte de l’art. 153 laisse implicitement entendre que, nonobstant le consentement, le désir ou les souhaits de l’adolescent, c’est l’adulte en situation de confiance qui a la responsabilité de refuser d’avoir tout contact sexuel avec cet adolescent.[9]

[Soulignements dans l’original]

[39] Il n’est par ailleurs pas nécessaire pour le poursuivant d’établir que l’accusé a abusé de la « situation de confiance » dont il jouissait pour soutirer un consentement ni même d’établir quelque lien que ce soit entre ces deux éléments[10]. Le simple fait qu’une situation visée à l’article 153 C.cr. prévalait entre l’accusé et l’adolescent au moment des faits suffit[11].

L’article 153(1) distingue la situation d’autorité, de dépendance et de confiance.

[40] L’article 153(1) distingue la situation d’autorité, de dépendance et de confiance.

[41] Le terme « situation de confiance » n’est toutefois pas défini. Celle‑ci peut parfois s’inférer de la nature de la relation entre l’adolescent et l’accusé. Ce sera notamment le cas lorsque ce dernier est un professeur, un entraîneur, un moniteur, un proche parent, un ami de longue date de la famille, etc. Il s’agit d’exemples où l’adulte joue un rôle dans l’encadrement, le bien‑être ou la sécurité physique ou psychologique de l’adolescent. Même dans ces cas, la qualification n’est pas automatique.

[42] Le juge d’instance se doit d’examiner l’ensemble du contexte entourant la relation en ayant à l’esprit la visée protectrice du législateur[12] :

La confiance, nous enseigne Le Grand Robert, est le fait de croire, l’espérance ferme en quelque chose, la foi en quelqu’un et l’assurance qui en découle. En anglais, le mot « trust » peut avoir diverses significations, surtout dans un contexte juridique. Puisque le législateur a utilisé le mot « confiance » dans la version française, je doute que le mot « trust » au par. 153(1) réfère au concept d’equity. Je souscris donc aux réserves exprimées par le juge Blair. « Trust » doit plutôt être interprété suivant son sens premier: [traduction] « [c]onfiance en une qualité ou un attribut d’une personne ou d’une chose, ou en la véracité d’une déclaration ». Le mot « confidence » se définit ainsi: [traduction] « [a]ttitude morale de celui qui se fie à quelqu’un ou à quelque chose; espérance ferme, fiabilité, foi ».

J’ajouterai que la définition de la portée des expressions utilisées par le législateur, tout comme la détermination dans chaque cas de la nature de la relation entre l’adolescent et l’accusé, doit se faire en fonction du but et de l’objectif poursuivis par le législateur de protéger les intérêts des adolescents qui, en raison de la nature de la relation qu’ils vivent avec certaines personnes, se trouvent à l’égard de celles-ci en situation de vulnérabilité et de faiblesse.

Même à la lumière de ces définitions, le concept de « situation de confiance », peut-être davantage que l’expression « situation d’autorité », demeure difficile à définir dans l’abstrait, en l’absence de contexte factuel. Pour cette raison, il serait inapproprié de la part de notre Cour de tenter d’en tracer les limites dans un vacuum factuel, surtout que, jusqu’à présent, cette disposition relativement récente du Code criminel n’a fait l’objet que de très peu de commentaires jurisprudentiels. Le fait que le présent pourvoi a été formé de plein droit et que la question n’a pas été pleinement débattue devant notre Cour me convainc davantage.

Il reviendra au juge du procès de déterminer, en analysant toutes les circonstances factuelles pertinentes à la qualification de la relation prévalant entre l’adolescent et l’accusé, si l’accusé se trouvait en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis de l’adolescent ou encore si l’adolescent était en situation de dépendance face à l’accusé au moment de l’infraction qu’on lui reproche. Nul doute qu’une des difficultés, dans certains cas, sera de déterminer les moments où, dans le temps, débute et où se termine la « situation » en question. Il serait inopportun de tenter d’énumérer de façon exhaustive les éléments dont devra tenir compte le juge des faits. Certes, la différence d’âge entre l’accusé et l’adolescent, l’évolution de leur relation et, surtout, le statut de l’un par rapport à l’autre seront pertinents dans bien des cas.

À cet égard, tel que je l’ai mentionné, il est important de noter que le législateur n’a pas choisi d’interdire les contacts sexuels avec un adolescent en fonction du statut de l’accusé par rapport à l’adolescent. Cet élément ne peut donc être déterminant en soi. Par exemple, un professeur n’est pas de jure en situation d’autorité ou de confiance face à ses élèves, comme l’a conclu le juge Ayles en l’espèce.[13]

[Emphase ajoutée, soulignements dans l’original]

[43] La Cour d’appel de l’Ontario réitérait ces principes dans l’arrêt R. v. Aird, tout en ajoutant à l’énumération des facteurs que retient la jurisprudence :

[27] Parliament chose not to specify the relationships that would constitute relationships of trust under s. 153(1), likely for two reasons: because of the varied circumstances in which these relationships can arise; and because of the “very fact specific nature of such an inquiry”:  see R. v. P.S.[1993] O.J. No. 704 (Gen. Div.), at para. 31; aff’d R. v. Sharma[1994] O.J. No. 3775 (C.A.).

[28] The considerations that bear on whether a relationship comes within s. 153 flow from the obvious purpose of this section: to protect a young person who is vulnerable to an adult because of the imbalance in their relationship. With this purpose in mind, the courts have identified several considerations relevant to an assessment of whether a relationship of trust exists. They include:

  •       The age difference between the accused and the young person;
  •       The evolution of their relationship;
  •       The status of the accused in relation to the young person;
  •       The degree of control, influence or persuasiveness exercised by the accused over the young person; and
  •       The expectations of the parties affected, including the accused, the young person and the young person’s parents.

See R. v. AudetR. v. C.D.[2000] O.J. No. 1667 (C.A.). See also R. v. D.E.[2009] O.J. No. 1909 (S.C.).

[29] No one consideration is determinative. But each one may play a role. At bottom, “trust”, wrote La Forest J. for the majority in Audet, at para. 35, must be “interpreted in accordance with its primary meaning: ‘[c]onfidence in or reliance on some quality or attribute of a person or thing, or the truth of a statement.’[14]

[Soulignements ajoutés]

[44] La différence d’âge entre l’adulte et la personne adolescente n’est donc pas en soi un facteur déterminant[15].

[45] La Cour a notamment reconnu que le « secret entourant la relation »[16] des parties et « [l]’opinion de l’accusé quant à l’existence d’une situation de confiance »[17] constituent également des considérations pertinentes lors de l’examen de cette question.