LSJPA — 2514, 2025 QCCA 468

Il est depuis longtemps établi que la preuve d’une maladie mentale qui ne satisfait pas aux critères du paragraphe 2 de l’article 16 C.cr. peut néanmoins justifier un verdict réduit d’homicide involontaire coupable à une accusation de meurtre.

[40]      Il est depuis longtemps établi que « la preuve d’une maladie mentale qui ne satisfait pas aux critères du paragraphe 2 de l’article 16 C.cr. peut néanmoins justifier un verdict réduit d’homicide involontaire coupable à une accusation de meurtre »[21]. En effet, la question de la capacité de former l’intention, qui se rapporte à la défense de troubles mentaux, est distincte de celle de l’existence de l’intention criminelle. Comme l’explique la professeure Anne-Marie Boisvert :

[L]a question de la capacité de formuler l’intention est plus large que celle qui consiste à déterminer la présence ou non de cette intention. En effet, si en raison d’un désordre mental quelconque, un accusé est incapable de former une intention, on peut conclure de façon automatique qu’il n’a pas formé cette intention. Le contraire n’est pas nécessairement vrai. Ce n’est pas parce que l’anomalie mentale n’empêche pas la capacité de former toute intention qu’on doit nécessairement conclure que, de fait, l’accusé a formé une intention spécifique. On peut aisément imaginer des situations où une maladie mentale, sans affecter la capacité d’un individu de former cette intention, puisse de fait l’avoir empêché de la former lors de la commission de l’infraction.[22]

[41]      Par conséquent, si la défense fondée sur l’article 16 C.cr. échoue, le juge du procès (ou le jury) doit alors examiner l’ensemble de la preuve – y compris la preuve qu’il a rejetée à l’étape de cette défense et la preuve d’expert liée à l’état mental de l’accusé – afin de déterminer si la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait l’intention spécifique de commettre un meurtre au deuxième degré, ou si la preuve soulève un doute raisonnable quant à l’existence de cette intention[23]. L’omission de considérer l’ensemble de la preuve est une erreur justifiant d’ordonner un nouveau procès[24].

[57]      Ainsi, la juge ne tient pas compte de la preuve concernant l’état mental de l’appelant au moment de l’infraction avant de donner effet à la « déduction conforme au bon sens ». Cette omission me paraît contraire aux enseignements de la Cour suprême, tels que repris récemment dans l’arrêt R. c. Hodgson :

[67]      Bien que la déduction conforme au bon sens puisse être utile comme « repère à l’aune duquel [les juges présidant les procès] pourront mesurer le concept passablement vague de l’intention », elle ne saurait remplacer l’évaluation par ceux-ci de l’intention subjective (Walle, par. 63). Il s’agit d’une déduction facultative et non d’une présomption (R. c. Seymour, 1996 CanLII 201 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 252, par. 20; R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 104; Walle, par. 63). Par conséquent, le fait pour le juge qui préside un procès de ne pas y recourir ne saurait constituer une erreur. Le juge des faits doit examiner soigneusement les éléments de preuve qui militent contre l’application de la déduction conforme au bon sens avant de lui donner effet, ainsi que l’a exprimé avec justesse notre Cour dans l’arrêt Walle :

Toutefois, en l’absence d’élément de preuve susceptible d’éclairer de façon réaliste sur l’état mental de l’accusé au moment de l’infraction ou encore dans les cas où la preuve pertinente ne soulève pas de doute raisonnable dans l’esprit du [juge des faits] concernant l’intention de l’accusé, le [juge des faits] peut alors à juste titre s’appuyer sur la déduction conforme au bon sens pour déterminer si l’intention a été prouvée. [par. 67].[29]

[Italiques dans l’original]

[58]      Or, plusieurs éléments de preuve étaient susceptibles de jeter un éclairage sur l’état mental de l’appelant au moment de l’infraction. En voici quelques-uns :

  • Le diagnostic retenu par le Dr Charland, soit un « retard mental léger, à la limite du modéré »[30]. En raison de son niveau cognitif et de son fonctionnement intellectuel, l’appelant « ne semble pas prendre la pleine mesure [de son geste ni] en comprendre toute la portée et la gravité »[31]. Son jugement concernant la nature et la qualité de son geste est déficitaire[32];
  • Les acquis de l’appelant sur le plan académique relèvent de la première ou de la deuxième année du primaire, selon le Dr Charland[33]. Étant donné son niveau intellectuel, « sa compréhension pourrait s’assimiler à celle d’un enfant prépubère qui sait que le geste qu’il a posé est méchant, mais sans en comprendre l’ensemble des conséquences »[34];
  • Le Dr Morissette retient, comme impression diagnostique de l’appelant, une déficience intellectuelle légère[35]. Il considère la déficience intellectuelle comme un dysfonctionnement du cerveau au niveau de l’apprentissage, du jugement, du raisonnement et de la résolution de problèmes[36];
  • L’appelant présente une compréhension mitigée du caractère irréversible de la mort, selon le Dr Charland[37];
  • Le comportement de l’appelant pendant l’agression (ex. : l’appel au 911 qui démontre que l’appelant est imperturbable, malgré la demande de la voisine de « lâcher sa mère » et la souffrance manifestée par la victime)[38];
  • Les caractéristiques personnelles de l’appelant (son comportement agressif et impulsif, sa difficulté à gérer sa frustration, son manque d’empathie, l’extrême froideur lorsqu’il raconte les événements, son détachement et sa compréhension limitée des conséquences et de la gravité de ses gestes)[39].

[59]      Certes, la juge traite de ces éléments de preuve dans le cadre de son analyse de la défense fondée sur l’article 16 C.cr., mais toujours dans l’optique de cette défense dont le fardeau incombe à l’accusé. Elle conclut que l’appelant n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son trouble mental le rendait incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte. À aucun endroit elle ne répond à la question de savoir si ces éléments de preuve soulèvent un doute raisonnable concernant l’intention spécifique de l’appelant dont le fardeau, cette fois, incombe à la poursuite.

[60]      Afin de décider si l’intention spécifique a été prouvée hors de tout doute raisonnable, la juge devait tenir compte de l’ensemble de la preuve, dont celle qu’elle a rejetée dans le cadre de son analyse de la défense de troubles mentaux. Selon l’intimé, « la juge a[vait] toujours en tête son appréciation de la défense de l’article 16 du Code criminel, et elle n’avait pas l’obligation d’en reprendre tous les éléments dans cette section de son jugement »[40]. Sans les reprendre en détail, elle aurait pu les mentionner, comme elle l’a fait pour les verbalisations de l’appelant. Ses motifs démontrent plutôt qu’elle n’a pas considéré cette preuve au moment d’analyser l’élément intentionnel de l’infraction, étant donné sa conclusion quant à la capacité de l’appelant de former l’intention requise. Il ne s’agit pas de passer au peigne fin le texte des motifs[41], mais ici la réponse ne ressort pas clairement du dossier et la juge devait démêler les éléments de preuve contradictoires sur cette question fondamentale[42].

Étant donné l’insistance du juge du procès sur la « capacité de former l’intention », il y a une possibilité réelle qu’il n’ait pas examiné la question cruciale de savoir si l’accusé avait l’intention de tuer, plutôt que la capacité de former l’intention.

[61]      L’erreur de droit qu’elle a commise s’apparente à celle relevée par la Cour suprême dans R. c. McMaster[43]. Dans cette affaire, le juge du procès avait rejeté la défense d’ivresse soulevée par les accusés parce qu’il était convaincu hors de tout doute raisonnable que ni l’un l’autre « n’était sous l’influence de l’alcool au point d’être incapable de former l’intention de commettre le crime »[44]. Étant donné l’insistance du juge du procès sur la « capacité de former l’intention », le juge en chef Lamer estime « qu’il y a une possibilité réelle qu’il n’ait pas examiné la question cruciale de savoir si l’accusé avait l’intention de fait de tuer, plutôt que la capacité de former l’intention »[45]. Il ajoute :

24        La Cour d’appel de l’Alberta était convaincue que le juge du procès savait qu’il devait prendre en considération la question de l’intention de fait, parce qu’il a affirmé à un moment donné qu’il appartenait au ministère public de prouver l’intention hors de tout doute raisonnable. Bien que le juge du procès ait vraiment affirmé cela, ses motifs, qui ont suivi cette affirmation, indiquent qu’il a cru que l’intoxication n’était pertinente que relativement à la question de la capacité, comme l’enseignaient les arrêts Beard et MacAskill. En d’autres termes, il était convaincu que le ministère public avait prouvé l’intention hors de tout doute raisonnable, parce qu’il était persuadé que les appelants avaient la capacité de former l’intention. Ce raisonnement est incorrect et a privé les appelants d’un moyen de défense que le droit leur reconnaissait.[46]

[62]      En l’espèce, bien que la juge ait abordé l’élément intentionnel de l’infraction, ses motifs indiquent qu’elle a cru que la preuve se rapportant à l’état mental de l’appelant n’était pertinente que pour l’analyse de la défense de troubles mentaux. Cette façon d’analyser la preuve a pu priver l’appelant du bénéfice du doute raisonnable sur l’élément intentionnel de l’infraction de meurtre.