R. c. Martinez Abarca, 2022 QCCA 1095

En matière de détermination de la peine, les cours d’appel ont un rôle important à jouer, qui se décline sous deux axes.

[14]  Selon une jurisprudence bien établie, les cours d’appel ne peuvent intervenir en matière de peine que si le jugement de première instance comporte une erreur de principe ou, autrement, est manifestement non indiqué. À ce propos, les cours d’appel ont un rôle important à jouer, qui se décline sous deux axes. D’une part, elles servent de « rempart contre les erreurs de droit commises par les tribunaux chargés de déterminer les peines tout en contrôlant la raisonnabilité de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ces derniers. »[8] et, d’autre part, elles doivent s’assurer du développement stable du droit. Ce second volet s’incarne par la mise en place de lignes directrices, qui peuvent prendre la forme de fourchettes de peines ou encore d’énoncés généraux sur la gravité des conséquences reliées à certaines infractions[9].

[18] En outre, une peine proportionnée doit certes prendre en compte les facteurs propres à l’accusé et l’infraction qu’il a commise, mais elle doit également être considérée d’un point de vue comparatif. C’est-à-dire que « [l]a proportionnalité se détermine [aussi] […] sur une base comparative des peines infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables »[15]. La détermination de la peine vise donc l’harmonisation des peines entre des délinquants similaires qui commettent une infraction similaire dans des circonstances semblables[16]. Pour ce faire, les juges ont souvent recours à ce qu’on appelle « une fourchette de peines ». Il s’agit d’un outil, non contraignant, qui est en quelque sorte un historique des peines infligées pour une infraction donnée[17]. Sans être applicables dans tous les cas, les fourchettes permettent d’éviter les écarts injustifiés entre les peines[18].

Si l’ensemble des considérants qui doivent être évalués milite pour une peine d’emprisonnement, la seule existence de conséquences découlant d’un casier judiciaire est insuffisante pour justifier une absolution.

[19]  À la lecture du dossier, il est évident que le jugement entrepris est animé par le but d’éviter à l’intimé les conséquences d’un casier judiciaire. À ce propos, la juge explique qu’« [u]ne inscription à la Loi sur le casier judiciaire mettrait fin aux projets réels de l’accusé [devenir pilote de l’air dans les Forces armées canadiennes] ainsi qu’au moyen d’assurer sa subsistance de la façon dont il l’a choisie et ainsi de bien gagner sa vie ». C’est cet objectif qui motive la juge et qui oriente les facteurs et objectifs dont elle tient compte. Cependant, il ne doit s’agir que d’un des considérants[19]. Si l’ensemble de ceux qui doivent être évalués milite pour une peine d’emprisonnement, la seule existence de conséquences découlant d’un casier judiciaire est insuffisante pour justifier une absolution.

[20] De plus, en refusant de considérer les blessures à titre de facteur aggravant, la juge commet une erreur de principe. Bien qu’il soit vrai qu’un élément essentiel de l’infraction ne devrait pas être considéré comme une circonstance aggravante, car il s’agit d’un facteur pris en compte pour établir la gravité objective de l’infraction alors que le droit cherche à éviter les doubles punitions[20], la situation en matière de voies de fait graves exige que le juge tienne compte dans chaque cas d’espèce de la nature et l’étendue (et non seulement de l’existence) des blessures[21] et il peut même s’agir d’un élément aggravant[22]. Partant, l’importance des blessures dans un cas précis doit être considérée pour pondérer la gravité de l’infraction et en arriver à une peine proportionnelle[23].

[21] La juge commet donc une erreur de principe en évacuant complètement la nature et l’importance des blessures subies par la victime de l’exercice de pondération de la peine proportionnelle[24]. D’ailleurs, comme le rappelle cette Cour dans Bérubé-Gagnon, « une peine qui est disproportionnée eu égard à la gravité de l’infraction ou au degré de culpabilité du contrevenant est, par définition, manifestement non indiquée »[25]. En omettant ce facteur, la juge n’arrive pas à une peine proportionnelle.

Bien qu’il soit souhaitable d’avoir recours avec le plus de modération possible aux peines d’emprisonnement et même parfois préférable de les éviter, il est difficile de voir en quoi l’absolution conditionnelle, dans un cas de voies de fait graves, puisse rencontrer adéquatement l’objectif de dissuasion générale.

[22] Qui plus est, à la lecture du jugement, il est difficile de saisir ce que la juge fait de l’objectif de dissuasion générale. Elle affirme seulement que cet objectif a peu d’importance en l’espèce, car il s’agit d’un geste impulsif et contextuel et que le caractère de la dissuasion générale est incertain et limité[26]. Elle ajoute aussi que l’emprisonnement n’est pas la seule peine permettant de l’atteindre[27]. On peut s’interroger sur le caractère impulsif de l’agression sexuelle, quoique la peine sur ce chef ne soit pas en appel. Malgré cela, les circonstances de cette agression, qui précède immédiatement les voies de fait graves, sont pertinentes. On peut aussi se montrer circonspect sur l’affirmation que les voies de fait graves l’étaient tout autant alors qu’elles ont été commises après et en raison de l’agression sexuelle et qu’elles sont constituées non pas de un, mais bien de deux coups de poing.

[23] Bien qu’il soit souhaitable d’avoir recours avec le plus de modération possible aux peines d’emprisonnement et même parfois préférable de les éviter, il est difficile de voir en quoi l’absolution conditionnelle, dans un cas de voies de fait graves, puisse rencontrer adéquatement l’objectif de dissuasion générale. Les tribunaux ont rappelé fréquemment que les cas de voies de fait graves exigent une réplique suffisante et proportionnelle à la gravité des gestes posés et à la responsabilité morale du contrevenant, quant au principe de la dénonciation[28]. Il en est de même de la dissuasion générale[29].