M.P. c. R., 2020 QCCA 892

MISE EN GARDE : Ordonnance limitant la publication – victimes et témoins : Il est interdit de publier ou diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou du témoin (article 486.5 C.cr.).

L’appelant doit simplement établir une possibilité de préjudice professionnel pour démontrer son intérêt véritable à obtenir une absolution; il n’a pas à démontrer l’impossibilité de trouver un emploi dans son domaine advenant une condamnation.

[5] Deux conditions doivent être satisfaites pour qu’un délinquant puisse bénéficier d’une absolution. Il doit démontrer qu’elle est dans l’intérêt véritable de l’accusé et qu’elle ne nuise pas à l’intérêt public[3].

[6] Le juge estime ici que l’absolution n’est pas dans l’intérêt véritable de l’appelant. Ce dernier, souligne-t-il, n’a pas démontré que l’enregistrement d’une condamnation entraînerait pour lui des conséquences particulièrement négatives. Pour parvenir à cette conclusion, il précise que l’appelant perdra son emploi dans une commission scolaire, mais retient surtout qu’il « travaille pour un nouvel employeur qui accepte sa situation et qui ne le mettra pas à pied s’il est condamné »[4].

[7] L’appelant exerce l’emploi d’électromécanicien dans une commission scolaire depuis douze ans. Il s’agit d’un emploi permanent comportant une sécurité d’emploi, un salaire élevé, des avantages sociaux intéressants et un horaire de travail compatible avec les intérêts de son enfant, à la différence de ce nouvel emploi occupé depuis très peu de temps.

[8] À la suite des accusations déposées en septembre 2018, son employeur le suspend sans solde dans l’attente de l’issue des procédures judiciaires. La preuve révèle que si une condamnation est enregistrée, emportant par le fait même l’existence d’un casier judiciaire, il sera congédié.

[9] L’appelant doit simplement établir une possibilité de préjudice professionnel pour démontrer son intérêt véritable à obtenir une absolution[5]; il n’a pas à démontrer l’impossibilité de trouver un emploi dans son domaine advenant une condamnation[6].

[10] Force est de constater qu’il a satisfait ce fardeau en prouvant un lien direct entre l’enregistrement d’une condamnation et la perte de son emploi dans une commission scolaire. Le juge ne pouvait donc faire fi de la perte de cet emploi qui, sans l’ombre d’un doute, constitue une conséquence négative découlant de l’enregistrement d’une condamnation.

[11] Le risque de récidive est également un élément pertinent à considérer lorsque le juge analyse l’intérêt véritable d’un délinquant à bénéficier d’une absolution.

[12] Le juge écrit succinctement que « les risques de récidive militent contre l’octroi d’une absolution »[7].

[13] Pourtant, le juge énumère les démarches entreprises par l’appelant pour changer son mode de vie dès après la dénonciation : 8 rencontres dans le cadre d’une psychothérapie, 18 séances de consultation avec un psychologue, 32 rencontres individuelles et de groupe au Centre Ex Aequo pour contrer son impulsivité et son anxiété, 14 rencontres avec un intervenant à l’organisme Partage au Masculin pour améliorer son comportement et des consultations auprès d’un autre psychologue qui se poursuivent encore aujourd’hui. Il précise également que l’appelant a tiré profit de ces suivis thérapeutiques, qu’il n’est plus le même homme, qu’il a développé de meilleures capacités parentales et qu’il a des accès réguliers et positifs avec sa fille sans supervision[8].

[14] Le juge se méprend en ne faisant aucune adéquation entre l’ensemble de ces démarches qui ont porté fruit et la conclusion suivant laquelle les risques de récidive empêchent l’octroi d’une absolution conditionnelle. Ces changements, analysés au regard de l’ensemble des circonstances, témoignent de l’intérêt de l’appelant à bénéficier d’une telle absolution[9].

[15] S’il est vrai que le rapport présentenciel laisse entrevoir des préoccupations résiduelles de gestion des émotions et de l’anxiété, l’agente de probation recommande, pour les juguler, un suivi auprès d’une ressource pour remédier à cet aspect, ce que l’appelant est disposé à faire. Cela étant, ces préoccupations peuvent aisément être encadrées par une ordonnance de probation jointe à l’absolution conditionnelle recherchée par l’appelant.

[16] Enfin, le juge estime que l’octroi d’une absolution, conditionnelle ou inconditionnelle, ne pourra se faire sans nuire à l’intérêt public[10]. Il s’appuie sur les dispositions du Code criminel prévoyant que la peine imposée pour mauvais traitement à un enfant par une personne en autorité doit privilégier les objectifs de dénonciation et de dissuasion[11].

[17] Le juge accorde ici une importance démesurée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion pour des gestes qui se situent au bas de l’échelle de gravité des crimes. L’imposition d’une peine pour une infraction de cette nature commande au juge d’accorder une « attention particulière » à ces objectifs[12], mais il ne peut pour autant négliger de prendre en compte les autres objectifs de détermination de la peine[13]. En insistant déraisonnablement sur les facteurs de dénonciation et de dissuasion, et en occultant les efforts considérables consentis par l’appelant pour se réhabiliter aux yeux de la société, le juge commet une erreur de principe justifiant l’intervention de la Cour[14].

[18] L’absolution conditionnelle ne minera pas la confiance du public à l’égard du système judiciaire, d’autant que l’ordonnance de probation envisagée protégera le public[15] et facilitera la réinsertion sociale déjà bien entamée de l’appelant. Elle lui permettra également de maximiser les chances de maintenir son emploi dans une commission scolaire.