Al Zuhairi c. R., 2017 QCCA 1408
La Cour d’appel doit-elle ordonner un acquittement ou ordonner un nouveau procès?
[42] La Cour doit cependant décider s’il y a lieu d’ordonner un nouveau procès (686(2)b) C.cr.) ou d’inscrire d’un verdict d’acquittement (686(2)a) C.cr.). Le critère permettant à la Cour de choisir entre ces deux options est connu : « La décision quant à la nature de l’ordonnance devant être rendue repose sur la question de savoir si des éléments de preuve auraient permis à un juge des faits ayant reçu des directives appropriées de prononcer une déclaration de culpabilité. En l’absence d’une telle preuve, il convient habituellement d’ordonner un acquittement »[31].
[43] En d’autres termes, il s’agit de décider si, en l’espèce, « la preuve, correctement analysée par un juge, pourrait être suffisante pour entraîner la culpabilité de l’appelant »[32]. Il s’agit d’un choix « essentiellement discrétionnaire »[33]. Les auteurs Béliveau et Vauclair indiquent qu’« [e]n règle générale, la cour d’appel optera pour l’inscription d’un verdict d’acquittement s’il est évident que, sans l’erreur, l’accusé aurait été acquitté des accusations »[34]. Toutefois, dans les cas où il n’est pas clair que l’accusé aurait été acquitté n’eût été de cette erreur, la Cour devra plutôt ordonner un nouveau procès.
[44] Ils soulignent cependant que même lorsqu’il est difficile de déterminer si un verdict d’acquittement aurait pu être rendu, il peut arriver que la cour choisisse d’inscrire un verdict d’acquittement, comme ce fut le cas dans l’arrêt Dunlop[35], où la Cour suprême a jugé préférable d’acquitter les appelants plutôt que de les soumettre à un troisième procès pour viol.
[45] Ces principes ont été examinés dans l’affaire P.G. c. R.[36]. Dans ce cas, cette Cour y a conclu qu’il y avait lieu d’ordonner l’acquittement en présence d’un dossier factuel où la preuve laissait émerger un doute raisonnable.
[46] Référant à l’arrêt Dunlop précité35, le juge Chamberland y précisait qu’en certaines circonstances, même en présence d’une preuve suffisante, la Cour pourrait décider de ne pas ordonner un nouveau procès si elle estimait injuste de faire subir un nouveau procès à l’accusé :
[97] En principe, la Cour ordonne un nouveau procès lorsque la preuve admissible contre un accusé est suffisante pour entraîner un jugement de culpabilité. Il arrive toutefois que, même en présence d’une preuve suffisante, la Cour décide de ne pas ordonner de nouveau procès lorsque cette décision serait injuste pour l’accusé par exemple lorsque celui-ci a déjà purgé la quasi-totalité de sa peine ou lorsqu’un témoin important est décédé.
[98] En l’espèce, j’estime qu’il serait injuste de faire subir un nouveau procès à l’appelant. La preuve de la poursuite se limite à un seul témoin, la plaignante. Dans ses motifs, ma collègue la juge Otis souligne les éléments de la preuve qui permettent de douter de la fiabilité de son témoignage et dont la juge de première instance ne traite pas. Ces éléments de preuve sont factuels; ils referont inévitablement surface advenant la tenue d’un nouveau procès et ils porteront nécessairement ombrage, selon moi, à la fiabilité du seul témoignage à charge.
[99] Dans ces circonstances, j’estime qu’il serait injuste de faire subir un nouveau procès à l’appelant. Je propose donc l’inscription d’un jugement d’acquittement à l’égard de toutes les accusations portées contre l’appelant.[37]
[soulignements ajoutés]
[47] Lorsqu’ils traitent de l’opportunité d’opter pour une ordonnance de nouveau procès ou l’inscription d’un verdict d’acquittement, les auteurs Béliveau et Vauclair réfèrent également à l’arrêt Bellusci[38], où la Cour suprême, rappelant les propos de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire Yelle[39], sur le gaspillage de ressources de la cour, du temps des témoins et de coûts susceptibles de découler d’une ordonnance de nouveau procès ou de sa continuation, ajoutait qu’elle « ne peut être valablement ordonnée que lorsque les intérêts de la justice l’exigent, qu’elle n’inflige aucun préjudice indu aux parties et qu’elle ne cause pas d’injustice »[40].
[48] Ici, sans parler d’absence de preuve en lien avec l’infraction reprochée[41], j’estime qu’il est improbable, en considérant le dossier factuel tel qu’il nous est présenté en appel, que la preuve puisse ultimement mener à un verdict de culpabilité. Au vu de ces circonstances et des ressources judiciaires et coûts susceptibles d’être engagés aux fins d’un nouveau procès, et considérant la gravité relative de l’infraction reprochée dont les faits remontent à plus de 6 ans, je suis d’avis que l’inscription d’un verdict d’acquittement s’impose.
[49] Pour ces motifs, je propose d’accueillir l’appel, de casser le verdict de culpabilité pour agression sexuelle et de lui substituer un verdict d’acquittement à l’égard du chef d’agression sexuelle.