Coonishish c. R., 2018 QCCA 1453
La fiabilité objective de la preuve d’identification ressort généralement d’un examen méticuleux et rigoureux des circonstances dans lesquelles les observations et l’identification ont initialement été faites par le témoin oculaire ainsi que des éléments de la preuve indépendants qui confirment ou supportent l’identification oculaire.
[38] Il importe toutefois de rappeler qu’en raison de ses faiblesses inhérentes, la preuve d’identification par témoin oculaire comporte des dangers, particulièrement lorsqu’elle est rapportée par un témoin crédible et convaincu, en raison de la faillibilité des capacités d’observation et de la fragilité de la mémoire humaine[4].
[39] La valeur probante d’une telle preuve ne doit donc pas être déterminée par le seul test de la crédibilité du témoin oculaire, mais exige davantage : la prise en compte de la fiabilité objective de la preuve d’identification.
[40] Dans l’arrêt Legault[5], la Cour cite avec approbation les propos de la Cour d’appel d’Alberta dans R. c. Atfield :
[3] The authorities have long recognized that the danger of mistaken visual identification lies in the fact that the identification comes from witnesses who are honest and convinced, absolutely sure of their identification and getting surer with time, but nonetheless mistaken. Because they are honest and convinced, they are convincing, and have been responsible for many cases of miscarriages of justice through mistaken identity. The accuracy of this type of evidence cannot be determined by the usual tests of credibility of witnesses, but must be tested by a close scrutiny of other evidence. […] As is said in Turnbull, the jury (or the judge sitting alone) must be satisfied of both the honesty of the witness and the correctness of the identification. Honesty is determined by the jury (or judge sitting alone) by observing and hearing the witness, but correctness of identification must be found from evidence of circumstances in which it has been made or in other supporting evidence. If the accuracy of the identification is left in doubt because the circumstances surrounding the identification are unfavorable, or supporting evidence is lacking or weak, honesty of the witnesses will not suffice to raise the case to the requisite standard of proof and a conviction so founded is unsatisfactory and unsafe and will be set aside. It should always be remembered that in the famous Adolph Beck case, twenty seemingly honest witnesses mistakenly identified Beck as the wrongdoer.[6]
[Soulignements ajoutés]
[41] La fiabilité objective de la preuve d’identification ressort généralement d’un examen méticuleux et rigoureux des circonstances dans lesquelles les observations et l’identification ont initialement été faites par le témoin oculaire ainsi que des éléments de la preuve indépendants qui confirment ou supportent l’identification oculaire.
[42] Dans l’arrêt Mezzo, la juge Wilson reprend avec approbation les propos du juge en chef de la Cour d’appel d’Angleterre, Lord Widgery, dans l’arrêt Turnbull[7] et insiste sur la nécessité d’analyser soigneusement les circonstances de l’identification. Elle dresse, en outre, une liste non exhaustive des facteurs pertinents servant à déterminer la fiabilité de la preuve d’identification par un témoin oculaire :
Je ne veux pas laisser entendre que le juge du procès doit dans chaque cas s’en tenir à une classification rigide des facteurs énumérés dans l’arrêt Turnbull. Un critère automatique ne refléterait pas les particularités infinies que peuvent offrir toutes les situations de fait possibles. La mise en garde de l’arrêt Turnbull identifie cependant un certain nombre de facteurs qui peuvent clairement influer sur la qualité de la déposition d’un témoin oculaire : la durée de l’observation, la distance, l’éclairage, les obstacles à la vue, le fait de reconnaître quelqu’un, le temps écoulé entre la première observation et la description donnée ultérieurement aux policiers et les divergences entre cette description et l’aspect physique du prévenu. Il ne fait pas de doute qu’il en existe beaucoup d’autres. La cohérence des descriptions données par le témoin (importante en l’espèce), le degré d’attention qu’il ou elle a porté à l’agresseur et sa lucidité au moment du crime, sa réaction lors des confrontations subséquentes avec le prévenu (importante aussi en l’espèce) en sont quelques-uns qui nous viennent tout de suite à l’esprit.[8]
Le témoignage d’un enfant, ne doit pas être analysé avec la même rigueur et les mêmes exigences que celui d’un adulte. Ainsi, une contradiction dans le témoignage d’un enfant n’a généralement pas le même impact sur la crédibilité de ce dernier qu’une faille semblable dans celui d’un adulte. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille abaisser le niveau de fiabilité objective des circonstances de l’observation initiale et des identifications subséquentes.
[68] L’intimée souligne, à bon droit, que le témoignage d’un jeune enfant, comme le plaignant, ne doit pas être analysé avec la même rigueur et les mêmes exigences que celui d’un adulte. Ainsi, une contradiction dans le témoignage d’un enfant n’a généralement pas le même impact sur la crédibilité de ce dernier qu’une faille semblable dans celui d’un adulte[11].
[69] Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille abaisser le niveau de fiabilité objective des circonstances de l’observation initiale et des identifications subséquentes, surtout si, comme en l’espèce, le ministère public choisit de ne pas procéder à une parade d’identification selon les normes de fiabilité reconnues pour corriger les défaillances d’une procédure d’identification antérieure.
[70] Dans l’arrêt Legault[12], le juge Rochon souligne qu’en matière d’identification par témoin oculaire, la Cour est parfois aussi bien placée que le juge d’instance pour évaluer la qualité et la force probante d’une telle preuve et il cite avec approbation les propos de l’auteur Tristan Desjardins à ce sujet :
Dans les cas particuliers où l’issue d’un verdict repose sur une preuve d’identification oculaire, il est cependant reconnu que la cour d’appel peut être aussi bien placée que le tribunal d’instance afin d’évaluer la qualité de ce type de preuve. En effet, étant donné que l’appréciation de la force probante d’une preuve d’identification oculaire n’est généralement pas liée à une question de crédibilité, mais plutôt à l’ensemble des circonstances entourant cette identification, un verdict fondé sur une telle preuve pourra être écarté par la cour d’appel en vertu de l’alinéa 686(1)a(i) du Code criminel si cette preuve a été obtenue de manière honnête, mais erronée.[13]
[Référence omise]
[71] Dans l’arrêt Bigsky, la Cour d’appel de Saskatchewan a recensé la jurisprudence des tribunaux d’appel du Canada relativement à la preuve d’identification oculaire et a dressé une liste des facteurs qui donnent généralement ouverture à une intervention en appel :
In the judge-alone cases, when a court of appeal will intervene depends on a variety of factors: (i) whether the trial judge can be taken to have instructed himself or herself regarding the frailties of eyewitness testimony and the need to test its reliability; (ii) the extent to which the trial judge has reviewed the evidence with such an instruction in mind; (iii) the extent to which proof of the Crown’s case depends on the eyewitness’s testimony or, in other words, the presence or absence of other evidence that can be considered in determining whether a court of appeal should intervene; (iv) the nature of the eyewitness observation including such matters as whether the eyewitness had previously known the accused and the length and quality of the observation; and (v) whether there is other evidence which may tend to make the evidence unreliable, i.e., the witness’s evidence has been strengthened by inappropriate police or other procedures between the time of the eyewitness observation and the time of testimony.[14]
[Référence omise]
[72] En l’espèce, le verdict de culpabilité repose entièrement sur une preuve d’identification de l’appelant par le plaignant. Le juge en était manifestement conscient et s’est adéquatement mis en garde contre les dangers d’une telle preuve.
[73] Il a toutefois commis des erreurs manifestes d’interprétation de la preuve et omis d’appliquer ces instructions de prudence aux écueils évidents de la preuve soumise. Il a essentiellement tranché la question de l’identité de l’auteur des crimes commis aux dépens du plaignant en fonction de la crédibilité de ce dernier et de sa mère.
[74] Or, la preuve d’identification n’a pas, en l’espèce, le niveau de fiabilité requis pour fonder à elle seule les verdicts de culpabilité en raison notamment de la vulnérabilité évidente du plaignant à la suggestion et à la manipulation, d’un procédé d’identification par confrontation défaillant, d’une enquête policière qui a fait défaut de confirmer les dires du jeune plaignant et de l’insuffisance d’éléments démontrant la fiabilité objective de la preuve d’identification.
[75] Je suis conscient qu’en certaines circonstances, la réaction physique d’une victime lorsqu’elle identifie un agresseur peut parfois être déterminante et compenser une procédure d’identification quelque peu défaillante. Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce. Les pleurs du gamin et l’étreinte concomitante de sa mère peuvent être raisonnablement interprétés comme exprimant sa joie de réussir à satisfaire au désir de cette dernière de retrouver celui qui aurait abusé de lui.
Le juge aurait été plus avisé de laisser l’appelant s’approcher de lui afin de constater l’absence ou la présence d’une cicatrice à la lèvre supérieure
[84] Le refus de laisser s’approcher l’appelant s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de cette volonté du juge de mettre un terme à l’imbroglio ou au malaise qu’ont causé ses paroles et ne découle aucunement d’une intention malveillante, comme le sous-entend l’appelant. L’intimée a raison de souligner que la présence d’une moustache constituait un fait que le juge pouvait observer, mais l’absence d’une cicatrice à la lèvre de l’appelant était également un fait observable. Le juge qui avait témoigné du premier aurait pu être également témoin du second.
[85] En rétrospective, il est manifeste que le juge aurait été plus avisé de laisser l’appelant s’approcher de lui afin de constater l’absence ou la présence d’une cicatrice à la lèvre supérieure de l’appelant. Il aurait de la sorte dissipé un nuage qui plane toujours quant à la présence ou à l’absence de la cicatrice sur la lèvre de l’appelant et n’aurait pu être blâmé pour l’avoir fait puisque l’appelant insistait pour être observé de plus près.
Les principes applicables à un verdict déraisonnable rendu par un juge siégeant seul
[90] Dans l’arrêt R. c. W.(H.), le juge Cromwell rappelle les principes applicables à un verdict déraisonnable rendu par un juge siégeant seul :
Un verdict est déraisonnable ou ne peut s’appuyer sur la preuve lorsqu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire n’aurait pu raisonnablement le rendre (R. c. Yebes, 1987 CanLII 17 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 168, à la p. 185, et R. c. Biniaris, 2000 CSC 15 (CanLII), 2000 SCS 15, [2000] 1 R.C.S. 381, au par. 36). Le même critère s’est longtemps appliqué tant au verdict d’un jury qu’à celui d’un juge, mais, récemment, notre Cour a quelque peu accru la portée de l’examen qui permet de déterminer que le verdict d’un juge est raisonnable ou non (R. c. Beaudry, 2007 CSC 5 (CanLII), [2007] 1 R.C.S. 190, et R. c. Sinclair, 2011 CSC 40 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 3). Elle a ainsi reconnu l’existence d’une différence d’ordre pratique entre l’examen du verdict d’un juge et l’examen du verdict d’un jury. En effet, contrairement au jury, le juge motive sa conclusion, de sorte que la cour d’appel peut tenir compte de ses motifs pour se prononcer sur le caractère raisonnable du verdict. Cependant, cet élargissement de l’examen ne vaut paspour le verdict d’un jury.[15]
[91] Dans R. c. Morrissey[16], le juge Doherty souligne que si un appelant démontre que sa déclaration de culpabilité repose sur une interprétation erronée d’un élément crucial de la preuve, il y a alors lieu de conclure qu’il n’a pas subi un procès équitable et qu’il a été victime d’une erreur judiciaire. C’est le cas même si la preuve présentée au procès était susceptible de fonder une déclaration de culpabilité.
[92] Or, celui qui démontre l’existence d’une erreur judiciaire au sens de l’article 686(1a)(iii) C.cr. n’est pas tenu d’établir, en outre, que le verdict ne trouve pas appui dans la preuve conformément à l’article 686(1)a)(i) C.cr.
[93] Tel que je le soulignais précédemment, la conclusion du juge selon laquelle la preuve de l’identification de l’appelant par le plaignant est crédible et fiable parce qu’elle (1) est le résultat d’une observation initiale faite dans des conditions favorables, (2) est confirmée sur un élément essentiel par le témoignage tout aussi crédible et fiable d’E… L… et (3) découle d’une procédure équitable et fiable d’identification au moyen d’une confrontation préalable au procès.
[94] Or, ces trois motifs du juge résultent, en l’espèce, d’une interprétation erronée de l’essence même de la preuve relative à chacun des trois volets de l’identification par témoin oculaire.
[95] S’agissant là de la seule preuve de l’implication de l’appelant, ces erreurs ont joué un rôle capital dans le raisonnement à l’origine des verdicts prononcés puisqu’il s’agissait de la seule question litigieuse que devait trancher le juge.
[96] Par conséquent, l’application du sous-alinéa 686(1)a)(iii) C.cr. s’impose dans les circonstances et il y a lieu, à mon avis, d’accueillir l’appel et de substituer aux déclarations de culpabilité des verdicts d’acquittement puisqu’une fois expurgée de ces erreurs d’interprétation, la preuve est nettement insuffisante pour étayer la culpabilité de l’appelant.