Les parties demandent cependant à la Cour de répondre à une question plus générale. En clair, on lui demande de décider si la poursuite peut tenir pour acquise la condition énoncée à l’alinéa 258(1)c)(ii) du Code à moins qu’un accusé s’y oppose. En accord avec l’affaire Bisaillon, j’ai décidé qu’une requête constitutionnelle n’était pas nécessaire. Toutefois, avec égards, je suis en désaccord avec l’affirmation du juge Royer, j.c.s. dans cette même affaire que « […] la défense doit faire valoir sa contestation pendant la preuve de la poursuite dans une procédure de voir-dire.
[22] Il est bien établi en droit criminel qu’il appartient au poursuivant de faire une preuve complète et, comme l’a déjà affirmé la Cour « […] [t]he defence [has] no obligation to review and point the missteps in the Crown’s strategy. […] » : R. c. Javanmardi, 2019 QCCA 576, par. 12. Je ne crois pas, avec égards, qu’il faille créer une exception pour l’ancien alinéa 258(1)c)(ii) du Code comme le demande l’intimée et comme semble l’avoir conclu le juge de la Cour supérieure en se fondant notamment sur l’arrêt R. c. Fortsythe, 2009 MBCA 123. Cet arrêt ne devrait pas être suivi sur cette question.
[10] L’affaire met en cause les anciennes dispositions du Code criminel et plus particulièrement les conditions nécessaires pour que la preuve des résultats des analyses fasse foi de façon concluante de l’alcoolémie constatée (à l’al. 258(1)c) C.cr.) et permette ainsi la mise en œuvre de la présomption d’identité qui y est prévue, soit la preuve « […] de l’alcoolémie de l’accusé […] au moment […] où l’infraction aurait été commise/proof that the concentration of alcohol in the accused’s blood both at the time […] when the offence was alleged to have been committed […] ».
[11] Parmi les conditions figure celle, à l’alinéa 258(1)c)(ii) du Code, que l’échantillon soit prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise.
[12] Je suis d’accord avec ce passage de l’affaire Bisaillon :
[21] La Cour suprême en concluait que le défaut de se conformer aux exigences de l’article 258 privait le ministère public du bénéfice de la présomption, mais la preuve demeurait admissible. Elle réitérait dans l’arrêt Alex que l’alinéa 258(1)c) du Code criminel ne régit pas la question de l’admissibilité en preuve des certificats, mais seulement leur application.
[22] Puisque l’admissibilité des résultats d’analyse n’est pas en jeu dans une attaque contre l’applicabilité des présomptions, il serait curieux que le véhicule approprié soit la requête de Charte compte tenu du fait que le remède standard du paragraphe 24(2) ne serait pas disponible. L’accusé devrait se rabattre sur le paragraphe 24(1) pour obtenir le remède alternatif de l’inapplicabilité des présomptions légales. De plus, l’inobservance des conditions d’application des présomptions n’implique aucunement la violation de droits constitutionnels de l’accusé, mais uniquement que les garanties de fiabilité des résultats des tests ne sont pas présentes.
[23] En définitive, il y a controverse jurisprudentielle sur la question, mais le Tribunal conclut sans hésitation dans le sens des décisions selon lesquelles une requête en vertu de la Charte n’est pas requise pour contester l’applicabilité des présomptions légales d’identité et d’exactitude.
R. c. Bisaillon, 2019 QCCS 2931, par. 21 à 23 (références omises), s’appuyant sur R. c. Deruelle, 1992 CanLII 73 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 663, 672 ; R. c. Alex, 2017 CSC 37 (CanLII), [2017] 1 R.C.S. 967, par. 20.
[13] J’ajoute ce qui suit.
[14] Les quelques faits procéduraux suivants de la présente affaire ne sont pas contestés, mais ils sont importants pour comprendre la méprise du juge de la Cour supérieure, qui répète celle du juge du procès. Bien avant le procès, l’avocat de l’appelant avait annoncé à sa collègue, qui agissait en poursuite, que l’unique question en litige se concentrait sur les délais pour prélever les deux échantillons requis par la loi; d’abord le délai pour prélever le premier, qui ne l’avait pas été « dès que matériellement possible », puis celui qui s’écoule entre les deux prélèvements. Cette deuxième question n’est cependant plus en litige devant nous. De son côté, la poursuite a expliqué clairement au juge qu’elle n’avait aucunement l’intention de faire autrement la preuve d’alcoolémie de l’appelant.
[15] En définitive, les parties ont annoncé au juge du procès la question en litige et que sa conclusion à venir sur les prétentions de l’appelant emportait le sort du procès. Au surplus, lorsque la poursuite a voulu déposer le certificat du technicien qualifié, l’appelant a réagi, rappelant sa position. Le juge du procès l’a rassuré en décidant de permettre la preuve sous réserve de son objection.
[16] Le juge de la Cour supérieure conclut néanmoins, à l’instar du juge de la Cour du Québec, que « […] l’objection de l’Appelant n’a été débattue qu’une fois que la preuve a été déclarée close de part et d’autre alors qu’elle aurait dû être débattue dans le cadre d’un voir-dire » : 2018 QCCS 2952, par. 16. Il confirme ainsi la décision du juge d’instance, lequel n’a pas tranché l’unique question soulevée au procès sous prétexte que l’appelant n’avait pas présenté de requête et qu’il n’avait pas débattu la chose dans le cadre d’un voir-dire.
[17] Avec égards, il est difficile de comprendre ce raisonnement. Le voir-dire n’est jamais formellement obligatoire, surtout dans le cadre d’un procès sans jury. Le voir-dire est une procédure étanche qui, pourrait-on résumer rapidement, permet notamment de régler des questions qui doivent l’être avant de commencer ou de poursuivre le procès et qui a aussi pour but d’éviter de révéler au juge des faits des éléments avant que ceux-ci soient dûment jugés admissibles. Devant un juge seul, cette dernière raison est évidemment sans pertinence et lorsqu’une seule question est en litige, la première l’est tout autant. Le voir-dire peut aisément se confondre au procès lui-même. Ici, les parties s’entendaient sur l’unique débat qui aurait été traité dans le cadre du « voir-dire ». En ce sens, le procès était le voir-dire.
[18] Il contestait la condition législative qui est nécessaire pour donner au certificat sa « valeur » et qui fait partie des conditions qui ont « […] une incidence directe sur la fiabilité des raccourcis en matière de preuve […] » : R. c. Alex, 2017 CSC 37 (CanLII), [2017] 1 R.C.S. 967, par. 27. J’estime que le juge de la Cour supérieure confond la véritable question soulevée par l’appelant avec l’ordre du policier qui doit être donné dans les meilleurs délais (ancien par. 254(3) C.cr.).
[19] Il s’agit de deux obligations distinctes. La première vise la légalité d’un ordre et la seconde est une des conditions nécessaires pour conférer au certificat sa « valeur » pour la mise en œuvre des présomptions. Satisfaire les conditions législatives permet à la poursuite de déposer le certificat qui fait alors la preuve des résultats et de l’alcoolémie de l’accusé au moment de la conduite sans qu’il soit nécessaire de faire comparaître les témoins pour l’établir. L’importance de ces raccourcis a été reconnue dans l’arrêt Alex, où on leur associe un objectif d’efficacité pour ces poursuites criminelles. Il est erroné de prétendre que le raisonnement de l’arrêt Alex s’applique à la condition de l’alinéa 258(1)c)(ii) du Code. Dans cette affaire, la question portait sur la légalité de l’ordre (à l’ancien par. 254(3) C.cr.) : R. c. Alex, 2017 CSC 37 (CanLII), [2017] 1 R.C.S. 967, par. 6. Comme l’écrit le juge Moldaver, la légalité de l’ordre n’a rien à voir avec les conditions des anciens sous-alinéas 258(1)c)(i) à (iv) et 258(1)g)(i) à (iii) du Code : R. c. Alex, [2017] 1 R.C.S. 967, par. 27.
[20] Je suggère d’accueillir l’appel. Les parties demandent d’ordonner un nouveau procès lors duquel l’intimée s’engage à ne pas présenter une preuve d’expert pour établir l’alcoolémie au moment de la conduite automobile. Je suggère donc de prendre acte de cet engagement.
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[21] Un dernier point. Les parties demandent cependant à la Cour de répondre à une question plus générale. En clair, on lui demande de décider si la poursuite peut tenir pour acquise la condition énoncée à l’alinéa 258(1)c)(ii) du Code à moins qu’un accusé s’y oppose. En accord avec l’affaire Bisaillon, j’ai décidé qu’une requête constitutionnelle n’était pas nécessaire. Toutefois, avec égards, je suis en désaccord avec l’affirmation du juge Royer, j.c.s. dans cette même affaire que « […] la défense doit faire valoir sa contestation pendant la preuve de la poursuite dans une procédure de voir-dire. […] » : R. c. Bisaillon, 2019 QCCS 2931, par. 28.
[22] Il est bien établi en droit criminel qu’il appartient au poursuivant de faire une preuve complète et, comme l’a déjà affirmé la Cour « […] [t]he defence [has] no obligation to review and point the missteps in the Crown’s strategy. […] » : R. c. Javanmardi, 2019 QCCA 576, par. 12. Je ne crois pas, avec égards, qu’il faille créer une exception pour l’ancien alinéa 258(1)c)(ii) du Code comme le demande l’intimée et comme semble l’avoir conclu le juge de la Cour supérieure en se fondant notamment sur l’arrêt R. c. Fortsythe, 2009 MBCA 123. Cet arrêt ne devrait pas être suivi sur cette question.
[23] L’argument de l’intimée repose principalement sur l’efficacité des raccourcis. Avec égards, je ne suis pas convaincu et, à mon avis, les règles habituelles du droit criminel s’appliquent. Contrairement à une requête constitutionnelle où un accusé fait valoir un droit, rien dans la loi n’impose à l’accusé de réfuter les conditions d’application des présomptions; il n’y a pas de présomption que les conditions sont satisfaites à moins d’une preuve contraire. Je suggère de rejeter ce moyen.