R. c. Rancourt, 2020 QCCQ 3287

 

L’accusé demande au Tribunal d’exclure tous les éléments de preuve recueillis conformément au paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) en contravention des articles 7 et 8 et des alinéas 10a) et 10b) de la Charte.

Plus précisément, il reproche aux policiers de la Sûreté du Québec (SQ) d’avoir obtenu le prélèvement d’échantillons de sang à titre de fouille et saisie abusive (article 8 de la Charte) en ne respectant pas les conditions d’application de l’aliéna 258(1)d)ii) du Code criminel (C.cr.). Il soutient également qu’ils ont été obtenus à la suite d’une violation des alinéas 10a) et 10b) de la Charte.

[11]        Policier d’expérience, comptant 31 années de service, François Lachance, reçoit un appel à 17 h 12 concernant un accident majeur survenu aux environs de 17 h 8 sur la route 138 près du village de Saint-Tite-des-Caps sur la voie est, en direction de Baie-Saint-Paul.

[12]        Accompagné d’une stagiaire, il arrive sur les lieux à 17 h 16 et constate que deux véhicules accidentés sont immobilisés dans la voie en direction est. Les véhicules bloquent complètement une voie nécessitant une intervention urgente à l’égard des passagers des véhicules et de la circulation.

[13]        L’agent Lachance constate que les deux véhicules impliqués dans l’accident contiennent un seul passager à bord, en l’occurrence les conducteurs de ceux-ci. Des intervenants s’affairent à leur donner les premiers soins.

[14]        À 17 h 50, le policier Lachance rencontre monsieur Marcel Gamache et à 17 h 56, l’accusé. Ce dernier est sur une civière afin qu’il soit transporté par  ambulance vers un centre hospitalier. Soulignons qu’aucun symptôme lié à la présence d’alcool ou de drogue n’est observé auprès de monsieur Gamache. Comme il a acquis des motifs raisonnables de croire que l’accusé a conduit son véhicule moteur avec les capacités affaiblies par l’effet de l’alcool, il décide de quitter avec les ambulanciers à 18 h 6 pour se rendre à l’hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec.

[15]        Lorsque le policier s’adresse à l’accusé, il perçoit une forte odeur d’alcool qui provient de son haleine. Il remarque aussi la présence des yeux rouges, injectés de sang, un langage pâteux et des gestes lents et imprécis.

[16]        Dans l’ambulance, il constate que l’accusé, agité, n’écoute pas les consignes du technicien ambulancier. À 18 h 15, il est plus calme et le policier Lachance décide de le mettre en état d’arrestation d’avoir conduit avec les capacités affaiblies par l’effet de l’alcool et de conduite dangereuse causant des lésions corporelles. Il lui donne une mise en garde verbale complète relativement à son droit au silence et à son droit à l’avocat. Il l’informe qu’il aura la possibilité de communiquer avec un avocat de son choix ou de communiquer avec un avocat de l’aide juridique ou du service de garde.

[17]        Suite aux motifs d’arrestation, l’agent de la paix demande à l’accusé s’il a bien compris. Il n’obtient aucune réponse de ce dernier.

[18]        En lien avec son droit à l’assistance d’un avocat, l’accusé lui demande s’il peut rentrer chez lui. Selon son expérience, l’agent Lachance mentionne qu’il correspond à un individu en état d’intoxication placé en état d’arrestation. Quoi qu’il en soit, il ajoute ne pas considérer la réponse ou le comportement de l’accusé comme une renonciation à son droit à l’avocat.

[19]        À 18 h 43, le véhicule ambulancier arrive à l’hôpital. L’accusé est amené au triage et les premiers soins débutent. À 19 h 3, il obtient l’information du docteur Martin Leblanc selon lequel l’accusé est bien orienté et qu’un prélèvement sanguin ne met pas sa vie en danger.

[20]        Le policier Lachance contacte son collègue Bélanger afin qu’une trousse médicale de prélèvement sanguin lui soit apportée. C’est l’agent Jérôme Baillargeon qui arrive avec celle-ci à 20 h.

[21]        Entre 19 h 6 et 19 h 45, des soins médicaux constants sont prodigués à l’accusé selon le policier Lachance. Vers 19 h 45, il est transféré par le personnel hospitalier dans une chambre au service d’urgence. La famille de ce dernier arrive vers 19 h 50 et l’agent Lachance accepte qu’elle puisse lui parler. La rencontre dure quelques minutes.

[22]        En présence de l’agent Baillargeon, le policier Lachance décide, à 20 h 4, de faire la lecture intégrale de la carte fournie par la SQ qui concerne la mise en état d’arrestation, l’ordre de fournir un échantillon de sang, la mise en garde concernant le droit au silence ainsi que le droit à l’avocat.

[23]        Durant la lecture du droit à l’avocat, l’accusé répond que son avocat est Me Jean Petit. Le policier Lachance lui demande s’il a son numéro de téléphone et il confirme l’avoir dans son téléphone cellulaire. Le policier cherche ainsi le cellulaire dans les effets personnels de l’accusé, mais ne le trouve pas. Il demande à l’accusé l’endroit où se trouve son cellulaire. Ce dernier répond ne pas le savoir et il ajoute: « qu’il va attendre plus tard ».

[24]        Devant cette verbalisation, le policier Lachance indique à l’accusé la possibilité de trouver le numéro de téléphone de son avocat et précise que des démarches peuvent être entreprises afin qu’on le trouve sur une liste de noms d’avocats affichée au poste de police ou encore par une recherche Internet.

[25]        Selon le policier Lachance, l’accusé refuse son offre en lui disant « qu’il va attendre demain ».

[26]        Insatisfait de sa réponse et considérant l’importance du droit à l’assistance d’un avocat, il invite celui-ci à considérer la possibilité d’avoir recours à un avocat de garde de l’aide juridique ou du service de garde du Barreau, spécifiant que ces services sont gratuits et immédiats. L’accusé refuse de façon catégorique.

[27]        Dès cet instant, le policier Lachance considère la renonciation de l’accusé, à son droit à l’avocat, claire, sans équivoque et sans aucune ambiguïté. Il estime que l’accusé a bien compris qu’il pouvait avoir l’assistance d’un avocat immédiatement. Selon lui, l’accusé a bien écouté et a répondu aux questions de façon précise.

[28]        Quoi qu’il en soit, il précise qu’avant que l’accusé soit transféré dans une chambre privée de l’urgence de l’hôpital, l’impossibilité de communiquer et d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat semble illusoire considérant les soins médicaux auxquels s’affaire le personnel entre 19 h 6 et 19 h 45. Pour lui, les soins médicaux demeurent la priorité en l’espèce.

[29]        À 20 h 24, un prélèvement sanguin est effectué par du personnel infirmier après l’acceptation de l’accusé.

[…]

[48]        L’alinéa 10a) de la Charte oblige les policiers à informer la personne, dans les plus brefs délais, des motifs de sa détention[8].

[49]        L’alinéa 10b) de la Charte garantit à la personne détenue le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat sans délai et d’être informée de ce droit dès le moment de sa détention.

[50]        La première obligation touche au volet information alors que les deuxième et troisième sont des obligations de mise en application qui ne prennent naissance que si la personne détenue indique qu’elle veut exercer son droit à l’assistance d’un avocat.

[51]        Pour satisfaire au volet information, l’agent de la paix doit faire une mise en garde initiale, sans délai, à la personne détenue. Dans l’arrêt Suberu[9], la Cour suprême a précisé que l’expression « sans délai » signifie « immédiatement ». À moins d’une menace pour la sécurité des policiers ou du public et des restrictions qui seraient prescrites par une règle de droit au sens de l’article premier de la Charte, les policiers ont l’obligation immédiate d’informer la personne détenue de son droit à l’assistance d’un avocat et de faciliter l’exercice de ce droit dès le début de la détention.

[52]        Le devoir d’information est double. Dans un premier temps, l’obligation des agents de l’État est d’annoncer à la personne détenue qu’elle a le droit à l’avocat de son choix. Dans un deuxième temps, ils ont l’obligation d’informer la personne détenue de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde[10].

[53]        Ce volet détaille comment le droit à l’assistance d’un avocat s’incarne dans notre système judiciaire : « [l]e droit à l’assistance d’un avocat en est venu à signifier plus que le droit d’avoir recours au service d’un avocat par ses propres moyens »[11].

[54]        Puisque l’obligation forme un tout, l’information de tels services doit être faite avant que la seconde obligation n’entre en jeu[12].

[55]        Comme le souligne l’arrêt Evans[13] de la Cour suprême, le devoir d’information inclut la compréhension du détenu. La Cour suprême affirme :

Dans la plupart des cas, il est possible de conclure, d’après les circonstances, que l’accusé comprend ce qui lui est dit. Dans ces cas, les policiers ne sont pas tenus de faire plus (à moins que le détenu n’indique qu’il veut retenir les services d’un avocat, auquel cas, les policiers sont tenus aux deuxième et troisième obligations mentionnées ci-dessus).[14]

[56]        De cet extrait de l’arrêt, on peut retenir que la personne détenue doit saisir le message transmis. Sur cet aspect, la Cour suprême mentionne dans l’arrêt Bartle :

Étant donné la règle selon laquelle, en l’absence de circonstances particulières, notamment des problèmes de langue ou une déficience mentale notoire ou manifeste, indiquant que la personne détenue ne comprend peut-être pas la mise en garde prévue à l’alinéa 10b), les policiers ne sont pas tenus de s’assurer qu’elle le comprend bien; il importe que la mise en garde type faite aux personnes détenues soit aussi instructive et claire que possible.[15]

[57]        Dans les cas où la personne détenue ne semble cependant pas comprendre le contenu d’une carte mise à la disposition des policiers, ceux-ci « ne peuvent se contenter de la récitation rituelle de la mise en garde relative à ce droit de l’accusé; ils doivent prendre des mesures pour faciliter cette compréhension »[16].

[58]        Après que l’information ait été donnée, la personne détenue peut renoncer à l’exercice de son droit. La renonciation ne se déduit normalement pas par des gestes ou des paroles implicites[17].

[59]        Ainsi, lorsque l’accusé manifeste la volonté de renoncer à son droit à l’assistance d’un avocat, il est du devoir des policiers de bien lui faire comprendre les conséquences que peut avoir cette renonciation[18]. La renonciation doit être non seulement volontaire et manifeste, mais aussi faite de façon éclairée. Si la personne détenue persiste à ne pas vouloir exercer son droit, les policiers doivent l’avertir qu’elle peut en tout temps revenir sur sa décision.

[60]        Si l’accusé veut communiquer avec un avocat, une seconde obligation entre en jeu. En effet, les policiers doivent en faciliter la mise en application, c’est-à-dire lui donner une opportunité raisonnable d’exercer son droit. L’opportunité raisonnable signifie pour les policiers de faciliter l’accès à un téléphone dès que possible, sans pour autant avoir l’obligation de fournir leur propre téléphone cellulaire[19]. Ils ont néanmoins l’obligation de donner à une telle personne l’accès à un téléphone à la première occasion raisonnable pour réduire le risque d’auto-incrimination ainsi que l’obligation corollaire de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve tant qu’ils ne lui ont pas facilité l’accès à un avocat[20].

[61]        Sur la question du délai, les policiers peuvent retarder l’exercice de ce droit dans le cas d’urgence afin d’assurer leur sécurité et la sécurité du public. L’agent de la paix peut aussi retarder l’exercice de ce droit lorsque l’état de santé exige d’abord des soins[21]. Dans de telles circonstances, l’agent de l’État doit ainsi prendre des mesures raisonnables pour minimiser le délai causé par la situation[22].

[62]        Lorsque la personne détenue demande à consulter un avocat en particulier, les policiers doivent déployer certains efforts pour tenter de le rejoindre. Si l’avocat n’est pas disponible dans l’immédiat et que la personne détenue veut renoncer à exercer son droit à l’avocat, le policier doit l’avertir qu’il a le droit d’attendre un délai raisonnable avant que ne continuent les procédures[23].

[63]        Finalement, la troisième obligation des agents de l’État consiste à suspendre la récolte de preuve. Cette obligation commence dès l’information au droit à l’assistance d’un avocat et se poursuit jusqu’à la renonciation au droit ou encore jusqu’à ce que la possibilité d’exercer ce droit ait été donnée à la personne détenue. Si cette personne a manqué de diligence dans l’exercice de son droit, les policiers peuvent continuer leur travail puisque la possibilité d’exercer ce droit lui a été octroyée.

[64]        En l’espèce, l’agent Lachance s’est conformé à son obligation tel que prévu à l’alinéa 10a) de la Charte. Il a mis en état d’arrestation l’accusé à la première occasion raisonnable eu égard aux circonstances, soit à 18 h 15, et l’a informé des motifs de celle-ci, soit qu’il a conduit avec les capacités affaiblies par l’effet de l’alcool et qu’il a conduit de façon dangereuse pour le public en causant des lésions corporelles. Cette information a été suivie de la mise en garde et du droit à l’assistance d’un avocat.

[65]        Le Tribunal est aussi d’avis que les trois obligations imposées aux policiers par l’alinéa 10b) de la Charte sont satisfaites. Tant celles faites verbalement à 18 h 15 que celles énoncées à 20 h 4. L’information du droit à l’assistance d’un avocat comporte et respecte en tous points les deux volets de la première obligation formulée par la Cour suprême.

[66]        L’obligation d’information implique la compréhension de l’accusé, ce qui explique la deuxième mise en garde et le droit à l’assistance d’un avocat. Selon la version du policier Lachance, même si celui-ci croit que la réponse donnée par l’accusé vers 18 h 15 « je peux-tu m’en aller chez nous » correspond à une personne en état d’ébriété, elle ne l’a pas satisfait. L’agent Lachance n’a toutefois pas considéré cette réponse ou ce comportement de l’accusé comme une renonciation de son droit à l’assistance d’un avocat.

[67]        Considérant les principes dégagés par les arrêts Bartle[24], Willier[25] et Evans[26], le policier Lachance peut considérer que l’accusé comprend ce qui lui a été lu. Il n’a pas à aller plus loin dans ses obligations d’informer. L’existence de cette interaction amène le Tribunal à conclure que l’obligation d’information a été satisfaite à 18 h 15. Même si son droit à l’avocat a été relu avec la carte de la SQ à 20 h 4, une fois à l’hôpital, l’agent Lachance n’a pas l’obligation d’informer à nouveau le détenu de ses droits.

[68]        Concernant la réponse donnée par l’accusé sur l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat, soit : « mon avocat est Me Jean Petit », le Tribunal estime satisfaisantes les recherches effectuées par le policier Lachance pour donner à l’accusé l’opportunité raisonnable de communiquer avec l’avocat de son choix.

[69]        Force est de reconnaître que le policier Lachance a déployé les efforts nécessaires pour retrouver l’avocat de l’accusé. Or, c’est à défaut de recevoir davantage d’information, du refus et de la renonciation catégoriques de l’accusé, qu’il n’a pas consulté son avocat ou un avocat de garde de l’aide juridique ou du Barreau du Québec.

[70]        À la réponse de l’accusé « on va attendre plus tard », il faut logiquement inférer que la réponse donnée dans son ensemble est : « non, pas tout de suite ». Cette réponse contient à la fois une renonciation et l’éventualité d’un retour ultérieur sur celle‑ci.

[71]        Dans l’arrêt Brydges[27] de la Cour suprême, l’accusé a également répondu : « non, pas tout de suite ». Cette réponse survenant après que l’accusé ait questionné sur l’aide juridique et la possibilité qu’il puisse en bénéficier. La Cour suprême conclut qu’il n’y a pas une réelle renonciation puisque l’information initiale n’a pas été bien donnée.

[72]        Ce n’est pas le cas en l’espèce. Comme le mentionnent les agents Lachance et Baillargeon, l’information complète a été lue à l’accusé, à 20 h 4, et ce dernier en a bien compris la teneur. La présomption de compréhension doit survivre au sujet du premier volet de l’information. Certes, il y a plus tard une renonciation claire et sans équivoque de la part de l’accusé à son droit à l’assistance d’un avocat.

[73]        Sur le volet du délai raisonnable, l’agent Lachance pouvait retarder l’exercice de ce droit de 18 h 15 à 20 h 4 puisque l’accusé reçoit des soins, dans un premier temps par les ambulanciers lors de son transport par ambulance vers un centre hospitalier et, dans un deuxième temps, des soins du personnel médical à son arrivée à l’hôpital  jusqu’à 19 h 50. Le délai entre 19 h 50 et 20 h 4, heure à laquelle il est informé de nouveau de son droit à l’assistance d’un avocat, est raisonnable considérant la rencontre de l’accusé avec les membres de sa famille et l’arrivée à 20 h de l’agent Baillargeon avec la trousse de prélèvement d’échantillons de sang.

[74]        Le Tribunal conclut que le policier Lachance n’a pas contrevenu aux droits de l’accusé d’être informé des motifs de sa détention conformément à l’alinéa 10a) de la Charte et de son droit d’avoir recours à l’avocat de son choix, comme prévu à l’alinéa 10b) de la Charte.

[75]        Ainsi, l’ordre donné pour un prélèvement sanguin s’avère légal et l’obtention de ces prélèvements ne contrevient pas à l’article 8 de la Charte.

[76]        Considérant cette conclusion, il n’est pas nécessaire de procéder à l’analyse requise au sens du paragraphe 24(2) de la Charte.