Gauthier c. R., 2020 QCCA 714

La fiabilité réfère à la valeur du récit, à sa justesse dans la représentation des événements.

[94] L’appelant, à juste titre, souligne l’importance de la distinction entre les notions de crédibilité et de fiabilité. Si la première réfère aux caractéristiques personnelles du témoin, à sa sincérité ou à son intégrité et qu’elle peut se dégager non seulement du contenu de ses réponses, mais également de son comportement, la fiabilité réfère à la valeur du récit, à sa justesse dans la représentation des événements.

[95] Si l’absence de crédibilité d’un témoin peut rompre la confiance du décideur en amont, c’est bien de la fiabilité du témoignage dont on doit le plus se soucier au final[78]. Comme le rappelait mon collègue François Doyon dans un article devenu une référence sur le sujet, la « […] crédibilité n’est donc que l’un des éléments à considérer. La fiabilité du témoignage est certainement plus importante et plus sûre que la crédibilité du témoin »[79]. Rappelons également les propos du juge Finlayson de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Norman[80] :

I do not think that an assessment of credibility based on demeanour alone is good enough in a case where there are so many significant inconsistencies. The issue is not merely whether the complainant sincerely believes her evidence to be true; it is also whether the evidence is reliable. Accordingly, here demeanour and credibility are not the only issues. The reliability of the evidence is what is paramount.

[96] L’importance de s’assurer d’une fiabilité suffisante est d’autant plus grande dans des circonstances où, comme en l’espèce, les faits datent et où plusieurs témoins reviennent sur ce qu’ils ont vécu alors qu’ils étaient enfants[81].

L’analyse de la crédibilité d’un témoin est une œuvre délicate qui participe de l’observation, de l’esprit critique, de l’analyse, mais aussi de la perception, de l’instinct et de la psychologie humaine. Pour toutes ces raisons, la juge d’instance est la mieux placée pour y procéder et la Cour doit, par conséquent, faire preuve de déférence. De même, il n’est pas exagéré d’affirmer que peu de choses sont plus difficiles à exprimer par écrit que les sentiments humains, tant dans leurs traits d’expression que dans ce qui les induit. En raison de cela, il serait injuste d’exiger une froide et rationnelle perfection en ce domaine.

[110] Je me limiterai à rappeler que l’analyse de la crédibilité d’un témoin est une œuvre délicate qui participe de l’observation, de l’esprit critique, de l’analyse, mais aussi de la perception, de l’instinct et de la psychologie humaine. Pour toutes ces raisons, la juge d’instance est la mieux placée pour y procéder et la Cour doit, par conséquent, faire preuve de déférence. De même, il n’est pas exagéré d’affirmer que peu de choses sont plus difficiles à exprimer par écrit que les sentiments humains, tant dans leurs traits d’expression que dans ce qui les induit. En raison de cela, il serait injuste d’exiger une froide et rationnelle perfection en ce domaine. La Cour suprême s’exprimait ainsi à ce sujet dans l’arrêt R. c. Gagnon[92] :

19 Notre Cour a sans cesse exhorté les juges de première instance à expliquer leurs conclusions sur la crédibilité et le doute raisonnable de manière à permettre un examen convenable par un tribunal d’appel. Après avoir encouragé la rédaction de motifs détaillés, il serait contraire au but recherché de scruter ceux‑ci à la loupe en sapant le rôle du juge du procès dans l’appréciation de l’ensemble de la preuve. Les propos du juge de première instance doivent être examinés non seulement avec soin, mais aussi dans le contexte. Les termes employés se prêtent la plupart du temps à de multiples interprétations et qualifications. Cependant, l’examen en appel ne commande pas l’analyse de chaque mot, mais bien que l’on détermine si une erreur justifiant l’annulation se dégage des motifs dans leur ensemble. Il s’agit de déterminer le sens général et ordinaire de ceux‑ci, et non de se livrer à l’analyse de leurs composantes linguistiques individuelles. En réexaminant chacun des éléments de preuve, la Cour d’appel a confondu la nécessité de motifs suffisants avec celle d’une preuve suffisante, ce dernier élément étant au cœur des arrêts Burke, Burns et R. (D.) qu’elle a invoqués à l’appui. À notre avis, les motifs étaient suffisants. De toute manière, pour déterminer si la preuve était suffisante, il fallait considérer toute la preuve et, plus particulièrement, les motifs justifiant toutes les conclusions relatives à la crédibilité, y compris celles visant l’enfant et les témoins entendus à l’appui de sa version des faits, et non seulement celles se rapportant à l’accusé et à ses témoins.

20 Apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Il est très difficile pour le juge de première instance de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits. C’est pourquoi notre Cour a statué — la dernière fois dans l’arrêt H.L. — qu’il fallait respecter les perceptions du juge de première instance, sauf erreur manifeste et dominante.

Si l’utilisation d’un double standard constitue bien une erreur de droit, il convient toutefois que celui-ci ressorte clairement du dossier et que l’on puisse en conclure que la juge a, par un tel prisme, eu une vision trompeuse de la valeur respective des témoignages. Ce moyen ne doit pas être qu’une simple forme rhétorique visant à maquiller une tentative de revoir l’ensemble de la preuve et de demander à la Cour de substituer son appréciation à celle du juge de première instance.

Voir aussi: Bastien c. R., 2020 QCCA 766, par. 18-19 ; Haddad c. R., 2020 QCCA 793, par. 6-7 ;

[114] Si l’utilisation d’un double standard constitue bien une erreur de droit, il convient toutefois que celui-ci ressorte clairement du dossier et que l’on puisse en conclure que la juge a, par un tel prisme, eu une vision trompeuse de la valeur respective des témoignages. Ce moyen ne doit pas être qu’une simple forme rhétorique visant à maquiller une tentative de revoir l’ensemble de la preuve et de demander à la Cour de substituer son appréciation à celle du juge de première instance. C’est pourquoi ce moyen est exigeant. Comme l’écrivait le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Howe[93]:

This argument or some variation on it is common on appeals from conviction in judge alone trials where the evidence pits the word of the complainant against the denial of the accused and the result turns on the trial judge’s credibility assessments. This is a difficult argument to make successfully. It is not enough to show that a different trial judge could have reached a different credibility assessment, or that the trial judge failed to say something that he could have said in assessing the respective credibility of the complainant and the accused, or that he failed to expressly set out legal principles relevant to that credibility assessment. To succeed in this kind of argument, the appellant must point to something in the reasons of the trial judge or perhaps elsewhere in the record that make it clear that the trial judge applied different standard in assessing the evidence of the appellant and the complainant.

[115] En l’espèce, le lourd fardeau imposé par ce moyen d’appel n’est pas satisfait. La juge analyse minutieusement l’ensemble de la preuve et relève les faiblesses, inévitables dans les circonstances, des divers témoignages. Elle n’accepte pas en bloc la version de la poursuite puisqu’elle écarte celle de C et, en conséquence, acquitte l’appelant de quatre des huit chefs d’accusation.