R. c. Fortin, 2018 QCCQ 2403

L’accusée allègue d’abord l’illégalité de son arrestation dans un stationnement. Elle prétend ensuite que les protections constitutionnelles contre les fouilles abusives, la détention arbitraire ainsi que le droit de recourir sans délai à l’assistance d’un avocat prévus aux articles 8, 9 et 10 b) de la Charte n’ont pas été respectés. En conséquence, elle demande d’exclure de la preuve les résultats d’alcoolémie.

Elle ajoute que les échantillons d’haleine n’ont pas été prélevés « dès qu’il a été matériellement possible de le faire » tel que l’exige l’article 258 (1)c) (ii) du Code criminel. La poursuite perdrait ainsi le bénéfice de la présomption.

 

1)   Les policiers peuvent-ils intervenir pour vérifier l’état de conduire d’un citoyen dans le stationnement d’une brasserie?

[31]        La réponse s’avère positive, et ce, malgré les imprécisions du Code de la sécurité routière. Je reprends ici les dispositions pertinentes :

« 4. «chemin public» : la surface de terrain ou d’un ouvrage d’art dont l’entretien est à la charge d’une municipalité, d’un gouvernement ou de l’un de ses organismes, et sur une partie de laquelle sont aménagées une ou plusieurs chaussées ouvertes à la circulation publique des véhicules routiers et, le cas échéant, une ou plusieurs voies cyclables…

  1. La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit avoir avec elle le certificat d’immatriculation du véhicule ou une copie de celui-ci, sauf dans les 10 jours de l’immatriculation, ainsi que l’attestation d’assurance prévue par la Loi sur l’assurance automobile (chapitre A-25).
  2. La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit, à la demande d’un agent de la paix, lui remettre pour examen les pièces visées à l’article 35.

[…]

  1. La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit avoir avec elle son permis.

[…]

  1. Les personnes visées dans les articles 97, 99 et 100 doivent, à la demande d’un agent de la paix, remettre leur permis pour examen.

[…]

  1. Le conducteur d’un véhicule routier ne peut, sauf en cas de nécessité, faire crisser les pneus de son véhicule.

En outre des chemins publics, le présent article s’applique sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers, ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler. »

  1. Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu’il exerce en vertu du présent code, des ententes conclues en vertu de l’article 519.65 et de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds (chapitre P-30.3), exiger que le conducteur d’un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence. »

[32]        La jurisprudence est abondante lorsque l’arrestation est exécutée sur un terrain privé à la suite d’une conduite sur une voie publique. Dans La Reine c. Jacob[3],  le juge Bélisle  fait une revue de la jurisprudence applicable dans ce contexte.

[33]        La juge Desjens rappelle dans Lessard[4] que les pouvoirs ne sont pas restreints à la constatation d’une infraction relative à la conduite mais ont été étendus à la garde et au contrôle. Elle se prononce ainsi relativement  au lieu de l’intervention :

Si une interpellation se fait auprès d’un justiciable sur un terrain privé, certaines dispositions de la loi ne s’appliquent pas mais la définition contenue à d’autres articles englobent les chemins privés ouverts à la circulation publique.

[34]        Le juge Trudel dans Therrien[5] a tranché spécifiquement cette question alors qu’un automobiliste circulait sur la glace d’une rivière gelée pour pêcher les « petits poissons des chenaux ». Il écrit :

[24]  Ne serait-ce qu’en vertu des articles 35 et 36 du C.s.r. cités plus haut, les policiers étaient en droit d’intercepter le véhicule du défendeur pour vérifier ses papiers, sans qu’il soit nécessaire, nous le croyons,  de déterminer s’ils avaient le droit de l’intercepter pour vitesse.

[35]        Inspirée par cette décision, je détermine donc que les policiers ont le droit d’exercer leur pouvoir prévu à l’article 636 du C.s.r. dans un stationnement auquel le public a accès.

[36]        Il me semble que le contraire serait illogique. Permettre aux policiers l’accès à un stationnement public aux seules fins prévues par l’article 435 du C.s.r. soit lorsqu’un conducteur fait crisser ses pneus est incompatible avec l’esprit de la loi et les principes de droit applicables. Les policiers ont le pouvoir d’intercepter des véhicules à moteur sur la base de motifs précis tels que des infractions reliées à la sécurité routière, la vérification de la sobriété du conducteur, la validité de son permis ou l’état mécanique de son véhicule.[6]

[37]        Le policier s’est inquiété de la conduite de l’accusée qui se trouvait dans le stationnement d’un établissement licencié. Le lieu et la conduite méritaient une intervention pour des considérations de sécurité publique.

[38]        Il était nécessaire de vérifier la sobriété de la conductrice, ce qui lui permettait d’intervenir.

2)   Les vérifications du téléphone cellulaire, dans l’objectif de confirmer ou infirmer les dires de l’accusée, constituent-elles une fouille abusive?

[39]        Il est clair, selon les faits, que l’accusée est détenue au sens de la jurisprudence depuis le début de l’intervention policière.[7]

[28] Le principe général servant à déterminer s’il y a détention au sens où il faut l’entendre pour l’application de la Charte a été formulé dans Therens : une personne est détenue lorsqu’elle « se soumet ou acquiesce à la privation de liberté et croit raisonnablement qu’elle n’a pas le choix d’agir autrement.

[40]        Les policiers sont intervenus aussitôt qu’ils ont constaté une conduite douteuse et ils ont immédiatement questionné l’accusée. Cette dernière a remis son téléphone et l’enquête s’est poursuivie. Il est évident qu’elle n’aurait pas pu quitter les lieux.

[41]        Le résultat de cette fouille avait pour objectif de servir de motifs aux policiers et non pas à titre de preuve au fond. Le téléphone est saisi pour fins d’enquête. La situation se distingue factuellement de l’arrêt Fearon[8] qui s’intéressait à la fouille à la suite d’une arrestation.

[42]        L’honorable juge Cromwell au nom de la Cour Suprême a revu les arrêts relatifs aux pouvoirs des policiers à la suite d’une arrestation. Le juge reprend l’historique jurisprudentiel et détermine que les fouilles de cette nature seront conformes à l’art. 8 dans la mesure où elles rencontreront quatre exigences :

  1. L’arrestation est légale;
  2. La fouille est véritablement accessoire à l’arrestation puisque les policiers peuvent invoquer un objectif d’application de la loi valable et objectivement raisonnable pour procéder à la fouille. Dans ce contexte, les objectifs valables d’application de la loi sont les suivants :
  3. protéger les policiers, l’accusé ou le public;
  4. conserver les éléments de preuve;
  5. découvrir des éléments de preuve, notamment trouver d’autres suspects, lorsque l’enquête sera paralysée ou sérieusement entravée si l’on n’effectue pas rapidement une fouille accessoire à l’arrestation à l’égard du téléphone cellulaire.
  6. La nature et l’étendue de la fouille sont adaptées à l’objectif de la fouille;
  7. Les policiers prennent des notes détaillées de ce qu’ils ont examiné sur l’appareil et de la façon dont ils l’ont fait.

[43]        Qu’en est-il lorsque la saisie est accomplie dans le cadre d’une détention pour des fins d’enquête?

[44]        Le droit applicable est celui enseigné par l’arrêt Mann[9]. La Cour permet les fouilles par palpations pour des raisons de sécurité et précise qu’elles ne peuvent se faire de façon abusive. L’expectative de vie privée de la personne à l’égard de l’endroit ou de l’objet fouillé est au cœur de ce qui déterminera sa légalité.  La fouille ne peut  excéder ce qui est nécessaire pour atténuer les inquiétudes relatives à la sécurité du policier.

[45]        L’arrêt Fearon a modifié le cadre de la common law  puisque la fouille d’un téléphone cellulaire, est susceptible de constituer une atteinte à la vie privée beaucoup plus grave que la fouille normale accessoire à l’arrestation.

[46]        Il y a lieu de garder à l’esprit, que par sa nature, un téléphone portable est un bien face auquel il existe une importante expectative de vie privée.

[47]        Selon mon interprétation, la fouille d’un téléphone cellulaire à des fins d’enquête est abusive et contrevient à l’article 8 de la Charte. En l’espèce, les allégations de l’accusée au sujet des appels de son conjoint ne permettaient pas aux policiers de faire les vérifications sur son téléphone. Leur sécurité n’était pas en cause et au surplus, les téléphones portables contiennent un grand nombre d’informations personnelles envers lesquelles les citoyens s’attendent à être protégés.

3)   Les policiers avaient-ils les motifs raisonnables leur permettant légalement d’arrêter l’accusée?

[48]        L’exigence des motifs raisonnables prévue au paragraphe 254(3) C.cr. est une nécessité non seulement légale mais aussi constitutionnelle, qu’il faut respecter, en vertu des articles 8 et 9 de la Charte, à titre de condition préalable à une arrestation.

[49]        La question est de savoir si, à l’égard de l’ensemble des faits, indices et circonstances portés à sa connaissance, le policier Lapointe pouvait, tant subjectivement qu’objectivement, croire qu’il était « plus probable qu’improbable » que la capacité de l’accusée de conduire était affectée par l’alcool.

[50]        La période de 36 minutes qui a précédé l’arrestation de l’accusée est injustifiée. Les observations auraient permis objectivement d’arrêter l’accusée rapidement. La fouille du téléphone portable semble la seule raison du délai encouru. Se posent alors les questions suivantes : les policiers avaient-ils besoin de vérifier le téléphone pour obtenir subjectivement les motifs raisonnables afin de procéder à l’arrestation de madame? Sinon pourquoi ont-ils attendu?

[51]        Ces questions déterminantes sont demeurées sans réponse ce qui entache la fiabilité du témoignage de l’agent Lapointe. Dans les circonstances, il m’apparait périlleux de juger  ses motifs suffisants. Je considère que la poursuite n’a pas rencontré son devoir de prouver les motifs et du coup  l’accusée a démontré par prépondérance que son arrestation était arbitraire et donc contraire à l’article 9 de la Charte.

 

 

4)   Le droit à l’avocat a-t-il été brimé alors que l’accusée n’a pas eu accès à son téléphone portable.

[52]        L’accusée doit démontrer, par prépondérance, que son droit à l’assistance de l’avocat de son choix a été brimé et ainsi que les policiers ont  manqué leurs obligations.

[53]        La jurisprudence est partagée à l’égard de l’utilisation d’un appareil téléphonique dans le but d’appeler un avocat soit en attente d’un appareil de détection ou durant la période entre l’arrestation et l’arrivée au poste de police[10].

[54]        L’analyse porte ici sur l’exercice de ce droit une fois l’accusée mise en état d’arrestation. En l’espèce le point de départ n’est pas aussi clair que dans d’autres décisions. Tel que je l’ai mentionné dans l’analyse du troisième litige l’accusée a été détenue pendant 36 minutes avant d’être formellement arrêtée. J’ai déterminé que ce délai n’était pas justifié autrement que par la fouille illégale de son téléphone portable. Ainsi le comportement des policiers a retardé le volet information du droit à l’avocat. Je rappelle qu’une fois informée de son droit, madame a manifesté sa volonté de l’exercer.

[55]        Le droit au service d’un avocat et les obligations qui en découlent pour les agents de l’État sont enseignés dans l’arrêt Taylor[11].Taylor était alors détenu dans un centre hospitalier ce qui, dans les faits, diffère de la présente affaire. La Cour suprême du Canada a précisé le « corpus » du droit constitutionnel de recourir au service d’un avocat. Je reprends les passages suivants qui éclairent la voie à prendre :

[24]   L’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance « immédiatement » après l’arrestation ou la mise en détention (Suberu, par. 41‑42), et celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat. Le policier qui procède à l’arrestation a donc l’obligation constitutionnelle de faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé. Il incombe au ministère public de démontrer qu’un délai donné était raisonnable dans les circonstances (R. c. Luong (2000), 2000 ABCA 301 (CanLII), 271 A.R. 368, par. 12 (C.A.)). La question de savoir si le délai qui s’est écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une question de fait.

[25]   Il s’ensuit que, pour donner effet au droit à l’assistance d’un avocat, la police doit, sans délai dans les deux cas, informer les détenus des droits que leur garantit l’al. 10b) et faciliter l’exercice de ces droits sur demande en ce sens. Cela signifie notamment qu’« à la demande [du détenu], on doit lui permettre d’utiliser le téléphone à cette fin s’il en est un de disponible » (Manninen, p. 1242). Tout cela parce que le détenu est sous le contrôle des policiers et ne peut exercer son droit de recourir à l’assistance d’un avocat que si ceux‑ci lui donnent une possibilité raisonnable de le faire (…)

[28]   Toutefois, les policiers ont néanmoins l’obligation de donner à une telle personne accès à un téléphone dès que cela est possible en pratique, afin de réduire le risque d’auto‑incrimination accidentelle, ainsi que l’obligation de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve tant qu’ils ne lui ont pas facilité l’accès à un avocat. L’alinéa 10b) ne crée pas le « droit » d’utiliser un téléphone précis, mais garantit effectivement à l’intéressé l’accès à un téléphone pour qu’il puisse exercer son droit à l’assistance d’un avocat à la première occasion raisonnable.

[Nous soulignons]

[56]        L’évaluation est tributaire du contexte et des faits de chaque affaire. Selon la preuve retenue, l’accusée est détenue depuis son interpellation à 20 h 35 et elle a appelé son avocat à 21 h 49.

[57]        La fouille de son téléphone a retardé son droit d’être avisée de son droit. Une fois informée, elle a bien mentionné sa volonté de recourir au service de son avocat.

[58]        Les policiers avaient un devoir de faciliter l’exercice. Devait-il lui offrir d’utiliser son téléphone portable? Le juge Bélisle écrit sur cette question.

[49]   Le fardeau de démontrer par prépondérance qu’un droit garanti par la Charte a été enfreint repose sur les épaules de l’accusée. Le simple fait d’être en possession d’un téléphone cellulaire ainsi que l‘absence d’enquête à cet effet sont insuffisants pour établir une possibilité réaliste de s’entretenir avec un avocat (Cling, paragr. 24) durant la période de détention qui précède le départ pour le poste de police. De surcroît, rien ne démontre que le lieu de l’intervention policière était suffisamment sécuritaire pour permettre à l’accusée de consulter un avocat en toute confidentialité.[12]

[Nous soulignons]

 

[59]        En l’espèce, le téléphone a été saisi et fouillé et il était donc « disponible et pratiquement utilisable ». Les faits démontrent une possibilité réaliste de s’entretenir avec un avocat. La sécurité n’était pas ici en cause.  Madame s’est soumise à toutes les demandes et on lui a permis d’aller uriner.

[60]         Je détermine que le délai ayant permis à l’accusée de consulter son avocat ne respecte pas l’interprétation de l’impératif constitutionnel à l’effet qu’il doit être exercé sans délai. Les policiers ont manqué à leurs devoirs d’information et de facilitation.

5)   Les échantillons d’haleine ont-ils été obtenus selon l’exigence du terme « dès que matériellement possible »?

[61]        Le juge Jean Asselin, dans La Reine c. Gagnon [13], résume ainsi l’état du droit.

Le Tribunal entend appliquer les principes juridiques énoncés par la Cour d’appel de l’Ontario dans les arrêts Singh et Vanderbruggen, et d’un jugement de la juge Charbonneau de la Cour supérieure du Québec, siégeant en appel, dans l’affaire Cyr c. La Reine.

Ces principes se résument ainsi :

  •       L’interprétation des mots « dès qu’il a été matériellement possible de le faire » ne signifie pas que le prélèvement soit fait aussitôt que possible;
  •       Les policiers doivent agir de manière raisonnable;
  •       Le Tribunal doit examiner la chaine complète des événements en ayant à l’esprit la limite de deux heures après la commission de l’infraction pour la prise du premier échantillon d’haleine;
  •       Enfin, la poursuite n’a pas à expliquer le délai dans le menu détail.

[62]        Dire ici que la jurisprudence portant sur cette question est importante, est un euphémisme.

[63]        En l’espèce, l’attente sur place d’une dépanneuse aurait pu être évitée. Le véhicule de l’accusée était garé dans un espace qui ne nuisait pas à la sécurité publique. La proximité des lieux permettait de conduire madame au poste de police et que l’un des agents revienne rapidement au stationnement.  Le risque d’un méfait était minime et assumable.

[64]        Cette attente n’est pas l’unique raison qui a causé des délais. La détention pour fins d’enquête d’une durée de 36 minutes s’ajoute à la vingtaine de minutes mises à attendre la dépanneuse ce qui est déraisonnable dans les circonstances.

[65]        Cette exigence n’étant pas respectée, la poursuite ne peut bénéficier de la présomption prévue à 258 1) c) du Code criminel.