R. c. Robert, 2023 QCCA 379

*voir aussi Zakzuk Gaviria c. R., 2023 QCCA 317

[11] Les règles entourant le contre-interrogatoire d’un accusé au sujet d’une déclaration antérieure incompatible à la seule fin d’attaquer sa crédibilité, de même que le moyen de faire la preuve de cette déclaration lorsque l’accusé la nie suscitent des questionnements récurrents. En raison de la fréquence de leurs utilisations lors de la tenue de tout procès pénal ou criminel, ce dossier illustre la nécessité de clarifier celles-ci d’une manière complète et satisfaisante.

[56] Je précise à nouveau que la teneur des débats devant la juge du procès et la récurrence des questions concernant le contre-interrogatoire d’un témoin (ordinaire ou accusé) au sujet d’une déclaration antérieure incompatible et la preuve de celle-ci expliquent la nécessité d’une analyse complète[19].

Lorsque le témoin nie avoir fait cette déclaration, dit ne pas s’en souvenir, ou ne l’admet pas clairement, la partie qui le contre-interroge peut la prouver à l’aide d’une preuve extrinsèque dans le cadre du contre-interrogatoire ou d’une contre-preuve.

[49] Cet article est de nature procédurale, en ce qu’il permet à une partie de prouver qu’un témoin, notamment l’accusé, a fait une déclaration antérieure incompatible[15]. Lorsque le témoin nie avoir fait cette déclaration, dit ne pas s’en souvenir, ou ne l’admet pas clairement[16], la partie qui le contre-interroge peut la prouver à l’aide d’une preuve extrinsèque dans le cadre du contre-interrogatoire ou d’une contre-preuve[17].

[50] La production de cette déclaration antérieure ne fait pas preuve de la véracité de son contenu, mais les contradictions entre les différentes versions du témoin, à moins qu’elle ne soit acceptée par le témoin ou qu’elle ne relève d’une exception à la règle du ouï-dire, comme c’est le cas pour les aveux d’un accusé[18].

La déclaration antérieure incompatible d’un accusé peut être admissible à deux fins : 1) présentée à titre d’aveux de l’accusé ou 2) pour évaluer la crédibilité de l’accusé comme témoin.

Les auteurs de l’ouvrage The Law of Evidence conviennent que le principe interdisant à la poursuite de scinder sa preuve soulève une question plus délicate lorsque la poursuite recherche l’admissibilité de la déclaration incompatible en tant qu’aveu opposé à l’accusé lors de son contre-interrogatoire. Selon eux, normalement, la déclaration antérieure de l’accusé introduite lors du contre-interrogatoire de celui-ci ne vise que la crédibilité de celui-ci.

[71] La déclaration antérieure incompatible d’un accusé peut être admissible à deux fins : 1) présentée à titre d’aveux de l’accusé[28] ou 2) pour évaluer la crédibilité de l’accusé comme témoin.

[72] Dans l’arrêt J.B., le juge Watt formule la règle applicable à l’admissibilité d’une déclaration antérieure incompatible de l’accusé de la manière suivante :

[30] As is the case with an ordinary witness, an accused who testifies may be cross-examined on prior out-of-court statements alleged to be inconsistent with his or her in-court testimony about the same subject-matter. But where the out of-court statement on which the accused is cross-examined is one made to a person in authority, the Crown must ensure that any applicable admissibility rules have been satisfied, including the common law requirement of voluntariness: R. v. Fischer, 2005 BCCA 265, 197 C.C.C. (3d) 136, at para. 41, leave to appeal refused, [2005] S.C.C.A. No. 308; R. v. Groves, 2013 BCCA 446, 301 C.C.C. (3d) 430, at paras. 33, 42.

[31] On the other hand, unlike an ordinary witness, whose prior inconsistent statement only becomes substantive evidence if the witness adopts it as true by words, action, conduct or demeanour while testifying, an accused witness’ prior inconsistent statement may be used as substantive evidence by the trier of fact for two purposes. First, as with an ordinary witness, the prior inconsistent statement is relevant to the credibility of the accused as a witness. Second, and unlike an ordinary witness, the prior inconsistent statement of an accused who testifies is admissible as substantive evidence as an admission even without adoption:Groves, at paras. 42-44; R. v. Mannion, 1986 CanLII 31 (CSC), [1986] 2 S.C.R. 272, at pp. 277-78[29].

[Les soulignements sont ajoutés]

[73] L’analyse de la jurisprudence par les auteurs de l’ouvrage McWilliams’ Canadian Criminal Evidence confirme cette approche :

There is a substantial amount of authority to the effect that a prior inconsistent statement used to cross-examine an accused is admissible not only to assess credibility but also for the truth of its contents. This position makes sense given that a party’s statements are admissible for their truth under the admissions exception to the hearsay rule. On the other hand, several cases suggest, often without considered discussion, and sometimes only implicitly, that a prior inconsistent statement used for the first time at trial to cross-examine the accused is only admissible for the purpose of assessing credibility. In support of this view, it can be said that the Crown did not lead the statement as part of its case, at which point it would have been admissible for its truth, and so should not be permitted to use the statement for a substantive purpose during the defence case or in reply. Yet any unfairness to the accused in this regard will be prevented by the rule against improper splitting. Provided that this rule is not breached, there is arguably no good reason to limit use of the accused’s prior statement to the issue of credibility[30].

[Les soulignements sont ajoutés]

[74] Dans l’arrêt P.G., le juge Rosenberg opine dans le même sens quant à l’admissibilité de la déclaration antérieure incompatible de l’accusé en tant qu’aveu :

The consideration that does not have any application where the witness is the accused is that the trier or fact will improperly make substantive use of a prior inconsistent statement. Being an admission by a party, the accused’s prior inconsistent statement is available for substantive use: see R. v. Mannion, 1986 CanLII 31 (CSC), [1986] 2 S.C.R. 272 at pp. 277-78, 28 C.C.C. (3d) 544 at p. 549. There is, nevertheless, the danger that the trier of fact will give the statement undue weight when it is first disclosed in the testimony of a reply witness. This is a concern with any reply evidence, but a prior inconsistent statement is a particularly potent form of impeachment. The prosecution’s interest in having the trier of fact make substantive use of the statement will often be of secondary importance[31].

[Le soulignement est ajouté]

[75] Bien qu’une déclaration antérieure incompatible d’un accusé soit admissible pour établir la véracité de son contenu, la poursuite souhaitait faire la preuve de la déclaration incompatible de l’intimé uniquement afin qu’elle soit considérée par la juge du procès dans l’évaluation de sa crédibilité.

[76] Cette concession est importante.

[77] Les auteurs de l’ouvrage The Law of Evidence conviennent que le principe interdisant à la poursuite de scinder sa preuve soulève une question plus délicate lorsque la poursuite recherche l’admissibilité de la déclaration incompatible en tant qu’aveu opposé à l’accusé lors de son contre-interrogatoire. Selon eux, normalement, la déclaration antérieure de l’accusé introduite lors du contre-interrogatoire de celui-ci ne vise que la crédibilité de celui-ci :

Given that the Crown cannot split its case, it should not be tendering inculpatory prior statements for the first time during cross-examination. Therefore, statements produced at this stage by the Crown usually go only to the accused’s credibility (should the accused’s testimony be inconsistent with the prior statements)[32].

[Le soulignement est ajouté]

[78] Vu la fin limitée poursuivie par la poursuite en contre-interrogeant l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible et sa volonté de faire la preuve de celle-ci, je n’ai pas à décider si la poursuite aurait eu l’obligation de présenter cette déclaration en preuve principale pour valoir comme preuve au fond.

Le poursuivant peut anticiper ou prévoir tel ou tel moyen de défense, mais cela ne saurait le contraindre à le réfuter.

[120]   Dans cette affaire, le juge Proulx s’appuie sur l’arrêt Chaulk[62]pour exprimer l’opinion qui suit : « le poursuivant peut anticiper ou prévoir tel ou tel moyen de défense, mais cela ne saurait le contraindre à [le] réfuter »[63].

[121]   Il poursuit son analyse et confirme l’admissibilité d’une contre-preuve qui aurait pu être présentée en preuve principale, mais qui acquiert une pertinence plus évidente dans le cadre du procès :

Comme l’avait fait remarquer avec beaucoup d’à-propos le Juge Arthur Martin dans l’arrêt R. c. Campbell (1977), 1977 CanLII 1191 (ON CA), 38 C.C.C. (2d) 6 (C.A. Ont.), il peut souvent s’avérer difficile, en pratique, de distinguer les faits qui peuvent faire l’objet d’une contre-preuve de ceux qui doivent être prouvés en preuve principale.  Dans ce même arrêt, le Juge Martin fait état d’une preuve qui, même si à la limite pouvait être introduite en preuve principale, présentait une pertinence plus évidente (« acquired greater relevance ») dans le cadre de la contre-preuve[64].

[122]   Dans l’arrêt P.G., le juge Rosenberg abonde dans le même sens :

Despite the broad language from Krause it has always been understood that the trial judge has a discretion to admit evidence in reply concerning an issue that was of only marginal importance during the prosecution’s case in chief, but that took on added significance as a result of the defence evidence[65].

[Le soulignement est ajouté]

[123]   À mon avis, la déclaration à Mme B… acquérait une importance significative et accrue au sens de l’arrêt Cormier à la suite de la négation de l’intimé[66]. Cette position est conforme à la jurisprudence canadienne selon les auteurs de l’ouvrage McWilliams’ Canadian Criminal Evidence :

Accordingly, the law is now clear: evidence marginally relevant, and thus strictly speaking admissible as part of the Crown case in chief, may nonetheless be admissible in reply where it takes on real significance only because of a position advanced during the defence case. Another way of saying the same thing, adopted in several Canadian cases, is that the matter to which the proposed reply evidence relates only became a “live issue” once the defence put in its case[67].

[124]   Le droit applicable n’était pas incertain ou flou. Le droit de la poursuite de contre-interroger l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible était clairement établi dans la jurisprudence.

[125]   Cela dit, inspiré par l’arrêt Underwood[68], le procureur de l’intimé aurait pu dissiper toute incertitude et demander à la juge d’instance de trancher cette question avant qu’il ne choisisse de témoigner pour sa défense.

[126]   Je souligne tout de même n’avoir trouvé aucune décision qui stipule que la poursuite ne peut contre-interroger un accusé pour tester sa crédibilité au sujet d’une déclaration antérieure incompatible, parce qu’elle aurait pu produire cette preuve en preuve principale.

[127]   J’ajoute finalement que l’arrêt Krause, sur lequel s’appuie l’intimé, n’empêchait pas la poursuite d’invoquer l’article 11 de la Lpc, car dans cet arrêt et contrairement à la situation dans la présente affaire, le contre-interrogatoire de la poursuite visait des faits incidents ou collatéraux. Voici les observations de la Cour dans l’arrêt Mandeville à ce sujet :

Ainsi, dans l’arrêt R. v. Krause, […][69] la Cour suprême a fait référence à la demande du ministère public au procès de présenter une contre-preuve fondée sur l’art. 11 afin de réfuter des déclarations de l’appelant qui avait témoigné dans sa cause. À cette occasion, la Cour n’a pas émis l’avis que cette façon de procéder était irrecevable; le débat portait uniquement sur la question de savoir si en l’espèce la contre-preuve visait des faits pertinents ou collatéraux. D’ailleurs, en Cour d’appel, les trois juges avaient conclu qu’en principe, rien n’empêchait le poursuivant de faire la preuve des déclarations antérieures au moment de la contre-preuve[70].

[Les soulignements sont ajoutés]

[128]   Dans l’arrêt Aalders, le juge Cory adopte la même interprétation de la portée de l’arrêt Krause :

Le juge McIntyre, s’exprimant au nom de notre Cour à l’unanimité, a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en déclarant admissible et en autorisant le contre‑interrogatoire au sujet de la déclaration faite à la police puisque l’accusé n’avait fait aucune déclaration incompatible dans le cours de son témoignage.  Notre Cour a statué que l’élément de preuve à l’égard duquel la présentation de la contre‑preuve a été autorisée traitait de la déclaration de l’accusé selon laquelle les policiers l’avaient harcelé avant son arrestation.  Notre Cour a statué que cela était une question incidente qui n’était ni pertinente ni importante en ce qui a trait à la question de savoir si l’accusé avait tué la victime.  Le témoignage de l’accusé portait atteinte seulement à l’intégrité de la police mais il ne touchait pas à la question de sa culpabilité ou de son innocence.  Les faits étaient fort différents de ceux de l’espèce.  En l’espèce, la contre‑preuve touchait à une question essentielle à la détermination du litige.

[Les soulignements sont ajoutés]

[129]   Contrairement à l’affaire Krause, il existe dans la présente affaire une déclaration antérieure incompatible de l’intimé dont la poursuite pouvait faire la preuve, car celle-ci concerne non pas un fait incident, mais plutôt une question concernant le cœur de l’accusation[71].

[130]   En résumé, la poursuite pouvait contre-interroger l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible et en faire la preuve durant son contre-interrogatoire ou lors d’une contre-preuve. Il n’y avait rien d’inusité ou d’inéquitable dans la démarche de la poursuite.