R. c. Basque, 2023 CSC 18

La jurisprudence veut que l’on doive présumer qu’un législateur n’a pas l’intention de modifier les règles de common law existantes à moins d’une disposition claire à cet effet.

[40] Cette question amène la Cour à se pencher sur les interactions parfois complexes qui caractérisent la relation entre la common law et la législation. Bien que la législation puisse être prépondérante sur la common law, cette dernière demeure applicable dans la mesure où elle n’est pas écartée explicitement ou par implication nécessaire, principe souvent justifié par l’importance de la « stabilité du droit » (R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 21, le juge Cromwell). Au nom d’une Cour unanime dans l’arrêt Lizotte, le juge Gascon rappelle le principe général relatif à la mise à l’écart par voie législative de règles de common law : « La jurisprudence veut que l’on doive présumer qu’un législateur n’a pas l’intention de modifier les règles de common law existantes à moins d’une disposition claire à cet effet . . . » (par. 56). La professeure Ruth Sullivan a écrit que cette présomption [traduction] « permet aux tribunaux d’insister sur la présence de directives précises et explicites du législateur avant d’accepter tout changement. De cette façon, la common law est protégée contre les empiétements découlant d’imprécisions ou d’inadvertances législatives » (The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 17.01.Pt1[2]; voir aussi P.‑A. Côté et M. Devinat, Interprétation des lois(5e éd. 2021), nos 180‑192).

[41] Le droit criminel canadien se compose à la fois du droit établi par le législateur et de principes de common law (M. Vauclair et T. Desjardins, avec la collaboration de P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2022 (29e éd. 2022), nos 1.17‑1.24, citant notamment D.L.W., par. 3, 15 et 57‑59). L’adoption au pays d’un code criminel en 1892 n’a pas eu pour effet d’écarter systématiquement la common law en tant que source du droit (D. H. Brown, The Genesis of the Canadian Criminal Code of 1892 (1989), p. 126; G. H. Crouse, « A Critique of Canadian Criminal Legislation : Part One » (1934), 12 R. du B. can. 545, p. 565 : [traduction] « Un principe fondamental de la codification canadienne est que la common law n’est pas écartée. »). Aujourd’hui, le Code criminel dispose qu’en règle générale, la common law n’est plus une source d’infractions au Canada (al. 9a)). Il prévoit par contre que les moyens de défense prévus par la common law demeurent en vigueur, sauf dans la mesure où ils sont modifiés par la loi (par. 8(3); R. c. Tim, 2022 CSC 12, par. 27; voir aussi J. Fortin et L. Viau, Traité de droit pénal général (1982), p. 18). Comme l’enseignent les auteurs Vauclair et Desjardins, on peut se référer à la common law pour interpréter le texte d’incrimination qui codifie une infraction de common law (no 3.20, citant R. c. Jobidon, 1991 CanLII 77 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 714).

[42] Cette coexistence de la législation et de la common law anime le droit relatif à la détermination de la peine (voir Commission canadienne sur la détermination de la peine, Structure de la détermination de la peine au Canada : perspectives historiques (1988), p. 42). Alors que la partie XXIII du Code criminel codifie « les principes fondamentaux de la détermination de la peine » (R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 1), les tribunaux peuvent aussi tenir compte [traduction] « d’autres principes et facteurs découlant de la common law » (D. Rose, Quigley’s Criminal Procedure in Canada (feuilles mobiles), § 23:6). La législation a également prépondérance sur la common law en cette matière dans la mesure où le législateur l’écarte explicitement ou par implication nécessaire (voir, p. ex., R. c. Skolnick, 1982 CanLII 54 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 47, p. 58).

[43] Dans l’arrêt Lacasse, la Cour a réitéré que les tribunaux doivent tenir compte de la période présentencielle de l’interdiction de conduire dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire d’accorder un crédit (par. 111‑114, le juge Wagner; voir aussi par. 176‑178, le juge Gascon, dissident, mais pas sur ce point). Il est vrai que l’arrêt Lacasse ne concernait pas une peine minimale obligatoire et que, conformément à l’al. 259(2)a.1) C. cr., la sentence avait commencé au terme de l’incarcération du contrevenant. Toutefois, cet arrêt peut nous guider en l’espèce, avec les adaptations nécessaires.

[44] L’octroi d’un tel crédit est ancré dans la common law; il s’agit d’une manifestation, dans le contexte de l’interdiction de conduire, de ce que la juge Arbour a qualifié de « pratique bien établie qu’appliquaient les juges déterminant la peine et qui consistait à prendre en compte la période passée sous garde par le délinquant » (Wust, par. 31). Pour reprendre la description du juge Paciocco, maintenant juge de la Cour d’appel, cette règle fait partie des [traduction] « principes centraux de la détermination de la peine non exprimés législativement mais toujours bien vivants au titre de “principes généraux de la détermination de la peine” » (R. c. Pham, 2013 ONCJ 635, 296 C.R.R. (2d) 178, par. 18). Comme l’a souligné subséquemment le juge Wagner dans l’arrêt Lacasse, ce principe n’a pas fait l’objet d’une codification. Alors que le principe permettant l’octroi d’un crédit a été codifié au par. 719(3) C. cr. en matière de détention présentencielle, cette disposition n’a aucun équivalent législatif en matière de prohibition présentencielle de conduire. L’intimé soutient ici que le principe auquel la Cour fait référence dans l’arrêt Lacasse a été écarté par l’adoption par le Parlement de la peine minimale obligatoire, une considération étrangère aux faits de cette dernière affaire.

[46] Il est bien établi que la common law permet aux tribunaux d’accorder un crédit pour une interdiction présentencielle de conduire subie par un contrevenant (voir, p. ex., R. c. Goulding (1987), 1987 CanLII 6784 (NS CA), 81 N.S.R. (2d) 158 (C.S. (Div. app.)); R. c. Pellicore, [1997] O.J. No. 226 (QL), 1997 CarswellOnt 246 (WL) (C.A.); R. c. Williams, 2009 NBCP 16, 346 R.N.‑B. (2e) 164; Bilodeau c. R., 2013 QCCA 980; Lacasse). Ce pouvoir discrétionnaire fondé sur la common law est l’extension naturelle d’un principe analogue en matière de détention présentencielle. Les tribunaux ont reconnu de longue date qu’il est possible de [traduction] « tenir compte, dans l’infliction de la peine, de toute période d’incarcération que l’accusé a déjà purgée entre la date de son arrestation et celle du prononcé de sa sentence » (R. c. Sloan(1947), 1947 CanLII 364 (ON CA), 87 C.C.C. 198 (C.A. Ont.), p. 198‑199, citant R. c. Patterson (1946), 1946 CanLII 383 (ON CA), 87 C.C.C. 86 (C.A. Ont.)).

[47] Le principe autorisant l’octroi d’un crédit en matière de détention présentencielle permet de pallier certaines injustices découlant de l’application du principe interdisant d’antidater une sentence, aujourd’hui codifié au par. 719(1). En effet, bien que le droit canadien ne permette pas aux tribunaux d’antidater une sentence afin de la réduire, ceux-ci peuvent néanmoins considérer le temps passé en détention présentencielle dans le calcul de la période devant être purgée par le contrevenant de façon prospective (Sloan, p. 198‑199; voir aussi Patterson; R. c. Wells (1969), 1969 CanLII 1129 (BC CA), 4 C.C.C. 25 (C.A. C.-B.), p. 36‑37, le juge Bull, dissident; A. Manson, « Pre-Sentence Custody and the Determination of a Sentence (Or How to Make a Mole Hill out of a Mountain) » (2004), 49 C.L.Q. 292). L’application de cette règle de common law permettant l’octroi d’un crédit n’équivaut donc pas à antidater la sentence.

La notion de punition diffère fondamentalement de celle de sentence, en ce que la première reflète la punition globale infligée au contrevenant, alors que la seconde n’a trait qu’à la partie de cette punition que celui‑ci doit purger après le prononcé du jugement.

Autrement dit, alors que la sentence commence le jour où elle est prononcée par le tribunal, la punition englobe « [t]oute sanction infligée par une autorité judiciaire dans l’application d’une loi pénale ».

[56] On peut donc dire que la notion de punition diffère fondamentalement de celle de sentence, en ce que la première reflète la punition globale infligée au contrevenant, alors que la seconde n’a trait qu’à la partie de cette punition que celui‑ci doit purger après le prononcé du jugement. Rien dans la jurisprudence ne s’oppose à l’application de cette distinction en l’espèce. Je prends note du fait que, dans l’arrêt R. c. Mathieu, 2008 CSC 21, [2008] 1 R.C.S. 723, une affaire portant sur l’admissibilité à la libération conditionnelle suivant une période présentencielle de détention provisoire, la Cour a conclu que la « peine » à considérer à cette fin se limite à la période qui suit le prononcé de la sentence, tout en reconnaissant qu’elle a traité la question différemment dans l’arrêt Wust (par. 7). Par ailleurs, aux fins de l’emprisonnement avec sursis, la « peine » à considérer s’entend plutôt de la punition globale subie par le contrevenant, incluant la période présentencielle (R. c. Fice, 2005 CSC 32, [2005] 1 R.C.S. 742). De même, lorsque les tribunaux ont été appelés à trancher l’effet d’une période de détention présentencielle en présence d’une peine maximale prévue par la loi, certaines cours d’appel provinciales ont considéré, à l’instar de notre Cour dans les arrêts Wust et Fice, que la notion de « peine » désigne la punition globale et non la sentence (R. c. Walker, 2017 ONCA 39, 345 C.C.C. (3d) 497, par. 20‑26; R. c. Severight, 2014 ABCA 25, 566 A.R. 344, par. 32; R. c. LeBlanc, 2005 NBCA 6, 279 R.N.‑B. (2e) 121, par. 63).