R. c. X, 2022 QCCA 266

MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée le 7  janvier 2021 par la Cour du Québec (l’honorable Richard Côté), district de Rimouski, en vertu de l’article 486.4 C.cr. afin d’interdire la publication ou diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de certaines victimes ou d’un témoin.

En l’espèce, l’infraction remonte à 40 ans, à une époque où les gestes étaient qualifiés d’attentats à la pudeur plutôt que d’agression sexuelle et étaient passibles d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. Malgré cela, suivant le droit prétorien, le juge devait tenir compte de la compréhension actuelle de la nocivité des gestes commis sans réserve découlant du fait qu’ils auraient vraisemblablement été traités différemment si la peine avait été rendue à l’époque où ils ont été commis. La peine devait donc refléter cette compréhension contemporaine.

[16]      Or, la Cour suprême ne se limite pas à reconnaître ce changement de paradigme et le fait qu’il soit reflété tant dans les modifications successives apportées à la description même des infractions du Code criminel que dans les peines maximales qui s’y appliquent. Elle invite les tribunaux chargés de déterminer les peines qui s’y rapportent à les faire correspondre « aux initiatives législatives du Parlement et à la compréhension actuelle du tort immense que causent ces infractions aux enfants »[6]. Plus encore, la Cour suprême donne aux tribunaux des directives qui les invitent (1) à se conscientiser sur le fait qu’il se peut que les précédents et les fourchettes de peines antérieures ne reflètent pas adéquatement cette compréhension moderne des conséquences de tels crimes, (2) que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants devraient généralement être punies plus sévèrement que les infractions d’ordre sexuel contre des adultes, et (3) que les contacts sexuels avec un enfant ne devraient pas être considérés comme étant moins graves que l’agression sexuelle d’un enfant.

[17]      De ceci, je retiens que le juge chargé de déterminer la peine qui doit être infligée à l’égard d’une telle infraction doit considérer pleinement la compréhension actuelle de la violence sexuelle contre des enfants, incluant les effets potentiels et réels sur la victime, sans devoir « relativiser » ou autrement réduire la peine infligée pour le seul motif que la même infraction pouvait être rédigée d’une façon différente au moment où elle a été commise, ou parce que la peine maximale alors prévue dans le Code criminel pouvait être moindre que celle indiquée au moment de sa détermination par le juge. Toute atténuation de la peine qui reposerait sur le fait que l’infraction, à l’époque où le geste a été commis, pouvait ne pas être considérée tant par la société que par le législateur comme ayant le niveau de gravité qu’on lui reconnaît aujourd’hui, doit être traitée comme une minimisation de sa nocivité réelle, telle qu’elle est aujourd’hui comprise, et la peine ainsi imposée est alors sujette à réformation par la Cour puisque contraire aux enseignements de la Cour suprême :

[74] (…) Plus précisément, le fait de prendre en considération la nocivité de ces infractions permet de veiller à ce que la peine reflète pleinement les [] « conséquences dévastatrices » qui peuvent découler et qui découlent souvent de la violence sexuelle. Les tribunaux doivent également soupeser ces préjudices d’une manière qui traduit la compréhension de plus en plus approfondie et évolutive de la société à l’égard de leur gravité.[7]

[18]      En l’espèce, l’infraction remonte à 40 ans, à une époque où les gestes étaient qualifiés d’attentats à la pudeur plutôt que d’agression sexuelle et étaient passibles d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. Malgré cela, suivant le droit prétorien, le juge devait tenir compte de la compréhension actuelle de la nocivité des gestes commis sans réserve découlant du fait qu’ils auraient vraisemblablement été traités différemment si la peine avait été rendue à l’époque où ils ont été commis. La peine devait donc refléter cette compréhension contemporaine.

Le principe consacré à l’alinéa 11i) de la Charte ne s’applique qu’à l’égard de la peine à strictement parler : lorsque la peine maximale qui était prévue au moment où l’infraction a été commise est haussée et, à l’inverse, lorsque la peine maximale qui était prévue au moment où l’infraction a été commise est réduite alors que la peine est imposée, le délinquant a droit à la peine maximale la moins sévère des deux. Un délinquant n’a toutefois pas droit à l’application des principes et objectifs de détermination de la peine qui prévalaient au moment de la commission de l’infraction pour laquelle il a été déclaré coupable.

Les principes et objectifs de détermination de la peine que le juge devra appliquer seront toujours ceux en vigueur au moment de la détermination de la peine, mais leur application ne pourra mener à une peine plus sévère que la peine maximale prévue lors de la commission de l’infraction ou du moment où elle est infligée

[19]      L’intimé soutient que le juge n’a pas erré, non seulement parce qu’il a considéré tous les critères de détermination de la peine pertinents, mais aussi parce que la peine qu’il lui a infligée est conforme à l’alinéa 11i) de la Charte canadienne qui établit le principe selon lequel l’accusé a droit à la sentence la plus clémente lorsque la peine de l’infraction pour laquelle il est déclaré coupable a été modifiée entre le moment de la perpétration et de l’imposition de la sentence. Ainsi, le juge pouvait relativiser la peine en tenant compte du plafond qui, au moment où l’infraction a été commise, était du tiers de ce qu’il est aujourd’hui.

[20]        Cet alinéa 11i) prévoit :

11. Tout inculpé a le droit :

 

 

11. Any person charged with an offence has the right

 

i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence. (i) if found guilty of the offence and if the punishment for the offence has been varied between the time of commission and the time of sentencing, to the benefit of the lesser punishment.

[21]        Avec respect pour l’opinion contraire, il m’apparaît que cet argument ne vaut pas puisqu’il confond les principes et objectifs de détermination de la peine avec la peine elle-même[8]. Le principe consacré à l’alinéa 11i) de la Charte ne s’applique qu’à l’égard de la peine à strictement parler : lorsque la peine maximale qui était prévue au moment où l’infraction a été commise est haussée et, à l’inverse, lorsque la peine maximale qui était prévue au moment où l’infraction a été commise est réduite alors que la peine est imposée, le délinquant a droit à la peine maximale la moins sévère des deux. Un délinquant n’a toutefois pas droit à l’application des principes et objectifs de détermination de la peine qui prévalaient au moment de la commission de l’infraction pour laquelle il a été déclaré coupable. Telle est l’approche adoptée par notre Cour dans L.L. c. R.[9], par la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador[10] et par la Cour d’appel du Manitoba[11].

[22]      Ainsi, les principes et objectifs de détermination de la peine que le juge devra appliquer seront toujours ceux en vigueur au moment de la détermination de la peine, mais leur application ne pourra mener à une peine plus sévère que la peine maximale prévue lors de la commission de l’infraction ou du moment où elle est infligée[12]. L’alinéa 11i) de la Charte ne garantit pas au délinquant le droit de se voir infliger la même peine que celle qui lui aurait été imposée si l’audience de détermination de la peine avait eu lieu à l’époque de la perpétration de l’infraction. L’alinéa 11i) lui confère uniquement le droit de ne pas se voir imposer une peine plus sévère que la peine maximale applicable lors de la commission de l’infraction.