L’article 605(1) C.cr. permet au juge d’« ordonner la communication de toute pièce aux fins d’épreuve ou d’examen scientifique ou autre, sous réserve des conditions estimées utiles pour assurer la protection de la pièce et sa conservation afin qu’elle serve au procès ». [1]
[44] L’article 605(1) C.cr. permet au juge d’« ordonner la communication de toute pièce aux fins d’épreuve ou d’examen scientifique ou autre, sous réserve des conditions estimées utiles pour assurer la protection de la pièce et sa conservation afin qu’elle serve au procès »[1]. Afin de procéder à une expertise sur des biens infractionnels, un accusé doit démontrer que sa demande a une certaine « vraisemblance / air of reality » et qu’elle a une base plus tangible que de simples spéculations : R. v. Eagles (1989), 1989 CanLII 205, (NS CA), 47 CCC (3d), 129, p. 136; R. v. R., 2019 ONSC 5533, paragr. 30.
[45] En somme, l’appelant ne me convainc pas que son droit constitutionnel à une défense pleine et entière a été enfreint ni que ses arguments satisfont les exigences de l’article 605 C.cr. puisqu’ils ne démontrent pas que les exigences de la poursuite, entérinées par le juge, ne constituent pas des conditions utiles ou raisonnables, comme le prévoit l’article. L’intimé a raison lorsqu’il écrit : « en s’obstinant à ne pas prendre minimalement connaissance de la preuve disponible, il a lui-même restreint ses propres moyens de défense […] ». Au minimum, il fallait tenter l’expérience, consulter la preuve dans les locaux de la Sûreté du Québec autant de fois que nécessaire, s’assurer que ce soit fait dans un cadre où la confidentialité entre l’avocat et son client est protégée et ensuite, s’il y a lieu, présenter des demandes fondées sur des faits et non sur de simples hypothèses. En exigeant, sans nuances et sans conditions, de recevoir une copie miroir de la preuve, l’appelant se limitait à invoquer son droit à une défense pleine et entière sans arguments concrets et en ne prenant aucunement en compte les autres intérêts en cause, notamment ceux des jeunes victimes et du système de justice.
Certaines précisions pourraient être utiles aux parties et aux juges qui révisent les conditions d’accès à des éléments de preuve de pornographie juvénile et les modalités de leur communication à la défense.
[49] Quoique le présent dossier soit un bon exemple de conditions raisonnables, certaines précisions pourraient être utiles aux parties et aux juges qui révisent les conditions d’accès à des éléments de preuve de pornographie juvénile et les modalités de leur communication à la défense.
[50] J’estime que les tribunaux doivent tenir compte des facteurs suivants :
1) Le préjudice susceptible d’être causé aux victimes. Que celles-ci soient connues ou inconnues n’a aucune importance. Il faut avoir à l’esprit l’atteinte à leur dignité en cas de dissémination et, parfois même, en cas de simple accès aux images.
2) Le danger réel de dissémination accidentelle. Si la technologie peut faire des merveilles, elle peut aussi causer des torts importants, même par inadvertance. Malgré qu’un officier de justice s’engage à garder le tout confidentiel, il reste que des manipulations informatiques accidentelles peuvent se produire. Il existe un risque inhérent que du matériel de cette nature se retrouve entre les mains de tiers : R. v. Blencowe,1997 CanLII 12287 (ON SC).
3) Il faut donc circonscrire avec précision les modalités d’accès et en peser les conséquences, tout en s’assurant que la défense a un accès suffisant à la preuve pour préserver son droit de se défendre. Il faut, par exemple, se poser les questions suivantes : qui aura accès à la preuve? À quel endroit? Des copies peuvent-elles être faites? Des engagements doivent-ils être souscrits? Comment les transporter, comment les transférer, le cas échéant? Comment décrire et délimiter les devoirs et responsabilités de chacun?
[51] En plus de ces facteurs, il convient de limiter autant que possible le nombre de personnes pouvant avoir accès à la preuve. S’il va de soi que l’accusé et son avocat ou son avocate ont ce droit, encore faut-il en déterminer les modalités. La collaboration et la coopération de l’accusé s’imposent à ce sujet et la seule exigence d’un engagement signé par lui à respecter les modalités ne suffira pas toujours. Quant aux autres personnes, l’accusé a le fardeau de démontrer la nécessité de leur intervention (par exemple, seul un expert est en mesure de répondre aux préoccupations de la défense), et la manière d’y parvenir. Dans le cas d’un expert, seul un expert qualifié devrait pouvoir accéder à la preuve pour éviter qu’un tiers sans compétence, non en mesure de répondre adéquatement aux préoccupations de la défense, accède à des éléments de preuve dont l’accès, je le répète, constitue une infraction en dehors du contexte judiciaire.
[52] Un expert doit, au minimum, souscrire un engagement de respecter les conditions qui doivent, de leur côté, veiller à protéger l’intérêt des victimes, celui de l’accusé et, plus généralement, les fins de la justice. On peut certes envisager, par exemple, la nécessité d’utiliser un mot de passe robuste, de ne faire aucune copie supplémentaire et l’obligation de procéder à l’analyse sur un appareil non branché à Internet. Comme le souligne l’intervenant, le jugement R. v. Pohl, 2021 MBQB 74, paragr. 25, constitue un bon exemple de telles conditions.
[53] Je ne prétends évidemment pas que toutes les modalités prévues dans le jugement Pohl devraient être imposées dans tous les cas, chaque affaire devant répondre à ses propres exigences, mais je donne cet exemple pour démontrer comment il peut être nécessaire d’encadrer l’analyse d’un expert, si tant est qu’il doive être autorisé à accéder à la preuve et à en prendre possession. J’en profite également pour indiquer que, dans tous les cas, une entente entre les parties devrait être entérinée et imposée par un tribunal afin d’en assurer davantage le respect.
[54] Le lieu à privilégier pour consulter la preuve devrait, bien entendu, être les locaux de la police, tout en assurant la confidentialité des rapports entre l’expert et l’accusé ou son avocat. Le transport des pièces à l’extérieur de ces locaux ne devrait être autorisé que si l’accusé en démontre la nécessité. Quant aux copies, elles sont à proscrire, sauf si l’examen des facteurs pertinents justifie d’en faire, par exemple, s’il est établi que l’expert ne peut réaliser son expertise autrement. Dans ce cas, les copies devraient être cryptées, entreposées en toute sécurité, en s’assurant qu’aucune autre personne que celles autorisées n’y ait accès, et retournées aux policiers dans le délai prévu dans les modalités.
[1] Je note que les paragraphes 490(15) et (16) C.cr. sont sensiblement au même effet : il faut protéger l’intégrité de la preuve et tenir compte de son utilisation ultérieure.