R. c. Zacharias, 2023 CSC 30

La Cour a bien précisé que de telles nouvelles questions ne devraient être entendues qu’en présence de « circonstances exceptionnelles ».

[23] La Cour a bien précisé que de telles nouvelles questions ne devraient être entendues qu’en présence de « circonstances exceptionnelles » (R. c. J.F., 2022 CSC 17, par. 40, citant Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3). Néanmoins, nous concluons que la question de savoir si la conduite policière en l’espèce a violé les art. 8 ou 9 de la Charte devrait être examinée par la Cour. La question de droit ayant donné lieu à une opinion divergente en Cour d’appel fait en sorte que la Cour doit se pencher sur le raisonnement de la juge dissidente.

[25] Les arguments de l’appelant reposent sur des faits non contestés liés à son arrestation; ils peuvent donc à juste titre être pris en compte en appel. Étant donné qu’aucune autre preuve n’a été présentée à l’égard de ces événements, toutefois, la Cour ne tiendra compte que du simple fait que cette conduite policière en question a eu lieu. Autrement dit, bien qu’il convienne que la Cour tienne compte du fait de l’arrestation de l’appelant après la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur, il n’y a eu aucune observation ni preuve visant à établir que certaines circonstances de l’arrestation étaient inappropriées. De cette façon, aucun préjudice n’est causé à la Couronne. Étant donné l’absence de préjudice et l’importance que la question soit résolue par la Cour, et à la lumière des motifs dissidents de la Cour d’appel, nous sommes d’avis d’examiner cette nouvelle question en vertu de notre pouvoir discrétionnaire (voir Guindon, par. 20; voir aussi J.F., par. 40‑41).

[26] Le présent pourvoi soulève la question de savoir si la police a violé les droits que la Charte garantit à l’appelant en l’arrêtant sur le fondement des résultats d’une fouille illégale. Les juridictions inférieures partout au pays ont tiré des conclusions divergentes sur la question de savoir si de telles arrestations sont légales. Comme nous l’expliquerons, suivant une approche fondée sur des principes à l’égard de la Charte, la police ne peut pas s’appuyer sur des éléments de preuve obtenus illégalement afin d’effectuer une arrestation sans mandat. Lorsque les motifs d’arrestation sont fondés sur des éléments de preuve qui sont ultérieurement jugés avoir été obtenus illégalement, le tribunal doit retrancher ces éléments de preuve du fondement factuel afin de déterminer si la police avait des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation.

[31] La Cour, dans l’arrêt R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223, a expliqué le raisonnement qui sous‑tend cette règle dans le contexte de l’obtention d’un mandat de perquisition : en écartant la justification sur laquelle repose la conduite de l’État qui est elle‑même inconstitutionnelle, « [l’État] ne peut profiter des actes illégaux des policiers »(p. 251). Dans la même veine, une fouille accessoire à une arrestation est invalide si l’arrestation n’était pas légale étant donné que « la légalité de la fouille dépend de la légalité de l’arrestation, [et] s’il s’avère ultérieurement que l’arrestation était invalide, la fouille le sera aussi » (Caslake, par. 13).

[33] Premièrement, le respect de la Charte et la protection rigoureuse des libertés civiles exigent que l’État ne soit pas autorisé à minimiser l’incidence d’actes inconstitutionnels antérieurs qui déclenchent une série en cascade de mesures d’enquête bien intentionnées. Permettre aux policiers de s’appuyer sur leur inconduite d’une telle façon ne donnerait pas véritablement effet aux droits protégés par la Charte.

[34] En outre, permettre à l’État de s’appuyer sur des violations de la Charte « de façon détournée » pourrait inciter les policiers à être moins soucieux du respect de la loi. Par exemple, comme l’a énoncé la Cour dans l’arrêt Tim, par. 30 :

Permettre aux policiers de procéder à des arrestations sur la base de ce qu’ils croient être la loi — plutôt que sur la base de ce qu’est réellement la loi — élargirait de façon radicale les pouvoirs des policiers au détriment des libertés civiles. Cela ferait en sorte que les gens seraient à la merci de la compréhension de la loi qu’auraient des policiers donnés, et que les policiers seraient moins enclins à vouloir connaître la loi. La population canadienne s’attend à juste titre à ce que les policiers respectent la loi . . .

Même si le fait que la police a commis une erreur involontairement ou de bonne foi sera pris en compte à l’étape de l’analyse fondée sur le par. 24(2), cela n’a aucune incidence sur la question de savoir s’il y a eu une autre violation de la Charte en conséquence de l’inconduite initiale.

Pour faire en sorte que l’État ne puisse pas s’appuyer sur des violations de la Charte, le juge chargé de la révision doit, dès le début de l’analyse, retrancher les éléments de preuve qui ont été obtenus de façon inconstitutionnelle. Une fois ces éléments retranchés du fondement factuel, le tribunal applique le test de l’arrêt Storreypour déterminer si des motifs raisonnables et probables existent, compte tenu à la fois des composantes subjectives et objectives.

[41] La règle selon laquelle les motifs raisonnables et probables requis pour effectuer une arrestation ne peuvent découler des résultats d’une conduite inconstitutionnelle de l’État ne va pas à l’encontre du test énoncé dans l’arrêt Storrey. Comme nous l’avons expliqué précédemment, ce test exige que le policier croie subjectivement, mais aussi de façon objectivement raisonnable, que la personne arrêtée a commis une infraction. Il incombe à l’État de démontrer l’existence de tels motifs (Storrey, p. 250). Pour faire en sorte que l’État ne puisse pas s’appuyer sur des violations de la Charte, le juge chargé de la révision doit, dès le début de l’analyse, retrancher les éléments de preuve qui ont été obtenus de façon inconstitutionnelle. Une fois ces éléments retranchés du fondement factuel, le tribunal applique le test de l’arrêt Storreypour déterminer si des motifs raisonnables et probables existent, compte tenu à la fois des composantes subjectives et objectives. Dans le cadre de cette analyse, le tribunal tient compte de l’ensemble des circonstances dont le policier avait connaissance au moment de l’arrestation, mais n’y inclut pas les éléments de preuve qui ont été obtenus de façon inconstitutionnelle.

[43] La population canadienne peut légitimement s’attendre à ce que les policiers connaissent la loi, surtout la Charte, et s’y conforment (Tim, par. 30; Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, [2019] 4 R.C.S. 335, par. 6; R. c. McGuffie, 2016 ONCA 365, 131 O.R. (3d) 643, par. 67). Cela s’applique tout autant dans les situations qui évoluent. Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Storrey, « [d]ans le cas d’une arrestation sans mandat, il importe encore davantage que la police établisse l’existence de ces mêmes motifs raisonnables et probables justifiant l’arrestation » (p. 249 (nous soulignons); voir aussi S. Coughlan et G. Luther, Detention and Arrest (2e éd. 2017), p. 91). Cette règle est également conforme aux principes qui s’appliquent dans les contextes de l’obtention d’un mandat de perquisition et de la fouille accessoire à une arrestation.

[44] Avant d’aborder la façon dont les violations de la Charte qui découlent de violations antérieures doivent être prises en compte dans l’analyse fondée sur le par. 24(2), nous nous arrêtons pour souligner la distinction importante qui existe entre le retranchement et l’exclusion. Lorsque des motifs d’arrestation sont fondés sur des éléments de preuve obtenus de façon inconstitutionnelle, ces éléments doivent être retranchés du fondement factuel. Toutefois, nous n’écartons pas la possibilité qu’il y ait des situations où, même après le retranchement de tels éléments de preuve, le policier procédant à l’arrestation satisfait néanmoins à la norme des motifs raisonnables et probables justifiant une arrestation. Par exemple, si un policier arrête une personne après avoir effectué une fouille illégale, mais que la preuve ainsi découverte ne constitue qu’un des facteurs ayant mené à la décision de procéder à l’arrestation, l’arrestation sera tout de même légale si les autres éléments de preuve suffisent à démontrer l’existence de motifs raisonnables et probables.

Si un tribunal conclut qu’une arrestation a été faite en violation de la Charte, il sera nécessaire de tenir compte d’une telle violation dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2), notamment l’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte.

[57] En conséquence, nous rejetons le point de vue de la Couronne et des intervenants selon lequel nous devrions adopter l’approche décrite par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Jennings, 2018 ONCA 260, 45 C.R. (7th) 224. Dans cet arrêt, la cour a affirmé dans une remarque incidente que dans le cas des violations de l’art. 8 dans des affaires relatives à des échantillons d’haleine, il serait erroné, lors de l’analyse fondée sur le par. 24(2), [traduction] « de tenir compte non seulement de l’incidence de l’administration de la procédure de prélèvement d’échantillons d’haleine, qui est en soi peu envahissante, mais de l’ensemble de la procédure à laquelle fait face l’accusé après son arrestation », car cela créerait une règle d’exclusion catégorique (par. 27 et 32). En conséquence, nous préférons ne pas adopter l’approche proposée dans l’arrêt Jennings en l’espèce. Au contraire, si un tribunal conclut qu’une arrestation a été faite en violation de la Charte, il sera nécessaire de tenir compte d’une telle violation dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2), notamment l’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte (voir R. c. Reilly, 2021 CSC 38, par. 3; voir R. c. Au‑Yeung, 2010 ONSC 2292, 209 C.R.R. (2d) 140, par. 41, 50 et 59). Tel sera le cas peu importe si l’arrestation illégale peut être considérée ou non comme étant une violation « consécutive ».

L’analyse fondée sur le par. 24(2) ne devient pas une règle d’exclusion automatique

[59] Les observations qui précèdent visent à fournir des indications dans des situations précises. Une violation « consécutive » n’est pas un nouveau « type » de violation de la Charte. Il ne sera pas nécessaire ni utile dans chaque cas de déterminer si la série d’actes de l’État comporte une violation « consécutive ». Cependant, cela sert de guide dans les cas où une arrestation découle d’une fouille, et que les deux sont jugées illégales lors du contrôle judiciaire. Dans de tels cas, le tribunal doit évaluer la gravité de la fouille ainsi que de l’arrestation. Cette dernière, étant donné que l’on s’attend à ce qu’elle ait lieu dans les circonstances, est peu susceptible d’accroître considérablement la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte, mais elle se traduira souvent par une incidence plus importante sur les intérêts de l’individu protégés par la Charte. De cette façon, l’analyse fondée sur le par. 24(2) ne devient pas une règle d’exclusion automatique, alors que le tribunal tient par ailleurs pleinement compte de l’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte.