R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14

L’exclusion du crédit de détention en raison principalement des antécédents judiciaires

[52]                          L’exclusion du crédit majoré pour détention présentencielle dans le cas des délinquants qui se voient refuser leur mise en liberté sous caution principalement en raison d’une condamnation antérieure a une portée excessive parce qu’elle s’applique selon des modalités qui n’ont rien à voir avec l’accroissement de la sûreté et de la sécurité publiques.

[53]                          Premièrement, la disposition s’applique à des personnes auxquelles elle n’est pas censée s’appliquer, soit les délinquants qui ne constituent pas une menace pour la sûreté et la sécurité publiques. Le par. 515(9.1) est libellé de manière générale. Il vise quiconque se voit refuser la mise en liberté sous caution principalement en raison de son casier judiciaire sans préciser ni même indiquer en gros la nature ou le nombre des infractions qui justifient l’inscription. La disposition peut donc s’appliquer à des personnes dont l’emprisonnement ne contribue pas à la réalisation de l’objectif législatif. À titre d’exemple, une personne condamnée deux ou trois fois pour omission de se présenter devant le tribunal peut faire l’objet de l’inscription prévue au par. 515(9.1) même si elle ne constitue pas vraiment une menace pour la sûreté et la sécurité publiques. Et même si la personne bénéficie alors d’un plus grand accès à des programmes de réadaptation et en retire des avantages, la sûreté et la sécurité publiques n’en sont pas nécessairement accrues pour autant. En résumé, l’inscription prévue au par. 515(9.1) constitue un indicateur erroné du danger que présente un délinquant pour la sûreté et la sécurité publiques. Le ministère public soutient que la disposition ratisse large parce qu’il est plus pratique de viser tous les délinquants qui possèdent un casier judiciaire que les seuls délinquants qui constituent une menace pour la sûreté et la sécurité publiques. Or, le caractère pratique d’une mesure ne permet pas de réfuter une allégation de portée excessive fondée sur l’art. 7 (Bedford, par. 113).

[54]                          Deuxièmement, peu importe les catégories de délinquants auxquelles elle est censée s’appliquer, la disposition contestée a une portée excessive car, comme le fait observer l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario), en raison de l’accès restreint au recours en révision judiciaire, la personne dont le dossier renferme à tort une inscription est dépourvue de tout recours pour faire corriger l’erreur. On ne s’entend pas sur les cas précis dans lesquels la révision de l’inscription est possible. Le ministère public reconnaît cependant que le tribunal de révision qui conclut à la régularité de l’ordonnance de détention ne peut annuler l’inscription et que le juge qui détermine la peine n’a d’autre choix, en application de la disposition contestée, que de tenir compte de l’inscription dans le calcul de la peine. Cette absence de révision et de pouvoir discrétionnaire fait en sorte que la portée de la disposition contestée est excessive en ce qui concerne au moins deux catégories de personnes. Il y a d’abord celles qui sont victimes d’une inscription erronée en ce que leur détention n’est pas justifiée principalement par l’existence d’un casier judiciaire, puis celles qui, entre l’enquête sur leur mise en liberté sous caution et la détermination de leur peine, obtiennent en appel l’annulation de la déclaration de culpabilité qui a donné lieu à l’inscription. La disposition a pour effet de priver de leur liberté les personnes appartenant à l’une ou l’autre de ces catégories même si leur détention ne favorise pas manifestement la sûreté et la sécurité publiques.

[55]                          J’arrive à la conclusion que la disposition contestée vise à accroître la sûreté et la sécurité publiques d’une manière qui est excessive.