Bernard c. R., 2019 QCCA 638 

Lorsque le législateur prévoit une peine maximale de 14 ans, sauf exception, les peines possibles vont du sursis de peine à l’incarcération. Telle est la fourchette de peines prévue par la loi. Ce faisant, malgré les conséquences parfois tragiques, le législateur reconnaît avec beaucoup de sagesse la grande variété de manifestations des crimes

[3] L’intimée ne voit aucune erreur dans la décision qui détermine une peine juste dans les circonstances de cette affaire. Le juge n’avait pas à référer explicitement aux principes de réinsertion et de modération. Il a pris en compte la condition mentale de l’appelant et les facteurs atténuants le concernant. Il pouvait donner priorité aux objectifs de dissuasion et de dénonciation dans le contexte où l’appelant a fait une psychose toxique.

[4] Particulièrement, citant R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089 et la Cour d’appel de l’Alberta, le ministère public partage l’idée que les objectifs répressifs de la peine doivent primer et que l’emprisonnement est le seul moyen d’y parvenir.

[5] Avec égards, l’appel doit réussir. Comme le rappelle le juge, l’infraction la plus grave rend l’appelant passible d’un emprisonnement de 14 ans. Cependant, lorsque le législateur prévoit une peine maximale de 14 ans, sauf exception, les peines possibles vont du sursis de peine à l’incarcération. Telle est la fourchette de peines prévue par la loi. Ce faisant, malgré les conséquences parfois tragiques, le législateur reconnaît avec beaucoup de sagesse la grande variété de manifestations des crimes.

[6] En l’espèce, autrement que par une énumération succincte et télégraphique, le jugement ne comporte aucune analyse de la preuve et des facteurs atténuants. Il faudrait par ailleurs comprendre que les affirmations sans nuance sur la consommation excessive d’intoxicants justifient la peine prononcée. L’absence d’analyse se reflète jusque dans la peine qui, touchant quatre chefs d’accusation dans deux dossiers, n’est aucunement ventilée : voir notamment R. c. Guerrero Silva, 2015 QCCA 1334 (CanLII) et R. c. Rayo, 2018 QCCA 824 (CanLII).

[7] Or, les faits singuliers exigeaient du juge qu’il se penche sur le défi particulier de la présente affaire. Rarement a-t-on vu un profil aussi positif d’un toxicomane qui, non seulement souhaite se reprendre en main, mais pose tous les bons gestes pour y parvenir.

En affirmant que “les tribunaux disposent de très peu de moyens à part l’emprisonnement pour satisfaire à ces objectifs” : R. c. Lacasse 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 6, la Cour suprême n’a certainement pas voulu ainsi créer un point de départ en exigeant des peines d’emprisonnement aux infractions alors que le législateur a prévu l’applicabilité des autres peines ou affirmer l’incapacité des autres peines à atteindre les objectifs de dissuasion et de dénonciation ou encore écarter le principe fondamental de la proportionnalité voulant que la peine tienne compte à la fois de la gravité du crime et de la responsabilité du délinquant

[23] L’erreur du juge en l’espèce tient à l’absence d’analyse de cette preuve importante, voire exhaustive, appuyée de rapports médicaux et psychiatriques fondés sur de nombreuses entrevues concernant la situation personnelle du délinquant avant et après le délit.

[24] L’énumération réductrice que fait le juge de facteurs atténuants ne permet pas de comprendre pourquoi il a néanmoins imposé une lourde peine de prison.

[25] Certes, le crime est grave, tout comme le sont ses conséquences pour la victime. Rien dans les présents motifs ne saurait soutenir que la Cour ignore cette réalité décrite sommairement par le juge. Pour ce crime et ces conséquences, une peine d’incarcération est certainement une peine envisagée. Reste à en déterminer la durée et peut-être les modalités si elle doit être purgée de façon discontinue. Toutefois, la détermination de la peine vise à la fois le crime et le délinquant. Il s’agit toujours d’un exercice difficile et « un processus intrinsèquement individualisé » : R. c. M.(C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 92; R. c. Suter, 2018 CSC 34 (CanLII).

[26] Le juge a ignoré la preuve positive d’une réhabilitation concrète et bien amorcée. Ce facteur est important, surtout, mais pas uniquement, lorsque la toxicomanie sous-tend la problématique criminelle et que tous les indicateurs pointent vers une reprise en main. À cet égard, la logique derrière la jurisprudence qui le constate en matière de crimes reliés aux stupéfiants s’applique chaque fois que la réhabilitation ou la réinsertion fait l’objet d’une démonstration particulièrement convaincante : voir, entre autres, R. c. Bernier, 2015 QCCA 963 (CanLII), par. 46; R. c. Zawahra, 2016 QCCA 871 (CanLII); R. c. Lafrance, 1993 CanLII 4290 (C.A.Q.).

[27] Tout en reconnaissant la gravité des crimes et leurs conséquences, l’analyse de la preuve des différents rapports résumés plus haut montre le comportement criminel atypique pour l’appelant et, surtout, la démonstration particulièrement convaincante d’une réhabilitation. Il s’agit de facteurs qui militent ici pour une peine différente de celle déterminée par le juge.

[28] Citant les propos de la Cour suprême dans l’arrêt Lacasse voulant que “les tribunaux disposent de très peu de moyens à part l’emprisonnement pour satisfaire à ces objectifs [de dénonciation et de dissuasion]”, l’intimée prétend que c’est le cas ici. Bien qu’elle cite un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta, R. c. Gejdos, 2017 ABCA 227 (CanLII), elle omet de citer les arrêts de notre Cour qui ont expliqué la portée limitée de ce passage. Ce sont ces arrêts qui lient les tribunaux et les plaideurs au Québec. En outre, dans l’arrêt R. c. Charbonneau, 2016 QCCA 1567 (CanLII), la Cour écrit :

16 En affirmant que “les tribunaux disposent de très peu de moyens à part l’emprisonnement pour satisfaire à ces objectifs” : R. c. Lacasse 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 6, la Cour suprême n’a certainement pas voulu ainsi créer un point de départ en exigeant des peines d’emprisonnement aux infractions alors que le législateur a prévu l’applicabilité des autres peines ou affirmer l’incapacité des autres peines à atteindre les objectifs de dissuasion et de dénonciation ou encore écarter le principe fondamental de la proportionnalité voulant que la peine tienne compte à la fois de la gravité du crime et de la responsabilité du délinquant : R. c. McDonnell, 1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948; R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Lacasse, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 128 (opinion dissidente).

17 Donner une telle portée à ce passage serait, avec égards, déraisonnable. D’ailleurs, la Cour suprême rappelle que les juges “demeurent tenus d’exercer leur pouvoir discrétionnaire dans chaque espèce” : R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 57.

18 Si certains crimes entraînent rapidement des peines sévères, la sévérité n’est pas l’apanage de l’emprisonnement. Tout dépend des circonstances.

19 L’individualisation de la peine demeure et commande des variations qui dépendent des caractéristiques individuelles du délinquant et de sa culpabilité morale à la fois en raison de sa participation au crime et de son degré de participation : Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, 533; R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 40; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, par. 82; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206, par. 40-41, 57; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 433, par. 39; Anderson 2014 CSC 41 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 167, par. 21.

[29] La Cour a réitéré ces principes dans les arrêts R. c. Umakanthan, 2017 QCCA 801 (CanLII), par. 4 et R. c. Harbour, 2017 QCCA 204 (CanLII), par. 82.

[30] Qui plus est la proposition de l’intimée ne cadre pas avec les propos récents de la Cour suprême dans l’arrêt Suter qui rappelait l’importance pour le juge d’avoir toute la latitude suffisante pour adapter les peines au crime et au délinquant : R. c. Suter, 2018 CSC 34 (CanLII), par. 46, citant R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 433.

[31] Ceci est tout à fait compatible avec le principe que rien n’est exclu, qu’il faut résister à adopter des principes rigides. C’est ce que rappelle la Cour suprême dans un contexte de crime grave comme le terrorisme :

Je souligne d’emblée qu’il faut résister à la tentation d’établir des principes rigides de détermination de la peine pour les seules infractions de terrorisme et de considérer que celles‑ci appartiennent à une catégorie d’infractions à part, sous réserve des dispositions du Code criminel qui visent précisément ces infractions. Les principes généraux de détermination de la peine, dont le principe de totalité, s’appliquent aux infractions de terrorisme.

R. c. Khawaja, 2012 CSC 69 (CanLII), [2012] 3 R.C.S. 555, par. 115.

[32] Il est clair que les propos tenus dans l’arrêt Lacasse n’écartent pas explicitement ces principes bien établis et cette longue tradition juridique canadienne dans la détermination de la peine. Comme les propos de la Cour ne sont manifestement pas, non plus, le résultat d’une analyse de la jurisprudence, ce qui indiquerait à tout le moins la volonté de s’en écarter, il faut comprendre que, dans les circonstances particulières de l’intimé Lacasse, seul l’emprisonnement pouvait répondre adéquatement aux objectifs de la peine.

Les conditions sévères de mise en liberté sont un facteur pertinent dans la détermination de la peine dont le poids relatif est cependant variable

[33] En terminant, l’appelant prétend que les conditions sévères de mise en liberté durant plus d’une année devaient être prises en compte par le juge. Pendant quelque 14 mois, l’appelant était notamment en assignation à domicile (24 heures par jour), sauf pour les exceptions prévues, lesquelles tiennent essentiellement à des déplacements pour son travail ou avec ses parents pour l’administration du dossier judiciaire et ses différents suivis médicaux ou thérapeutiques.

[34] Notre Cour a entériné l’approche d’autres cours d’appel et elle a clairement reconnu que les conditions sévères de mise en liberté sont un facteur pertinent dans la détermination de la peine dont le poids relatif est cependant variable : R. c. Larouche, 2012 QCCA 2272 (CanLII), par. 32, citant R. c. Panday, 2007 ONCA 598 (CanLII); R. c. Ijam, 2007 ONCA 597 (CanLII); R. c. Voeller, 2008 NBCA 37 (CanLII).

[35] Cette jurisprudence consacre le fait que l’assignation à domicile est certainement un facteur pertinent. Il est logique aussi de penser que le poids relatif des conditions restrictives augmente avec la durée de l’ordonnance et des allégements éventuels qui ont pu survenir. Encore une fois, c’est l’exercice d’individualisation qui gouverne en la matière. Cela dit, notre Cour a souligné la pertinence de conditions restrictives de liberté, et pas seulement de l’assignation à domicile, dans quelques arrêts et dans divers contextes : R. c. Berish, 2011 QCCA 2288 (CanLII), par. 21; R. c. St-Cyr, 2018 QCCA 768 (CanLII), par. 64; R. c. Camiré, 2010 QCCA 615 (CanLII), par. 81.

[36] Parfois identifié comme un facteur atténuant, il est davantage un « facteur pertinent » à l’analyse. Plus récemment, la Cour réitère qu’il « n’y a aucun doute qu’un juge peut tenir compte des conditions de mise en liberté dans la détermination de la peine, mais cette considération relève de sa discrétion » et elle précise que cela n’est pas un facteur atténuant comme tel, mais participe davantage à la détermination finale d’une peine juste et équitable : R. c. Sanon, 2018 QCCA 892 (CanLII), par. 8.

[37] Dans les jours qui ont suivi l’arrêt Sanon, la Cour suprême déposait l’arrêt Suter et semble donner raison à cette approche. D’une part, la Cour suprême précise que les facteurs « aggravants » ou « atténuants » au sens du Code criminel se rattachent à la gravité de l’infraction ou au degré de responsabilité du délinquant alors que d’autres circonstances diverses peuvent être des conséquences indirectes qui sont néanmoins liées à la situation personnelle du délinquant : R. c. Suter, 2018 CSC 34 (CanLII), par. 48; R. c. Émond, 2019 QCCA 317 (CanLII), par. 39. D’autre part, l’objectif de la détermination de la peine est d’adapter celle-ci aux circonstances de l’infraction et à la situation du contrevenant. Cette tâche exige du juge qu’il tienne compte de toute conséquence pour le délinquant qui découle de la perpétration d’une infraction, de la déclaration de culpabilité ou de la peine infligée. Le juge peut ainsi « établir une peine proportionnée en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes liées à l’infraction et au contrevenant dans une affaire donnée » : R. c. Suter, 2018 CSC 34, par. 46-47 (en italique dans le texte.).

[38] La prise en compte des conditions sévères de mise en liberté s’inscrivant dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré au juge de la peine, il doit néanmoins être exercé judiciairement. Compte tenu de son obligation d’examiner toutes les circonstances pertinentes liées à l’infraction et au contrevenant dans une affaire donnée qui sont portées à son attention, le juge devait expliquer pourquoi il écartait ce facteur sauf si les raisons ressortent clairement du dossier. Rappelons qu’en matière de décision sur la peine, la motivation est également une obligation statutaire : art. 726.2 C.cr. En l’absence de motivation adéquate, la déférence due est atténuée et la Cour peut choisir d’intervenir : R. c. Cardinal, 2012 QCCA 1838 (CanLII).

[39] En l’espèce, la question de la sévérité des conditions était plaidée. Le jugement est silencieux sur le motif justifiant d’écarter les 14 mois d’assignation à domicile et celui-ci ne ressort clairement pas du dossier. Cela constitue une erreur. De l’avis de la Cour, il s’agit en l’espèce d’un facteur à considérer.

[40] Cela dit, la Cour estime que la proposition de l’appelant tient compte de l’ensemble des circonstances du crime et du délinquant. Sa proposition est de surseoir à la peine et d’ordonner une période de probation.

[41] Il est indéniable que pour certains délinquants, dont l’appelant, le passage à travers le système de justice criminelle contribue en soi à l’atteinte d’objectifs de la peine : R. c. Harbour, 2017 QCCA 204 (CanLII), par. 67; R. c. Berish, 2011 QCCA 2288 (CanLII), par. 19-21.

[42] Qui plus est, il faut savoir que le sursis de peine est nécessairement accompagné d’une ordonnance de probation pouvant se prolonger sur trois années. Dans l’arrêt R. c. Brunet, 2016 QCCA 2059 (CanLII), la Cour rappelle à ce propos que le sursis de peine, comme celui envisagé ici, inclut un mécanisme par lequel il peut être révoqué à la demande du ministère public si l’appelant commet une nouvelle infraction, incluant un défaut de se conformer à l’ordonnance de probation au sens de l’article 733.1 C.cr. et que lui soit alors infligée toute peine qui aurait pu l’être si le prononcé de la peine n’avait pas été suspendu : art. 731(1)(a) et 732.2(5) C.cr. Cela en fait une mesure complète qui permet de réagir promptement et de prononcer les peines appropriées selon les circonstances.