L’interdiction de la détention arbitraire vise à restreindre la capacité de l’État de « recourir sans justification appropriée à des moyens intimidants et coercitifs à l’égard des citoyens ».

[24] Il convient de rappeler que l’interdiction de la détention arbitraire vise à restreindre la capacité de l’État de « recourir sans justification appropriée à des moyens intimidants et coercitifs à l’égard des citoyens »[51]. Comme pour les autres droits garantis par la Charte, il convient d’adopter une approche contextuelle dans l’application de l’article 9[52].

[…]

[30] Toutefois, la fouille par palpation, le menottage et le confinementdes trois individus dans le contexte particulier de la détention à des fins d’enquête ne pouvaient se justifier aux seules vues des objectifs de sécurité invoqués par les policiers.

[31] Le juge explique la conduite des policiers de la façon suivante[67] :

[62] Bien que l’accusé soit calme et coopératif, les agents Garneau et Bilodeau n’agissent pas par automatisme, négligence ou par simple commodité ou intuition. Rappelons les faits. Au départ, ils sont deux policiers qui procèdent à la détention aux fins d’enquête de trois suspects. Au stade embryonnaire de leur enquête criminelle, ils indiquent vouloir assurer leur propre sécurité en effectuant une fouille sommaire par palpation d’un individu aux vêtements amples et souples, en le menottant et en le confinant sur la banquette arrière de l’auto de police.

[63] Les motifs de sécurité publique qui animent les policiers tiennent compte du contexte et de l’environnement, tels les risques réalistes d’un accident et de la fuite de l’accusé. Soulignons qu’il semblait fuir et ne pas vouloir immobiliser immédiatement le véhicule routier à l’approche des agents de la paix. Notons aussi que le lieu de l’interception constitue une artère importante de la Ville de Québec, endroit où la circulation routière est dense et achalandée. Comme les considérations de sécurité ne sont pas optimales, elles justifient les agents de la paix dans leur action de confiner l’accusé sur le siège arrière de la voiture de police, menottes aux poignets, même si celui-ci collabore.

[32] Le contexte particulier dans lequel se trouvaient les policiers, compte tenu de la conduite des comparses qui coopéraient bien, ne pouvait justifier le menottage, la fouille et le confinement avant qu’il ne soit procédé à leur arrestation[68].

Le paragraphe 24(2) de la Charte entre en jeu lorsque des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui violent les droits garantis par la Charte à la personne accusée.

[46] Il convient d’abord de se rappeler que les décisions prises en première instance en matière d’application du paragr. 24(2) de la Chartecommandent en principe déférence en appel, lorsque le juge du procès a examiné les bons facteurs[78]. L’arrêt Grant établit un « exercice souple et imprécis de recherche d’équilibre »[79], qui appelle la retenue des cours d’appel en l’absence d’une conclusion de fait déraisonnable ou d’une erreur de droit[80].

[47] Le paragraphe 24(2) vise à préserver la considération dont jouit l’administration de la justice. Si une violation d’un droit garanti par la Charte est avérée, le paragraphe 24(2) permet une réparation appropriée. La Cour suprême explique le cadre d’analyse applicable, dans l’arrêt Tim[81] :

[74] Le paragraphe 24(2) de la Charte entre en jeu lorsque des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui violent les droits garantis par la Charte à la personne accusée. L’analyse requise aux fins d’application du par. 24(2)examine, sur la base de trois questions, l’effet à long terme de l’utilisation d’éléments de preuve obtenus en violation de la Charte sur la confiance du public envers le système de justice. Ces trois questions sont : (1) la gravité de la conduite étatique attentatoire à la Charte; (2) l’incidence de la violation sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Le rôle du tribunal consiste à mettre en balance le résultat de l’examen de chacune de ces questions en vue de « déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation d’éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » (Grant, par. 71; voir aussi Le, par. 139‑142).

[75] Le paragraphe 24(2) ne crée pas une règle d’exclusion automatique des éléments de preuve obtenus en violation d’un droit garanti par la Charte. Il incombe à la personne accusée d’établir que, eu égard aux circonstances, l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice (voir Collins, p. 280; Fearon, par. 89; voir aussi S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), § 19:12).

[Soulignement ajouté]

[48] Ainsi, la gravité de la conduite attentatoire de l’État s’examine au regard de l’illégalité de la conduite des forces de l’ordre. Généralement, « [p]lus les gestes ayant entraîné la restriction injustifiée des droits prévus par la Charte par l’État sont graves ou délibérés plus il est nécessaire que les tribunaux s’en dissocient en excluant les éléments de preuve ainsi acquis, afin de préserver la confiance du public envers le principe de la primauté du droit et de faire en sorte que l’État s’y conforme »[82]. On doit examiner l’ensemble des circonstances afin de « situer la conduite policière sur le continuum de la gravité, quelque part entre l’erreur inoffensive commise de bonne foi et le mépris flagrant ou la violation délibérée des droits de l’accusé »[83].

[49] L’incidence de la violation sur les droits de l’accusé « impose d’évaluer la portée réelle de l’atteinte aux intérêts protégés par le droit en cause »[84]. Plus la violation sur les droits de l’accusé est marquée, plus l’utilisation des éléments de preuve obtenus risque d’engendrer le cynisme[85].

[50] L’intérêt de la justice à ce que l’affaire soit jugée au fond en appelle à la fonction de recherche de la vérité qui caractérise le système judiciaire[86]. L’intérêt de la société vise à s’assurer que ceux qui transgressent la loi soient traduits en justice et traités selon la loi[87].

[51]  À terme, la mise en balance de ces questions est un exercice délicat. C’est un exercice de pondération de nature qualitative, qui exige de « soupeser toutes les circonstances et analyser les critères les uns par rapport aux autres »[88]. Ainsi, « [i]l s’agit en fait de pondérer les facteurs appropriés et de le faire en prenant en compte l’intérêt à long terme de la considération de la justice »[89]. Une liste non exhaustive de facteurs peut être retenue pour mener à bien cet examen[90].

[52] C’est donc lorsque l’élément de preuve a été obtenu dans des conditions qui violent la Charte que son exclusion pourra être ordonnée et que le processus exposé par la Cour suprême dans l’arrêt Grant se mettra en œuvre. Lorsqu’il n’existe pas de lien suffisant entre les liens constatés et la preuve recueillie, il n’est pas possible de conclure que la preuve a été obtenue dans des conditions qui violent la Charte[91].

[53] L’arrestation de l’appelant était légale et la preuve a été recueillie à la suite de l’arrestation. Il devient donc inutile de procéder à l’étude du test de Grant relatif à la déconsidération de la justice[92].