R. c. Daigle, 2017 QCCQ 3098

Le requérant plaide qu’un des éléments essentiels de l’infraction manque : la preuve d’intention coupable criminelle d’omettre ou de refuser de se soumettre à l’ordre donné.

[35]      La défense concède que les deux premiers éléments de l’infraction sont prouvés. C’est plutôt le troisième qui est en litige.

[36]      Cela dit, le Tribunal ne retient tout d’abord pas l’argument voulant que l’inexpérience proposée de l’agent Tremblay et ses « trois chances » viennent mettre en doute le processus suivi.

[37]      Le Tribunal retient plutôt que l’agent, bien qu’il n’y soit pas tenu, use ici de sa discrétion d’accorder à un accusé une chance de se reprendre bien que dès le départ il soit convaincu que l’accusé a bien compris l’ordre, les consignes et les conséquences d’un refus.

[38]      Le Tribunal retient aussi que le témoignage de l’accusé corrobore en grande partie celui des agents. Seule différence notable, l’accusé aurait proposé de continuer à donner des échantillons après la « dernière chance » ou d’aller au poste pour ce faire.

[39]      Le Tribunal écarte également que l’ADA ait pu être en mauvais état de fonctionnement, même si cet argument n’a pas été plaidé comme tel. La vérification d’étalonnage était faite à peine deux jours auparavant. Rien ne permet de douter que l’embout ait pu être en jeu non plus. Même si parfois les agents changent l’embout entre chaque tentative[8], rien ne les oblige à le faire. C’est d’autant plus vrai ici alors que les agents constatent que l’échec résulte d’un souffle tout simplement inadéquat. L’accusé corrobore cette conclusion des agents en affirmant que son souffle était insuffisant. Chose certaine, l’accusé ne témoigne pas avoir soufflé correctement et ne pas comprendre qu’en se faisant, l’appareil ne donnait pas de résultat.

[40]      Il n’y a pas d’inférence défavorable à tirer non plus que tout se joue en quelques minutes.

[41]      Il faut garder à l’esprit que le libellé de l’article 254(2) pose une exigence « d’immédiateté » à l’ordre donné une fois les soupçons acquis. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que tout se fasse rapidement. Un refus aurait pu être constaté après la première tentative. Que l’agent offre à l’accusé de se reprendre relève de sa discrétion, pas de la loi. À ce sujet, les propos de la Cour suprême dans Woods[9] sont toujours d’actualité :

43           Il est vrai, comme je l’ai déjà mentionné, que dans le contexte du par. 254(2) du Code criminel, le mot « immédiatement » peut, dans des circonstances inhabituelles, recevoir une interprétation plus souple que celle que son sens ordinaire semble strictement lui réserver.  Par exemple, un délai court et inévitable de 15 minutes peut ainsi se justifier si cela est conforme aux exigences d’utilisation de l’appareil : voir Bernshaw.

44         Il me semble, toutefois, que l’exigence d’immédiateté prévue au par. 254(2) évoque un ordre prompt de la part de l’agent de la paix et l’obéissance immédiate de la part de la personne visée par cet ordre.  L’on ne peut accepter comme étant le fait d’obtempérer « immédiatement » la fourniture d’un échantillon d’haleine plus d’une heure après l’arrestation pour défaut d’obtempérer.  Cela constituerait, à mon avis, un élargissement sémantique qui va au‑delà des frontières de la littéralité et des limites constitutionnelles.

[42]      Woods discutait d’un accusé qui avait initialement refusé, mais avait changé d’avis une heure plus tard une fois rendu au poste.

[43]      Même en admettant, aux fins de discussions, que l’accusé ait proposé de se rendre au poste pour s’exécuter, cette proposition ne pouvait donc pas être retenue.

[44]      Même si l’argument n’a pas été présenté sous cet angle, le Tribunal ne peut conclure non plus que le délai d’attente de la remorqueuse créait une « circonstance inhabituelle » tel qu’envisagé au paragr. 43 de Woods, qui permettrait encore aux agents de réitérer l’ordre.

[45]      De un, les agents n’avaient plus aucune obligation légale de ce faire, le refus ayant été constaté. De deux, le caractère d’immédiateté est toujours en jeu. Comme le disait récemment la Cour d’appel d’Alberta[10] :

10     In any event, Emery is wrongly decided. Parliament speaks of lawful excuses, not conditional deferments to run the clock perhaps in hope of a remittance of some blood alcohol concentration. Parliament enacted a demand, not an invitation to treat. Further, the decision in Woods, in obiter, suggests to the contrary, namely that if an individual offers a sample after having been charged with refusal to comply, it would be allowable for the police to take the sample and then the Crown to choose whether to prosecute for the refusal offence or the ‘excess alcohol’ offence (should there be such). Woods does not suggest that the refusal would cease to be an offence under such circumstances.

[46]      Dit autrement, il peut être de la discrétion de l’agent d’offrir à un accusé plus d’une occasion de se soumettre à l’ordre afin d’éviter toute ambiguïté quant à la compréhension des consignes et de l’ordre donné. Mais, il n’appartient pas à l’accusé de dicter ou choisir quand s’y soumettre, notamment :

−      de changer d’idée s’il avait refusé et que le refus a été constaté;

−      ou de continuer à vouloir souffler une fois le refus constaté en offrant ou en demandant à l’agent une « autre chance »[11].

[47]      Ces différents facteurs qui parfois sont en jeu dans ce genre de dossier étant maintenant traités, il ne reste plus que le comportement de l’accusé et sa crédibilité à analyser.

[48]      Comme le dit le juge LaBrie de notre Cour[12] :

[38]            Cependant, lorsque la poursuite prouvera que l’ADA et ses accessoires étaient en bon état de fonctionnement, et non obstrués, il deviendra difficile d’entretenir un doute raisonnable quant à l’acte coupable sans que l’accusé ne présente une preuve qui soulève un doute raisonnable à ce sujet.

[39]            Par ailleurs, il est toujours loisible à la défense de présenter une preuve qui met en doute le bon fonctionnement de l’ADA[41] ou d’un embout, ou encore, qui met en doute la qualification ou les compétences de l’agent opérateur. Le juge des faits évaluera cette preuve avec l’ensemble des autres éléments pour tirer sa conclusion.

[40]            Pour déterminer si l’acte coupable est prouvé, il est donc essentiel d’évaluer l’ensemble de la preuve. Pour ce faire, tous les éléments sont soupesés, et, une fois réunis, peuvent potentiellement convaincre un juge que les insuccès répétés sont causés par l’accusé et par conséquent que l’acte coupable est démontré hors de tout doute raisonnable.

[41]            Dans la plupart des cas la preuve sera circonstancielle, et en conséquence, il faudra que l’acte coupable soit la seule conclusion raisonnable que l’on puisse tirer de l’analyse de l’ensemble de la preuve.

[42]            Chaque cas est un cas d’espèce et il appartient au juge de tirer sa conclusion basée sur l’ensemble des éléments de preuve.

[49]       Ces propos rejoignent ceux de la Cour supérieure dans Boucher c. R. 2016 QCCS 4412 (CanLII) : 

[8]                Pour déterminer si la conduite d’un accusé constitue un refus ou une omission d’obtempérer, un juge d’instance doit considérer la totalité de l’interaction entre le policier qui donne l’ordre et l’individu qui doit l’exécuter. Une série d’éléments peuvent entrer en jeu dans cet exercice d’appréciation. Ils s’attachent[3] :

  •        aux actes de l’opérateur de l’ADA, par exemple, à la suffisance des explications fournies sur la manière de procéder au test;

  •        aux actes de l’accusé, par exemple, à l’effort ou l’absence d’effort déployé par l’accusé pour fournir l’échantillon demandé, à ses déclarations;

  •        aux circonstances de leur interaction, par exemple, à sa durée, au nombre de tests effectués;

  •        à l’ADA lui-même, par exemple, à la vérification du bon fonctionnement de l’ADA et de son embout.

[50]      Le Tribunal ne retient pas que l’accusé a offert de continuer à se soumettre à l’ordre une fois le refus constaté ou qu’il a offert de se rendre au poste pour ce faire. De toute façon, comme on l’a vu, il n’aurait pu créer une excuse raisonnable avec de telles propositions.

[51]      Il en va de même de son affirmation qu’il se sentait « progresser » quand il a vu une lumière apparaître à l’ADA. Il est le seul qui en témoigne. S’agit-il de l’indication FLOW LOW? D’autre chose? Si cette dernière hypothèse est la bonne, il aurait fallu l’établir[13]. À défaut, toute inférence souhaitée est strictement spéculative et ne peut être retenue.

[52]      Quant aux circonstances de l’affaire, pour reprendre le paragr. 41 de Tremblay précité, les agents ont constaté un comportement qui les menait à croire et conclure que l’accusé ne voulait pas fournir un échantillon : il simulait un souffle.

[53]      Du point de vue « circonstanciel », la Cour suprême[14] nous enseigne :

[38]        Il va de soi que la ligne de démarcation entre une « thèse plausible » et une « conjecture » n’est pas toujours facile à tracer. Cependant, la question fondamentale qui se pose est celle de savoir si la preuve circonstancielle, considérée logiquement et à la lumière de l’expérience humaine et du bon sens, peut étayer une autre inférence que la culpabilité de l’accusé.

[54]      La défense proposée de stress n’est pas retenue. L’accusé n’est pas cru et ce témoignage n’est pas non plus de nature à susciter un doute raisonnable eu égard à l’ensemble de la preuve à la deuxième étape proposée de W.D.

[55]      Par ailleurs, le Tribunal retient le témoignage des agents quant au comportement de l’accusé.

[56]      La seule conclusion raisonnable est celle de la culpabilité de l’accusé. L’échec des tests ne résulte que de sa conduite. Cette conduite était volontaire. En de telles circonstances, l’intention coupable de l’accusé est prouvée hors de tout doute raisonnable[15].