R. c. Pouliot, 2017 QCCM 144

 

Le requérant prétend que son droit à la protection contre les fouilles abusives, protégé par l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés(la Charte), et son droit à la protection contre la détention arbitraire, protégé par l’article 9 de la Charte, ont été violés puisqu’alors qu’il était détenu, l’ordre de se soumettre à un alcootest ne lui a été donné qu’une heure après sa mise en état d’arrestation.

 

[62]         La requête du requérant, s’appuyant sur les dispositions des articles 254 (3) et 495 C.cr., ainsi que sur les articles 89 et 24(2) de la Charte, demande au Tribunal de déclarer qu’en l’instance les droits protégés du requérant par les articles 8 et de la charte ont été violés et, en conséquence que les éléments de preuve obtenus doivent être exclus.

[63]        Il y a une certaine confusion entre les moyens invoqués.

[64]        S’appuyant sur le fait qu’il aurait été détenu pendant plus d’une heure avant que l’ordre de se soumettre à l’alcootest ne lui soit donné, le requérant invoque un non-respect des exigences de l’article 254(3) C.cr. en ce que cet ordre ne lui a pas été donné, et les échantillons de son haleine prélevés, «dans les meilleurs délais», entrainant une détention arbitraire et une fouille abuse au sens des articles 8 et 9 de la Charte.

[65]        Toutefois, s’appuyant sur les même faits, il prétend également au non-respect des exigences de l’article 284(1)C.cr. puisque les échantillons de son haleine n’ont pas été prélevés «dès que matériellement possible de le faire» et demande la même exclusion.

[66]        Pourtant, les conséquences du non-respect des exigences de l’une et l’autre de ces dispositions sont différentes.

[67]        Suivant les dispositions de l’article 254(3) C.cr., l’ordre de se soumettre à l’alcootest doit être donné, et les échantillons d’haleine prélevés, «dans les meilleurs délais».

[68]        Par ailleurs, pour pouvoir bénéficier de la présomption d’identité de l’article 258(1)c) C.cr., les échantillons d’haleine doivent être prélevés «dès qu’il a été matériellement possible de le faire».

[69]        Pour bénéficier de cette présomption il incombe à la poursuivante de prouver, hors de tout doute raisonnable, le respect des conditions édictés à l’article 258(1)c) C.cr. et le non-respect de l’une ou l’autre d’ente elles a pour conséquence de lui en faire perdre le bénéfice.

[70]        Comme le souligne mon collègue le juge Conrad Chapdeleine, dans l’affaire «R. c. Bernard»[11], l’article 258 (1)c) C.cr. n’édicte pas une condition d’admissibilité en preuve mais plutôt des conditions pour bénéficier des présomptions qu’il énonce.

[71]        Ainsi, si les conditions énoncées à cette disposition ne sont pas rencontrées, le certificat du technicien qualifié est tout de même admissible en preuve mais il ne fera pas foi de l’alcoolémie du requérant au moment de l’infraction alléguée.

[72]        Par contre, si les échantillons d’haleine ne sont pas recueillies, ou l’ordre de les fournir donné, «dans les meilleurs délais», tel que requis par l’article 254(3) C.cr., il pourrait y avoir une atteinte aux droits protégés par les articles 8 et 9 de la Charte et une exclusion, entre autres, du certificat du technicien qualifié.

[73]        Dans un tel cas, le fardeau de la preuve repose sur les épaules du requérant et l’exclusion de la preuve sera tributaire des résultats de l’analyse faite suivant les conditions de l’article 24(2) de la Charte.

[74]        Ces distinctions étant faites, il importe, en premier lieu, d’analyser et de qualifier les délais qui sont en cause pour ensuite déterminer s’il y a atteinte aux droits protégés par la Charte ou perte du bénéfice des présomptions de l’article 258 (1)c) C.cr.

Analyse et qualification des délais

[75]        Du fait des libellés différents des articles 254(3) et 258(1)c) C.cr., l’un utilisant l’expression «dans les meilleurs délais, l’autre «dès qu’il a été matériellement possible de le faire, on serait porté à croire que les critères d’analyse ne seront pas les mêmes.

[76]        Ce n’est pas le cas : La version anglaise de ces deux dispositions étant la même et utilisant l’expression «as soon as practicable», la jurisprudence en traitant sera pertinente à l’analyse du délai dans les deux cas[12].

[77]        Ainsi, les tribunaux ont interprété l’expression «as soon as practicable» comme signifiant «within a reasonably prompt time» et non «as soon as possible»[13].

[78]        Dans les deux cas le critère d’analyse consiste à déterminer si les agents de la paix ont agi de manière raisonnable compte tenu des circonstances[14].

[79]        Le seul délai qui pose véritablement problème en l’instance est celui de l’attente de l’arrivée des policiers de Mirabel sur les lieux.

[80]        Le fait que l’enquêteur Chevrier n’ait pas donné au requérant l’ordre de se soumettre à l’alcootest, suite à son arrestation, s’explique par le fait que, dans les circonstances propres à la présente affaire, il n’était pas possible de matérialiser cet ordre et de conduire le requérant au poste de police pour qu’il puisse s’y soumettre.

[81]        En effet, on peut comprendre qu’une telle démarche n’était pas sécuritaire du fait que l’enquêteur Chevrier était seul, avec son véhicule personnel.

[82]        Le Tribunal est d’avis que la conduite de l’enquêteur Chevrier était tout à fait raisonnable dans les circonstances.

[83]        Mais accepter qu’un retard dans l’ordre de se soumettre à l’alcootest ne signifie pas pour autant que tout retard doive l’être. Encore une fois ce sont les circonstances qui font que le retard se justifie ou non.

[84]        En l’instance, comment expliquer le délai d’une heure des agents Gagnon et Bélec pour se rendre sur les lieux? N’oublions pas que l’appel au 911 de l’enquêteur Chevrier s’effectue à 22h10 et que les policiers de Mirabel n’arrivent sur les lieux qu’à 23h10.

[85]        Aucune explication n’a été avancée à l’audience : L’agent Gagnon mentionne que dès qu’il a été avisé par la répartitrice, il s’est dirigé vers les lieux de l’arrestation mais il ne peut dire ni à quelle heure il est contacté par la répartitrice ni combien de temps il lui a fallu pour se rendre sur les lieux compte tenu de l’endroit où il se trouvait et de ce qu’il était occupé à faire.

[86]        Ce délai d’une heure représente pour le Tribunal un délai anormalement long et, en l’absence d’explications, déraisonnable.

[87]        Quant au délai de 16 minutes entre l’arrivée au poste de police du requérant et la prise du 1er échantillon de son haleine, le Tribunal n’y voit rien d’anormal : Compte tenu de la preuve faite, ce délai s’explique par la lecture des droits, l’offre de communiquer avec un avocat, la préparation de l’alcootest et le passage aux toilettes du requérant.

[88]        Il y a donc au total un délai d’une heure entre l’arrestation et l’ordre de se soumettre à l’alcootest qui ne puisse se justifier dans les circonstances.

[89]        Il nous faut maintenant évaluer les conséquences de ce délai injustifié tant en regard des dispositions de l’article 258(1)c) C.cr. que des articles 8 et 9 de la Charte.