Les soupçons raisonnables sont aussi individualisés [par opposition à des soupçons généraux], en ce sens qu’ils visent une cible en particulier.
Les soupçons raisonnables, s’ils reposent sur « un ensemble de facteurs suffisamment spécifiques », peuvent concerner un ou plusieurs membres d’un groupe.
[28] Dans R. c. Ahmad[18], la Cour suprême examine la norme des soupçons raisonnables dans le contexte de la doctrine de la provocation policière. Les juges majoritaires rappellent que « [l]es soupçons raisonnables sont aussi individualisés [par opposition à des soupçons généraux], en ce sens qu’ils visent une cible en particulier »[19], tout en précisant que la cible varie selon le contexte :
[49] La cible à laquelle doivent se rapporter les soupçons raisonnables varie selon le contexte. Il faut garder à l’esprit que dans des affaires comme Chehil et Kang‑Brown, la Cour devait s’assurer que les soupçons raisonnables pour la fouille d’une personne effectuée à l’aide d’un chien renifleur étaient suffisamment circonscrits. Dans ce contexte particulier (la fouille physique d’une personne par un chien policier), les soupçons raisonnables ne peuvent se rapporter à un endroit, mais seulement à une personne précise ou, à tout le moins, à plusieurs personnes étroitement liées (Kang-Brown, par. 73). D’ailleurs, la norme des soupçons raisonnables a été choisie dans l’arrêt Mack parce que, comme il a plus tard été souligné dans l’arrêt Chehil, bien qu’il s’agisse d’une « norme courante [uniforme] qui entre en jeu dans plusieurs contextes », elle peut être adaptée à diverses circonstances (Chehil, par. 21).[20]
[Italiques dans l’original]
[29] Ainsi, les soupçons raisonnables, s’ils reposent sur « un ensemble de facteurs suffisamment spécifiques »[21], peuvent concerner un ou plusieurs membres d’un groupe[22].
There is abundant authority for observations of reactions by suspects to police presence permissibly forming part of the constellation of factors that may determine the legality of an investigative detention.
[35] Deuxièmement, la réaction ou le comportement de l’intimé à l’endroit des policiers pouvait, à la lumière de l’ensemble des circonstances, faire naître un soupçon raisonnable qu’il était impliqué dans un crime donné. Comme l’explique le juge MacPherson, pour la Cour d’appel de l’Ontario, dans R. v. Plummer :
[23] There is abundant authority for observations of reactions by suspects to police presence permissibly forming part of the constellation of factors that may determine the legality of an investigative detention. The value of such evidence, if any, will inevitably be determined by its intersection with the myriad of other circumstances in play.[27]
[Renvois omis]
[36] Le fait que l’intimé s’est détaché du groupe à l’arrivée des policiers, son refus d’obtempérer à l’ordre donné par l’agent Boisvert, sa réaction lorsque ce dernier a commencé à le suivre (il s’est mis à marcher plus rapidement), enfin, la course à pied jusque dans la rue De Bullion; tous ces éléments fondaient l’existence de soupçons raisonnables que l’intimé était impliqué dans la bagarre signalée par l’appel au 911.
Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile.
[37] Troisièmement, concernant l’usage du poivre de Cayenne, la juge considère que l’usage de la force n’était pas justifié « sans la présence d’autres éléments comme des menaces ou l’observation d’une arme »[28]. Elle reproche à l’agent Boisvert de ne pas avoir « tenté d’autres manœuvres moins envahissantes pour contrôler [l’intimé] »[29]. Or, les actes des policiers ne sont pas soumis à une norme de perfection. La Cour suprême, sous la plume du juge LeBel, le souligne dans l’arrêt R. c. Nasogaluak :
[35] Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. […][30]
[38] Ici, l’agent Boisvert n’avait pas à mettre sa vie ou sa sécurité en danger en attendant que l’intimé brandisse une arme. Le contexte de l’intervention, la tentative de fuite de l’intimé et son refus délibéré de montrer sa main gauche justifiaient l’emploi d’une certaine force. Comme l’explique l’agent Boisvert lors de son témoignage :
R. Une fois que monsieur arrête de courir, je me dis il y a eu un appel de… L’appel de départ c’est, comme je disais tantôt, c’est un appel de bagarre, un appel avec violence. J’ai un groupe d’individus qui est coopératif, sauf un (1) individu qui ne veut pas s’arrêter, qui écoute pas mes commandements, qui va même créer une poursuite à pied. Une fois que la poursuite est finie, qu’il cesse de s’en aller, je lui redonne le commandement de voir sa main. Il écoute toujours pas mon commandement. Donc, c’est pour ça, là, que je l’ai gazé pour le maîtriser, là, parce que je voyais un potentiel à ce que ça dégénère, là.
Q. Quand vous dites « un potentiel que ça dégénère », qu’est-ce que vous voulez dire par là?
R. Que ça devienne violent, que monsieur sorte quelque chose de son pantalon. Parce que je vous ai dit tantôt, je pensais qu’il tenait son pantalon à ce moment-là, pendant qu’il courait. Sauf qu’il n’y a pas de chances à prendre, quelqu’un qui me montre pas sa main puis, après que je lui aie demandé à de nombreuses reprises, je me dis, ça cache quelque chose, il a peut-être quelque chose dans les pantalons. Puis j’ai pas le goût d’aller le vérifier, de prendre le risque d’aller le vérifier. Donc, c’est pour ça, là, qu’on a procédé comme ça.
Q. Donc, ce que vous venez de nous dire, est-ce que c’est ce qui vous traverse l’esprit à ce moment-là?
R. À ce moment-là, rendu sur la rue Bullion, c’est, je me dis que, c’est ça, on a quelqu’un qui est pas coopératif, qui a potentiellement été impliqué dans une bagarre puis qui veut absolument pas me montrer sa main, qui cache peut‑être quelque chose, là, dans son pantalon ou dans son chandail, là, à la hauteur de la ceinture.[31]
[39] En reprochant à l’agent Boisvert de ne pas avoir tenté d’autres manœuvres moins envahissantes, ce qui équivaut à lui imposer le fardeau de démontrer qu’aucune autre manœuvre moins envahissante n’aurait pu être tentée, la juge évalue le degré de force nécessaire selon une norme trop élevée.
[40] En somme, les faits retenus par la juge ne permettent pas de conclure à une détention arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte.
Un policier qui possède des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée peut procéder à une fouille par palpation préventive.
[42] Encore ici, la common law reconnaît un pouvoir de fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête[32]. Le juge Healy en rappelle l’étendue dans Wolfson c. R. :
[54] Il existe également en common law un pouvoir limité de procéder à une fouille dans le cadre d’une détention aux fins d’enquête. Un policier qui possède des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée peut procéder à une fouille par palpation préventive. Ce pouvoir est justifié par le devoir policier de protéger la vie et la sécurité.
[55] En revanche, des inquiétudes « vagues ou inexistantes » ne sauraient justifier une fouille et, là encore, les policiers ne peuvent procéder uniquement sur la base d’un instinct ou d’une intuition. Le policier doit agir à partir « d’inférences raisonnables et précises fondées sur les faits connus se rapportant à la situation ».
[56] Dans tous les cas, une fouille justifiée par des motifs raisonnables de sécurité ne sera constitutionnellement valide que si son exécution est raisonnable dans les circonstances. Le caractère globalement non abusif de la fouille dépend alors de l’ampleur de l’atteinte et de la façon dont la fouille a été effectuée. Une fouille sera jugée non abusive si la façon dont elle a été effectuée est raisonnablement nécessaire pour éliminer la menace de sécurité qui plane sur les policiers ou autrui.[33]
[Renvois omis]
[43] Comme le souligne l’appelante, le cœur de l’analyse de la juge en ce qui concerne la fouille se trouve aux paragraphes [98] à [100] du jugement :
[98] Vu le caractère contraignant de la détention au moment où l’agent Pronovost prend la relève de l’agent Boisvert alors que le requérant est menotté, au sol, sur le ventre et toujours sous l’effet du gaz irritant sans savoir pourquoi, le fait que l’agent Pronovost l’ait touché dans le but de le retourner constitue une fouille parce que son objectif en agissant de la sorte est d’effectuer une fouille par palpation. Le Tribunal considère que le fait de le retourner fait partie intégrante de cette fouille.
[99] Au moment où l’agent Pronovost désire effectuer la fouille par palpation, la preuve révèle qu’il n’a pas les motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée au sens de l’arrêt Mann.
[100] Le Tribunal est d’avis que l’agent Pronovost ne pouvait utiliser la détention arbitraire du requérant comme prétexte pour créer une circonstance dans le but de justifier une fouille de sécurité, et ce, même dans un contexte où c’est l’agent Boisvert qui procède à la détention. Si une détention aux fins d’enquête est illégale, comme dans le cas présent, la fouille qui en résulte, basée sur cette détention est illégale et contraire à l’article 8 de la Charte.[34]
[Renvois omis]
[44] Vu ma conclusion sur la détention de l’intimé, le motif donné par la juge au paragraphe [100] pour conclure à l’illégalité de la fouille ne tient pas.
[45] Il reste la question de savoir si l’agent Lambert-Pronovost avait des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui était menacée. La juge répond non, sans vraiment s’en expliquer.
[46] À mon avis, le fait que l’intimé était ventre contre terre et menotté justifiait l’agent Lambert-Pronovost de le retourner pour « avoir un visuel sur le devant de sa personne et le côté de ses poches » et s’assurer qu’il n’avait aucun objet dangereux sur lui[35]. Cette fouille préventive limitée s’inscrivait dans « [l]e devoir général des policiers de protéger la vie »[36] et reposait sur des motifs raisonnables de croire que l’intimé pouvait avoir une arme ou un objet contondant sur lui susceptible de le blesser. Je précise qu’au moment où l’agent Lambert-Pronovost a pris en charge l’intimé, il était au courant du contexte de l’intervention (l’appel au 911 pour une bagarre) et avait été témoin de la poursuite à pied. Sa décision de procéder à une fouille par palpation était « raisonnablement nécessaire »[37] dans les circonstances.
[47] C’est en retournant l’intimé que l’agent Lambert-Pronovost a vu un tuyau noir dépasser de son sous-vêtement[38], puis la forme de la crosse d’une arme à feu moulée à l’intérieur. Cette constatation lui a fourni des motifs raisonnables de croire que l’intimé avait une arme sur lui (il en était même certain). Il n’a eu qu’à tirer la ceinture élastique du sous-vêtement pour voir l’arme et la saisir.
[48] Que l’on considère la question sous l’angle de la fouille à nu ou de la doctrine de l’objet bien en vue (plain view), la fouille qui a mené à la saisie de l’arme était raisonnablement nécessaire et justifiée. Pour des raisons évidentes de sécurité, les policiers ne pouvaient laisser l’arme dans le sous-vêtement de l’intimé jusqu’à leur arrivée au poste de police[39].