« Marakah demeure l’arrêt faisant autorité lorsqu’une conversation par messages textes suscite une attente raisonnable au respect de la vie privée en vertu de l’art. 8. »
…
Une préoccupation centrale exprimée dans la jurisprudence de notre Cour portant sur l’art. 8 a été de trouver un équilibre entre les objectifs souvent concurrents que sont le respect de la vie privée personnelle et la protection de l’intérêt public.
Cette recherche d’équilibre reflète l’impératif constitutionnel de l’art. 8 lui‑même, qui, exprimé sous la forme négative, est de protéger contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, ou, exprimé sous la forme positive, de protéger uniquement une attente raisonnable au respect de la vie privée
[36] L’article 8 de la Charte garantit que « [c]hacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. » Il vise principalement à assurer la protection du droit à la vie privée contre l’intrusion injustifiée de l’État (Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 160; R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281, p. 291; Bykovets, par. 29).
[37] Le droit au respect de la vie privée est fondamental dans une société libre et démocratique. Il est essentiel à « la dignité, l’autonomie et la croissance personnelle [d’un individu] » (Bykovets, par. 29; voir aussi Plant, p. 292; R. c. Jones, 2017 CSC 60, [2017] 2 R.C.S. 696, par. 38), ainsi qu’à « la relation entre l’État et le citoyen » (R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 12). Dans un extrait souvent cité de l’arrêt R. c. Dyment, 1988 CanLII 10 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 417, p. 427‑428, le juge La Forest a écrit que « [l]’interdiction qui est faite au gouvernement de s’intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l’essence même de l’État démocratique. » Une opinion semblable a été reprise par le juge Binnie dans l’arrêt Tessling, qui a fait remarquer que « [p]eu de choses revêtent autant d’importance pour notre mode de vie que l’étendue du pouvoir conféré à la police d’entrer dans la maison d’un citoyen canadien, de porter atteinte à sa vie privée et même à son intégrité corporelle sans autorisation judiciaire » (par. 13).
[38] Une préoccupation centrale exprimée dans la jurisprudence de notre Cour portant sur l’art. 8 a été de trouver un équilibre entre les objectifs souvent concurrents que sont le respect de la vie privée personnelle et la protection de l’intérêt public. Cette recherche d’équilibre reflète l’impératif constitutionnel de l’art. 8lui‑même, qui, exprimé sous la forme négative, est de protéger contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, ou, exprimé sous la forme positive, de protéger uniquement une attente raisonnable au respect de la vie privée (Hunter, p. 159). Dans l’arrêt Hunter, le juge Dickson, plus tard juge en chef, a expliqué que l’art. 8 exige d’« apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi » (p. 159‑160). Dans l’arrêt Tessling, le juge Binnie a ajouté que « [l]es citoyens tiennent à leur vie privée, mais ils veulent également être protégés. La répression du crime et la sécurité sont des préoccupations légitimes tout aussi valables » (par. 17; voir aussi Plant, p. 291‑292).
[39] L’article 8 de la Charte s’applique lorsqu’une personne a des « attentes raisonnables en matière de vie privée relativement à l’objet de l’action de l’État et aux renseignements auxquels cet objet donne accès » (Marakah, par. 10, citant Cole, par. 34). Le demandeur qui souhaite avoir qualité pour soutenir qu’il y a eu atteinte aux droits que lui garantit l’art. 8 doit démontrer qu’il s’attendait subjectivement à ce que l’objet de la fouille demeure privé et que son attente était objectivement raisonnable eu égard à « l’ensemble des circonstances » (Marakah, par. 10, citant R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128, par. 31 et 45; voir aussi R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, par. 17‑18; Jones, par. 13). Dans cette évaluation, les tribunaux sont guidés par quatre questions : (1) l’objet de la prétendue fouille; (2) si le demandeur avait un intérêt direct à l’égard de l’objet; (3) si le demandeur avait une attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet; et (4) si l’attente subjective du demandeur au respect de sa vie privée était objectivement raisonnable (Marakah, par. 11; Cole, par. 40; Spencer, par. 18; Bykovets, par. 31).
Une conversation par messages textes peut, dans certains cas, susciter une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée », mais cela ne conduit pas forcément à la conclusion selon laquelle un échange de messages électroniques fait toujours naître une telle attente.
[40] Je suis d’accord avec la Couronne pour dire que notre Cour a conclu qu’il n’y a pas de règle « automatique » quant à la qualité pour agir en ce qui a trait aux messages textes. Comme l’a reconnu la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Marakah, une conversation par messages textes « peut, dans certains cas, susciter une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée », mais cela « ne conduit pas forcément à la conclusion selon laquelle un échange de messages électroniques fait toujours naître une telle attente » (par. 5 (en italique dans l’original)). La question de savoir si une personne a une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard d’une conversation par messages textes doit être évaluée en fonction de l’ensemble des circonstances dans chaque cas.
[41] À mon avis, les quatre questions de l’analyse relative à l’art. 8 établissent que M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes avec un interlocuteur qu’il pensait être M. Gammie. Bien que le seul point contesté soit le caractère objectivement raisonnable de son attente subjective au respect de sa vie privée, je vais brièvement examiner chacun des autres points aussi.
Pour décider si une attente subjective au respect de la vie privée est objectivement raisonnable, les tribunaux doivent recourir à une approche à la fois normative et neutre sur le plan du contenu.
L’approche normative : Bien qu’il doive tenir compte du contexte factuel, l’examen abonde inévitablement en jugements de valeur quant au genre de société libre et démocratique dans lequel les Canadiennes et les Canadiens raisonnables et bien informés s’attendent à vivre, en fonction de préoccupations sur les conséquences à long terme du fait de tolérer l’intrusion de l’État dans la vie privée des individus
[48] La question de savoir s’il y a une attente raisonnable au respect de la vie privée n’appelle pas « un examen purement factuel »; l’examen « est de nature normative et non simplement descriptive » (Spencer, par. 18; voir aussi Tessling, par. 42). Bien qu’il doive tenir compte du contexte factuel, l’examen abonde inévitablement en jugements de valeur quant au genre de société libre et démocratique dans lequel les Canadiennes et les Canadiens raisonnables et bien informés s’attendent à vivre, en fonction de préoccupations sur les conséquences à long terme du fait de tolérer l’intrusion de l’État dans la vie privée des individus (Spencer, par. 18; Patrick, par. 27; Bykovets, par. 52; voir aussi H. Stewart, « Normative Foundations for Reasonable Expectations of Privacy » (2011), 54 S.C.L.R. (2d) 335, p. 342‑347; S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (3e éd. 2022), ¶3.38).
[49] L’approche normative concernant l’art. 8 « exige que nous appliquions une approche large et fonctionnelle à l’objet de la fouille, et que nous nous concentrions sur le risque qu’elle révèle des renseignements d’ordre personnel ou biographique » (Bykovets, par. 7 (en italique dans l’original), citant Marakah, par. 32; voir aussi R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531, par. 28; Tessling, par. 42; Spencer, par. 18; Stewart, p. 335 et 342‑343).
L’approche neutre sur le plan du contenu : L’approche neutre sur le plan du contenu reconnaît que les personnes conservent leur droit à la protection de la vie privée garantie par l’article 8 de la Charte, même lorsqu’elles se livrent à une activité criminelle au moment de la fouille, de la perquisition ou de la saisie.
[50] Il est également établi que « [l]’analyse fondée sur l’art. 8 [doit être] neutre au plan du contenu » (Marakah, par. 48). Par conséquent, « les fruits d’une fouille ou d’une perquisition ne peuvent être utilisés pour justifier une atteinte abusive à la vie privée » (par. 48). Les précédents de notre Cour relatifs à l’approche neutre sur le plan du contenu établissent que les gens n’ont pas moins droit à la protection de la vie privée garantie par l’art. 8 de la Charte du fait qu’ils se livraient à une activité criminelle au moment de la fouille, de la perquisition ou de la saisie.
[51] L’arrêt R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36, est une décision de principe en ce qui a trait à l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8. Notre Cour a conclu que l’accusé avait une attente raisonnable au respect de la vie privée dans une chambre d’hôtel où la police avait installé une caméra vidéo sans autorisation judiciaire au cours d’une enquête visant une maison de jeu « flottante ». Elle a souligné que la question de savoir si une personne a une attente raisonnable au respect de sa vie privée « devrait [. . .] être posée en termes plus généraux et plus neutres » (p. 50). La question est de savoir non pas « si les personnes qui commettent des actes illégaux dans une chambre d’hôtel verrouillée peuvent raisonnablement s’attendre au respect de leur vie privée » (une approche axée sur le contenu), mais plutôt « si dans une société comme la nôtre, les personnes qui se retirent dans une chambre d’hôtel et qui ferment la porte derrière elles peuvent raisonnablement s’attendre au respect de leur vie privée » (une approche neutre sur le plan du contenu) (p. 50).
[52] Suivant l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8, l’existence d’une attente raisonnable au respect de la vie privée ne dépend pas de « la nature légale ou illégale de la chose recherchée » (Spencer, par. 36; voir aussi Reeves, par. 28; Patrick, par. 32; R. c. Gomboc, 2010 CSC 55, [2010] 3 R.C.S. 211, par. 39; D. Stuart, Charter Justice in Canadian Criminal Law (7e éd. 2018), p. 307; Penney, Rondinelli et Stribopoulos, ¶3.37). Pour les besoins de l’art. 8, « il ne faut pas se demander si [le demandeur] a enfreint la loi, mais bien si la police a outrepassé les limites du pouvoir de l’État » (Reeves, par. 2).
Il n’existe pas de liste exhaustive ou définitive de facteurs pertinents lorsqu’il s’agit de décider si l’attente subjective d’un demandeur au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet d’une fouille est objectivement raisonnable. Les facteurs pertinents comprennent notamment :
(i) si les renseignements tendent à révéler des détails intimes ou biographiques concernant le mode de vie et les choix personnels de l’individu visé par la prétendue fouille;
(ii) l’endroit où a eu lieu la prétendue fouille;
(iii) si l’objet de la prétendue fouille était à la vue du public;
(iv) si l’objet avait été abandonné;
(v) si les renseignements étaient déjà entre les mains de tiers et, dans l’affirmative, s’ils étaient visés par une obligation de confidentialité;
(vi) si la technique policière avait un caractère intrusif par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée;
(vii) si l’individu était présent au moment de la prétendue fouille;
(viii) la possession, le contrôle, la propriété et l’usage historique du bien ou du lieu qui aurait été fouillé; et
(ix) l’habilité à régir l’accès au lieu de la fouille, y compris le droit d’y recevoir ou d’en exclure autrui (Plant, p. 293; Tessling, par. 32; Edwards, par. 45).
[53] Il n’existe pas de liste exhaustive ou définitive de facteurs pertinents lorsqu’il s’agit de décider si l’attente subjective d’un demandeur au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet d’une fouille est objectivement raisonnable (Bykovets, par. 45; Cole, par. 45; Marakah, par. 24). Les facteurs pertinents comprennent notamment :
(i) si les renseignements tendent à révéler des détails intimes ou biographiques concernant le mode de vie et les choix personnels de l’individu visé par la prétendue fouille;
(ii) l’endroit où a eu lieu la prétendue fouille;
(iii) si l’objet de la prétendue fouille était à la vue du public;
(iv) si l’objet avait été abandonné;
(v) si les renseignements étaient déjà entre les mains de tiers et, dans l’affirmative, s’ils étaient visés par une obligation de confidentialité;
(vi) si la technique policière avait un caractère intrusif par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée;
(vii) si l’individu était présent au moment de la prétendue fouille;
(viii) la possession, le contrôle, la propriété et l’usage historique du bien ou du lieu qui aurait été fouillé; et
(ix) l’habilité à régir l’accès au lieu de la fouille, y compris le droit d’y recevoir ou d’en exclure autrui (Plant, p. 293; Tessling, par. 32; Edwards, par. 45).
[54] Les parties ont axé leurs observations devant notre Cour sur trois facteurs : (1) la nature privée de l’objet; (2) le caractère intrusif de la technique policière par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée; et (3) le niveau de contrôle sur les renseignements.
L’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8 exige du tribunal qu’il se demande si le type de renseignements en cause risque de révéler ou a tendance à révéler des renseignements privés au sujet du demandeur, quel que soit le contenu effectif de la conversation.
[60] Bien que je sois d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge du procès a commis une erreur en concluant que M. Campbell n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée dans les circonstances, je suis respectueusement d’avis que les deux juridictions ont fait erreur en mettant l’accent sur le contenu effectif des messages textes en cause plutôt que sur le risque que la conversation ne révèle ou la tendance de la conversation à révéler des renseignements très personnels et biographiques au sujet des participants. Le juge du procès a affirmé que la conversation de M. Campbell par messages textes [traduction] « ne révélait aucun renseignement d’ordre personnel ou biographique à son sujet et n’était pas non plus susceptible d’en révéler » parce qu’il s’agissait de « propos banals qui, à une autre époque, auraient pu être entendus dans un autobus » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 44). Pour sa part, la Cour d’appel s’est attachée au fait que la conversation portait [traduction] « sur une transaction de drogue, chose dont on pourrait essayer d’éviter qu’elle ne soit entendue dans un autobus » (par. 40). Comme l’a affirmé notre Cour, cependant, l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8 qui est suivie depuis longtemps exige du tribunal qu’il se demande si le type de renseignements en cause risque de révéler ou a tendance à révéler des renseignements privés au sujet du demandeur, quel que soit le contenu effectif de la conversation (Marakah, par. 31‑32).
[61] À mon avis, la nature privée de l’objet en cause risque de révéler ou a tendance à révéler des renseignements privés au sujet de M. Campbell, et étaye donc sa prétention suivant laquelle il avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de sa conversation par messages textes.
Le caractère intrusif de la technique policière par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée en cause peut être important dans l’appréciation de la question de savoir si l’attente subjective du demandeur au respect de sa vie privée est objectivement raisonnable.
[62] Le caractère intrusif de la technique policière par rapport à l’intérêt au respect de la vie privée en cause peut être important dans l’appréciation de la question de savoir si l’attente subjective du demandeur au respect de sa vie privée est objectivement raisonnable (Tessling, par. 32 et 50; Plant, p. 295). Il s’agit d’une considération distincte de la question de savoir si les policiers ont agi légalement, laquelle est pertinente pour permettre d’établir si la conduite de l’État était « abusive » en deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 8 (Edwards, par. 33).
Le partage du contrôle des renseignements en cause peut réduire sans nécessairement éliminer l’attente raisonnable d’une personne au respect de sa vie privée.
Par conséquent, les conversations par messages textes peuvent être protégées par un « espace privé » qui s’étend au‑delà de l’appareil mobile d’une personne jusqu’au destinataire du message, même lorsque cette personne « communique des renseignements personnels à d’autres personnes ».
La question pertinente sous le régime de l’art. 8 n’est pas celle de savoir si la personne s’attendait raisonnablement à ce que l’objet de la fouille demeure confidentiel à l’égard de n’importe qui; l’important est de savoir si elle s’attendait raisonnablement à ce qu’il demeure confidentiel à l’égard de l’intrusion de l’État.
[66] De plus, la position de la Couronne ne tient pas compte du fait que le contrôle ne permet pas de trancher la question de la qualité pour agir. Comme la juge en chef McLachlin l’a souligné dans l’arrêt Marakah, « le contrôle n’est pas un indicateur absolu de l’existence d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, pas plus que l’absence de contrôle ne porte un coup fatal à la reconnaissance d’un intérêt en matière de vie privée » (par. 38; voir aussi Reeves, par. 37) « [U]ne personne ne perd pas le contrôle de renseignements pour l’application de l’art. 8 uniquement parce que quelqu’un d’autre les possède ou peut les consulter » (Marakah, par. 41; voir aussi le par. 68). Le partage du contrôle des renseignements en cause peut réduire sans nécessairement éliminer l’attente raisonnable d’une personne au respect de sa vie privée. Par conséquent, les conversations par messages textes peuvent être protégées par un « espace privé » qui s’étend au‑delà de l’appareil mobile d’une personne jusqu’au destinataire du message, même lorsque cette personne « communique des renseignements personnels à d’autres personnes » (par. 37).
[67] L’attente raisonnable au respect de la vie privée de M. Campbell s’étendait donc de l’utilisation du téléphone de Dew aux textos qu’il a envoyés et reçus lors de sa conversation électronique avec un interlocuteur qu’il croyait être M. Gammie. Il n’a pas perdu la protection de l’art. 8 de la Charte simplement en partageant des renseignements privés avec l’autre participant à sa conversation par messages textes ou en utilisant le téléphone d’une connaissance.
[68] La question pertinente sous le régime de l’art. 8 n’est pas celle de savoir si la personne s’attendait raisonnablement à ce que l’objet de la fouille demeure confidentiel à l’égard de n’importe qui; l’important est de savoir si elle s’attendait raisonnablement à ce qu’il demeure confidentiel à l’égard de l’intrusion de l’État(R. c. Duarte, 1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30, p. 46; Wong, p. 43‑44 et 47‑48; Plant, p. 291; Tessling, par. 18; Marakah, par. 40‑45). L’« espace privé » protégé par l’art. 8 de la Charte comprend le droit de « protége[r] les renseignements personnels contre les intrusions de l’État » (Marakah, par. 37). À mon avis, eu égard à l’ensemble des circonstances, M. Campbell avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de l’intrusion de l’État dans sa conversation par messages textes.
Il n’est pas nécessairement inapproprié que les policiers répondent au téléphone d’une personne en état d’arrestation et parlent avec une personne qui ne se doute de rien, comme ce fut le cas dans R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520.
Cependant, avoir une conversation téléphonique avec l’auteur d’un appel est différent sur le plan constitutionnel du fait de créer un enregistrement électronique permanent de la communication au moyen d’un enregistrement sonore clandestin ou en utilisant le véhicule que constitue la messagerie texte.
L’enregistrement clandestin d’une communication par la police constitue une fouille, une perquisition ou une saisie sur le plan constitutionnel.
[70] À l’instar de la Cour d’appel, je suis d’avis de rejeter cet argument. Je reconnais qu’il n’est pas nécessairement inapproprié que les policiers répondent au téléphone d’une personne en état d’arrestation et parlent avec une personne qui ne se doute de rien, comme ce fut le cas dans R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520. Cependant, avoir une conversation téléphonique avec l’auteur d’un appel est différent sur le plan constitutionnel du fait de créer un enregistrement électronique permanent de la communication au moyen d’un enregistrement sonore clandestin ou en utilisant le véhicule que constitue la messagerie texte. L’enregistrement clandestin d’une communication par la police constitue une fouille, une perquisition ou une saisie sur le plan constitutionnel. Comme l’a affirmé le juge La Forest dans l’arrêt Duarte, « [u]ne conversation avec un indicateur n’est pas une fouille, une perquisition ou une saisie au sens de la Charte. Toutefois l’interception et l’enregistrement électroniques clandestins d’une communication privée en sont » (p. 57). De même, comme la juge Arbour l’a affirmé dans l’arrêt R. c. Fliss, 2002 CSC 16, [2002] 1 R.C.S. 535, par. 12, « une conversation avec un indicateur, ou un policier, n’est pas une fouille, une perquisition ou une saisie. Seul l’enregistrement de cette conversation l’est ».
[71] En l’espèce, les policiers n’ont pas enregistré clandestinement la conversation de M. Campbell. C’est plutôt le moyen de communication lui‑même, soit la messagerie texte, qui a généré le relevé de la conversation (TELUS Communications, par. 34). Ce véhicule peut donner lieu à une attente raisonnable au respect de la vie privée, ce qui n’empêche pas en soi les activités d’infiltration policière. Cette attente impose plutôt simplement des restrictions d’ordre constitutionnel aux enquêtes policières qui font intervenir la messagerie texte en exigeant des policiers qu’ils se conforment à l’art. 8 de la Charte (voir Marakah; Jones).
Marakah demeure l’arrêt faisant autorité lorsqu’une conversation par messages textes suscite une attente raisonnable au respect de la vie privée en vertu de l’art. 8.
Par conséquent, il n’est pas nécessaire de décider si Mills est à juste titre considéré comme créant une « exception » à Marakah ou comme s’écartant de l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8 de la Charte.
[74] Quatre séries de motifs ont été rendues dans l’arrêt Mills, et il n’y a pas eu de décision majoritaire. Le juge Brown, au nom d’une pluralité de juges de la Cour, a expressément appliqué l’approche de l’« ensemble des circonstances » et de nature normative dans l’appréciation du caractère objectivement raisonnable au regard de l’art. 8, et il a conclu que l’accusé n’avait pas une attente raisonnable au respect de sa vie privée eu égard à l’ensemble des circonstances (par. 13 et 20). Il a fondé sa conclusion sur ce qu’il a décrit comme une proposition « modeste » selon laquelle l’accusé ne pouvait pas établir « une attente objectivement raisonnable au respect de sa vie privée dans les circonstances de l’espèce, où il s’est entretenu en ligne avec une enfant qui était une inconnue pour lui et où, élément le plus important, les policiers savaient qu’un tel entretien aurait lieu au moment où ils ont créé l’enfant en question » (par. 30 (en italique dans l’original)). Dans ses motifs, le juge Brown a également cité l’arrêt Marakah avec approbation (par. 12‑14 et 16).
[75] La juge Karakatsanis, au nom d’une minorité de juges de la Cour, a conclu que l’accusé n’avait aucune attente raisonnable au respect de sa vie privée parce qu’il était comme quelqu’un qui « parle, sans le savoir, à un agent d’infiltration en personne » (par. 44). Elle a conclu que, comme l’accusé « ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le destinataire visé de ses messages n’en prenne pas connaissance, l’art. 8 n’entre pas en jeu » (par. 44). L’accusé avait choisi l’écrit comme moyen de communication et savait qu’un enregistrement électronique permanent de ses communications existait (par. 48 et 55). La juge Karakatsanis ne s’est pas écartée non plus de l’approche de l’ensemble des circonstances relative à l’art. 8 et a elle aussi cité l’arrêt Marakah avec approbation (par. 49 et 60).
[76] Le juge Moldaver, qui a souscrit au résultat, a affirmé que les motifs respectifs des juges Brown et Karakatsanis étaient « bien fondé[s] en droit »(par. 66).
[77] Enfin, la juge Martin, qui a elle aussi souscrit au résultat, aurait conclu à une violation de l’art. 8, mais n’aurait pas écarté la preuve en vertu du par. 24(2)de la Charte.
[78] Il n’y a donc pas eu de décision majoritaire dans Mills. Comme l’a souligné à juste titre la Cour d’appel, cependant, ni le juge Brown ni la juge Karakatsanis n’ont [traduction] « tenté de se distancier » de l’arrêt Marakah (par. 60). Selon moi, Marakah demeure l’arrêt faisant autorité lorsqu’une conversation par messages textes suscite une attente raisonnable au respect de la vie privée en vertu de l’art. 8. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de décider si Mills est à juste titre considéré comme créant une « exception » à Marakah ou comme s’écartant de l’approche neutre sur le plan du contenu relative à l’art. 8 de la Charte.
Les moyens technologiques modernes de surveillance électronique, « s’ils ne sont pas contrôlés, sont susceptibles de supprimer toute vie privée ». L’adoption de la partie VI était motivée par les inquiétudes que soulevaient l’utilisation de moyens technologiques de surveillance envahissants ainsi que l’incidence de ceux‑ci sur la vie privée des citoyens.
[86] Le Parlement a édicté la partie VI du Code criminel, « Atteintes à la vie privée » (art. 183 à 196.1), à titre de régime exhaustif sur l’interception de communications privées en établissant un équilibre entre le droit d’une personne au respect de sa vie privée et le besoin collectif d’application de la loi (Wakeling c. États-Unis d’Amérique, 2014 CSC 72, [2014] 3 R.C.S. 549, par. 26; Duarte, p. 45; Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287, par. 39). La partie VI crée des infractions, établit des procédures pour l’interception autorisée de communications privées lors d’enquêtes sur certains crimes et indique quand des communications interceptées peuvent être admissibles en preuve.
[87] La partie VI (alors la partie IV.1) a été édictée en 1974 à une époque où l’utilisation de moyens technologiques de surveillance envahissants, comme les dispositifs d’écoute électronique, pour écouter clandestinement les conversations privées de citoyens suscitait de grandes inquiétudes (Duarte, p. 38‑39 et 43‑44; Jones, par. 73; R. c. McQueen (1975), 1975 CanLII 1373 (AB CA), 25 C.C.C. (2d) 262 (C.S. Alb. (Div. app.)), p. 268). Lors de la présentation de la mesure législative, le ministre de la Justice Otto E. Lang a affirmé que « ce projet de loi cherche à augmenter la protection de la vie privée au Canada en rendant illégale, de façon générale, l’utilisation de toute une série de dispositifs qui peuvent intercepter les conversations des gens contre leur gré » (Débats de la Chambre des communes, vol. IV, 1re sess., 29e lég., 8 mai 1973, p. 3538, à propos du projet de loi C‑176).
[88] Peu après l’édiction de la partie VI, la Cour suprême de l’Alberta, division d’appel, dans l’arrêt McQueen, a décrit la mesure législative comme étant [traduction] « l’aboutissement de vastes et longs efforts visant à imposer un certain contrôle législatif sur le recours sans distinction à des pratiques appelées communément écoute électronique, qui requiert du matériel spécial [. . .] utilisé à l’insu de la personne faisant l’objet d’une surveillance » (p. 268). Comme la juge Côté l’a souligné plus récemment dans l’arrêt Jones de notre Cour, « l’adoption de la partie VI était motivée par les inquiétudes que soulevaient l’utilisation de moyens technologiques de surveillance envahissants ainsi que l’incidence de ceux‑ci sur la vie privée des citoyens » (par. 73; voir aussi Duarte, p. 43‑44; Lyons c. La Reine, 1984 CanLII 30 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 633, p. 664; R. c. Pires, 2005 CSC 66, [2005] 3 R.C.S. 343, par. 8; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, par. 26; TELUS Communications, par. 2 et 45). Les moyens technologiques modernes de surveillance électronique, « s’ils ne sont pas contrôlés, sont susceptibles de supprimer toute vie privée » (Jones, par. 74, citant Wong, p. 47; voir aussi R. c. Hafizi, 2023 ONCA 639, 168 O.R. (3d) 435, par. 110‑113). L’objet de la partie VI est donc d’imposer des mesures de contrôle sur l’utilisation de moyens technologiques de surveillance envahissants qui menacent de porter atteinte à la vie privée des gens.
…
[90] Le paragraphe 184(2) prévoit une exonération de la responsabilité criminelle prévue au par. 184(1) dans certaines circonstances, notamment lorsqu’une partie à la communication privée consent à l’interception ou que cette dernière est autorisée par voie judiciaire (al. 184(2)a) et b); voir E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), § 4:3; M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2024 (31e éd. 2024), par. 12.2 et 12.12).
[91] Même lorsqu’un des participants consent à l’interception, une autorisation judiciaire préalable est requise en vertu de l’art. 184.2 pour permettre le recours à ce qu’on appelle la « surveillance participative » comme technique d’enquête. Dans les situations où aucun des participants à une communication privée ne consent à l’interception, les art. 185 et 186 établissent les exigences d’une demande d’autorisation judiciaire pour ce qu’on appelle la « surveillance électronique par un tiers » sous le régime de la partie VI (voir Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 12.54; R. c. Bordage, 2000 CanLII 6273 (C.A. Qc); R. c. Largie, 2010 ONCA 548, 101 O.R. (3d) 561, par. 39‑58).
[92] Comme notre Cour l’a souligné, « [e]n comparaison des conditions prévues par d’autres dispositions du Code [criminel] se rapportant aux fouilles, saisies, perquisitions et mandats, [les dispositions de la partie VI] comportent des exigences plus strictes au titre de la protection de la vie privée » (TELUS Communications, par. 27, la juge Abella). Par exemple, l’al. 186(1)b) exige que « d’autres méthodes d’enquête [aient] été essayées et [aient] échoué, ou [aient] peu de chance de succès, ou que l’urgence de l’affaire [soit] telle qu’il ne serait pas pratique de mener l’enquête relative à l’infraction en n’utilisant que les autres méthodes d’enquête ». La police doit démontrer qu’il n’y avait « aucune autre méthode d’enquête raisonnable, dans les circonstances de l’enquête criminelle considérée » (R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 29 (soulignement omis), cité dans TELUS Communications, par. 28).
[93] En vertu de l’art. 184.4, la « disposition sur l’écoute électronique en cas d’urgence », un policier peut intercepter une communication privée sans autorisation judiciaire préalable si : a) il a des motifs raisonnables de croire qu’une interception immédiate est nécessaire pour empêcher un acte illicite qui causerait des dommages sérieux à une personne ou à un bien; b) une autorisation judiciaire ne peut être obtenue avec toute la diligence raisonnable; et c) l’auteur de la communication ou la personne à laquelle elle est destinée est soit la personne qui commettrait l’acte illicite, soit la personne qui subirait les dommages causés par celui‑ci (voir Tse, par. 1‑2).
La nécessité d’un « dispositif ou appareil » distinct qui effectue l’interception par des moyens technologiques subreptices ressort également du contexte législatif pertinent, notamment la disposition relative à l’autorisation judiciaire, l’art. 186. Le paragraphe 186(5.1) prévoit que « l’autorisation est assortie du pouvoir d’installer secrètement un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre et de l’entretenir et l’enlever secrètement ».
[96] Comme l’a souligné la juge Côté dans l’arrêt Jones, « l’interception correspond aux actes accomplis par un tiers qui s’interpose en temps réel dans le processus de communication en recourant à des moyens technologiques » (par. 72 (je souligne)). La partie VI exige [traduction] « l’utilisation d’un “dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre”, autre qu’un appareil de correction auditive (c.‑à‑d., pas simplement l’oreille nue) » (Ewaschuk, § 4:7 (italique omis); voir aussi S. C. Hutchison et autres, Search and Seizure Law in Canada (feuilles mobiles), § 4:15 et 4:17; Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 12.2 (« au moyen d’un dispositif technique »)).
[97] À titre d’exemple, dans l’arrêt R. c. Beairsto, 2018 ABCA 118, 68 Alta. L.R. (6th) 207, que le juge du procès a cité avec approbation en l’espèce (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 104) et qui porte sur des faits semblables à ceux de la présente affaire, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu qu’à moins que la police n’utilise un moyen technologique de surveillance envahissant, une tromperie ou ruse policière ne constitue pas une interception au sens de la partie VI. Dans l’affaire Beairsto, la police a saisi le téléphone cellulaire d’un suspect accessoirement à son arrestation. Lors de la saisie, un agent a remarqué que le téléphone n’était pas verrouillé et a vu une conversation par messages textes en cours où il semblait être question de trafic de drogue. L’agent a participé à la conversation par messages textes sur le téléphone saisi et un autre dispositif, amenant l’autre partie, par la ruse, à lui envoyer un kilogramme de cocaïne, ce qui a conduit à l’arrestation de cette partie. La Cour d’appel de l’Alberta a conclu que la conduite policière n’était pas une interception au sens de la partie VI parce que, sans utilisation d’un moyen technologique de surveillance envahissant, [traduction] « une tromperie n’équivaut pas à une interception » (par. 24). Comme l’a expliqué la cour :
[traduction] . . . il est important de faire la distinction entre la divulgation de communications privées qui ont été trouvées et l’interception de communications privées. Lorsqu’une enquête comporte une tromperie de base quant à la personne avec laquelle l’appelant communique, et qu’il n’y a pas de moyens technologiques envahissants qui équivalent à une « interposition » entre le destinataire et l’expéditeur, aucune interception n’est établie. [par. 25]
[98] La nécessité d’un « dispositif ou appareil » distinct qui effectue l’interception par des moyens technologiques subreptices ressort également du contexte législatif pertinent, notamment la disposition relative à l’autorisation judiciaire, l’art. 186. Le paragraphe 186(5.1) prévoit que « l’autorisation est assortie du pouvoir d’installer secrètement un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre et de l’entretenir et l’enlever secrètement ». De même, le par. 186(5.2) ajoute que le juge qui a donné l’autorisation visée au par. 186(5.1) peut plus tard donner une deuxième autorisation « permettant que » le dispositif « soit enlevé secrètement » après l’expiration de la première autorisation. Un « dispositif ou appareil » ne peut être installé, entretenu ou enlevé que s’il est distinct du moyen de communication que son utilisation vise à intercepter.
[99] En communiquant avec M. Campbell, les policiers ne se sont pas servis d’un « dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre » de nature envahissante qui pouvait être « utilisé ou pouvant être utilisé pour intercepter une communication privée ». Ils ont simplement répondu aux messages textes reçus sur le téléphone de M. Gammie, le même moyen de communication ou dispositif que M. Campbell avait utilisé pour établir la communication. Bien que constituant à première vue une intrusion dans l’attente raisonnable au respect de la vie privée de M. Campbell, cela n’a pas nécessité l’utilisation d’un moyen technologique de surveillance secrète, contrairement à ce qu’exige la partie VI.
Les policiers peuvent fouiller un téléphone cellulaire accessoirement à une arrestation « pourvu que la fouille — ce que l’on fouille et la façon de le faire — soit strictement accessoire à l’arrestation et que les policiers conservent des notes détaillées de ce qu’ils ont fouillé et des raisons pour le faire ».
[103] La police a le pouvoir en common law de fouiller une personne accessoirement à une arrestation légale et de saisir les objets en sa possession ou se trouvant dans l’espace environnant l’arrestation, dans le but d’assurer la sécurité des policiers et de la personne en état d’arrestation, d’empêcher l’évasion de cette dernière ou encore de constituer une preuve contre elle (R. c. Stairs, 2022 CSC 11, [2022] 1 R.C.S. 169, par. 34; Cloutier c. Langlois, 1990 CanLII 122 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 158, p. 180‑181). Ce pouvoir est « extraordinaire » parce qu’il ne requiert ni mandat ni motifs raisonnables et probables (Stairs, par. 34, citant Fearon, par. 16 et 45). Il exige simplement « un motif raisonnable » de faire ce que la police a fait (Caslake, par. 20).
[104] Une fouille accessoire à une arrestation est légale si : (1) l’arrestation elle‑même était légale; (2) la fouille était véritablement accessoire à l’arrestation, en ce qu’elle visait un objectif valable d’application de la loi lié à l’arrestation; et (3) la fouille n’était pas abusive (Fearon, par. 21 et 27; Stairs, par. 35). Les objectifs valables d’application de la loi comprennent les suivants : assurer la sécurité des policiers ou du public, empêcher la destruction d’éléments de preuve et découvrir des éléments de preuve qui pourraient être utilisés au procès (Fearon, par. 75; Stairs, par. 36).
[105] Dans l’arrêt Fearon, le juge Cromwell a conclu que le pouvoir policier de fouiller un téléphone cellulaire accessoirement à une arrestation légale « doit être exercé avec une grande circonspection » (par. 80) et il ne peut être exercé que dans des circonstances limitées (par. 83). Les policiers peuvent fouiller un téléphone cellulaire accessoirement à une arrestation « pourvu que la fouille — ce que l’on fouille et la façon de le faire — soit strictement accessoire à l’arrestation et que les policiers conservent des notes détaillées de ce qu’ils ont fouillé et des raisons pour le faire » (par. 4 (je souligne)). Le juge Cromwell a souligné que la fouille doit « viser un objectif valable d’application de la loi lié à l’infraction pour laquelle le suspect a été arrêté », ce qui « empêche que les téléphones cellulaires soient inspectés couramment et d’une manière trop générale » (par. 57 (je souligne)).
[106] La Couronne fait valoir que les policiers avaient pour objectif d’application de la loi de préserver la sécurité publique puisque les quatre premiers textos apparaissant sur le téléphone de M. Gammie ont averti les policiers d’une possible vente d’héroïne additionnée de fentanyl, ce qui posait un risque grave pour la sécurité publique. La Couronne soutient que la conversation par messages textes qui a suivi entre les policiers et M. Campbell était accessoire à l’arrestation légale de M. Gammie et s’inscrivait dans la poursuite de cet objectif de sécurité publique. La Couronne cite, à l’appui, les propos du juge Cromwell dans l’arrêt Fearon, selon lesquels « [u]ne fouille d’un téléphone cellulaire effectuée rapidement peut mener les enquêteurs à d’autres auteurs du crime et à des biens volés qu’on peut facilement faire disparaître » (par. 67 (je souligne)). La Couronne affirme que c’est ce qui s’est produit en l’espèce.
[107] Je ne suis pas de cet avis. La fouille du téléphone cellulaire de M. Gammie n’était pas une fouille « strictement » liée à son arrestation ou à l’infraction pour laquelle il a été arrêté. Il s’agissait d’une fouille visant à recueillir des éléments de preuve contre un autre trafiquant de drogues suspecté, Dew, qui s’est avéré être M. Campbell. Monsieur Campbell n’était pas non plus « un autre auteur » de l’infraction pour laquelle M. Gammie a été arrêté. Monsieur Campbell a plutôt été arrêté pour des infractions distinctes de trafic et de possession de drogues.
[108] La conversation par messages textes que les policiers ont eue avec M. Campbell au moyen du téléphone de M. Gammie n’était pas une fouille légale accessoire à l’arrestation de M. Gammie.
La situation concernait une vente de drogue suspectée requérant une intervention policière immédiate.
[112] Dans l’arrêt Paterson, le juge Brown a considéré que le par. 11(7) comportait deux exigences. Premièrement, il faut démontrer « l’urgence de la situation », qui « dénote non pas simplement l’idée de commodité, d’avantage ou d’économie, mais plutôt d’urgence, une urgence découlant de circonstances qui commandent une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public » (par. 33). Deuxièmement, il faut démontrer que les conditions de délivrance d’un mandat étaient réunies, mais que l’urgence de la situation « rend[ait] l’obtention d’un mandat “difficilement réalisable” », c’est‑à‑dire « impossible dans les faits ou inenvisageable » (par. 34 et 36; voir aussi le par. 28). Par conséquent, « [i]l faut [. . .] établir que l’urgence de la situation a fait en sorte que l’obtention d’un mandat était difficilement réalisable » (par. 34). Le juge Brown a résumé comme suit les deux exigences du par. 11(7) :
. . . pour qu’une entrée sans mandat réponde aux exigences du par. 11(7), le ministère public doit démontrer qu’elle s’imposait en raison de l’existence d’une urgence commandant une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public. De plus, il faut démontrer que cette urgence était telle que prendre le temps d’obtenir un mandat aurait sérieusement compromis ces impératifs. [par. 37]
…
[115] L’appréciation de la preuve et les conclusions de fait du juge du procès dans l’application du par. 11(7) commandent une « grande retenue » en appel (voir R. c. Cornell, 2010 CSC 31, [2010] 2 R.C.S. 142, par. 25; Hobeika, par. 45). Toutefois, la question de savoir si les faits constatés par le juge du procès satisfont à la norme légale relative à l’urgence prévue au par. 11(7) est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, par. 20; R. c. Dussault, 2022 CSC 16, [2022] 1 R.C.S. 306, par. 26; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 60). Comme l’a souligné notre Cour, « [l]a question de savoir s’il existait des motifs raisonnables de craindre pour la sécurité ou de craindre que des éléments de preuve ne soient détruits ne doit pas être examinée [traduction] “à la lumière de ce qu’on sait aujourd’hui” » (Cornell, par. 23, citant Crampton c. Walton, 2005 ABCA 81, 40 Alta. L.R. (4th) 28, par. 45). Les tribunaux ne devraient pas remettre en question les décisions opérationnelles raisonnables prises par les policiers (Hobeika, par. 52, citant Cornell, par. 24 et 36).
[122] Je n’accepte pas non plus l’argument de M. Campbell selon lequel la Cour d’appel a examiné les motifs du juge du procès au regard de la mauvaise norme légale relative à l’urgence au titre du par. 11(7). La Cour d’appel a affirmé que, si les policiers n’avaient pas intercepté cette transaction, [traduction] « [l]a drogue aurait été hors de portée de la police et vendue à quelqu’un d’autre à un autre moment et serait finalement parvenue aux consommateurs dans la rue » (par. 83 (je souligne)). Monsieur Campbell soutient que les mots « à un autre moment » et « finalement » ne satisfont pas à la norme élevée énoncée dans l’arrêt Paterson, suivant laquelle l’urgence de la situation doit requérir « une intervention immédiate des policiers » (par. 33) pour prévenir « un risque imminent » (par. 32, citant Grant, p. 243).
[123] Je conviens que, pris isolément, les mots « à un autre moment » et « finalement » n’expriment pas correctement le seuil légal relatif à l’urgence envisagé dans l’arrêt Paterson. Néanmoins, la Cour d’appel a appliqué la bonne norme légale, laquelle consiste à se demander si la situation requérait une intervention policière immédiate. Dans le paragraphe suivant, la Cour d’appel a accepté que [traduction] « le juge du procès a conclu qu’une intervention immédiate était requise » (par. 84 (je souligne, italique omis)). Le juge du procès avait lui‑même appliqué la norme relative à l’urgence énoncée dans l’arrêt Paterson et avait conclu que « [s]ans une intervention immédiate, la transaction et la drogue étaient à risque » (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 100 (je souligne)). Je ne vois donc aucune erreur dans la façon dont la Cour d’appel a appliqué la norme relative à l’urgence énoncée dans l’arrêt Paterson.
[124] En l’espèce, les policiers devaient agir immédiatement pour intercepter la vente de la drogue en question afin d’empêcher qu’elle fasse l’objet d’un trafic au sein de la collectivité de façon imminente. La Couronne n’avait pas à établir que les policiers disposaient d’une preuve indiquant que Dew avait prévu une autre vente en particulier si la vente à M. Gammie tombait à l’eau.
La police ne peut pas élaborer une stratégie d’enquête permettant de créer une situation d’urgence afin de procéder sans mandat.
[125] Enfin, je suis d’accord que la police ne peut pas élaborer une stratégie d’enquête permettant de créer une situation d’urgence afin de procéder sans mandat. Dans certains cas, [traduction] « [s]i la stratégie policière crée la prétendue urgence, il ne s’agit pas d’une situation d’“urgence”, mais d’une situation prévue, voire planifiée par la police » (Hobeika, par. 49, le juge Doherty, citant R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 297, par. 49‑53 et 84‑86, le juge La Forest, dissident, et R. c. Phoummasak, 2016 ONCA 46, 350 C.R.R. (2d) 370, par. 15‑18). En l’espèce, toutefois, après les quatre premiers messages textes de Dew, les policiers [traduction] « étaient en présence d’un crime en cours » (R. c. Webster, 2015 BCCA 286, 374 B.C.A.C. 129, par. 90; voir aussi R. c. Hunter, 2015 BCCA 428, 378 B.C.A.C. 165, par. 30). Par conséquent, les policiers ont réagi à la situation d’urgence, mais ne l’ont pas créée.
Je ne partage pas la crainte de M. Campbell selon laquelle la présence suspectée de fentanyl équivaut à elle seule à une situation d’urgence dans tous les cas.
[136] Deuxièmement, M. Campbell affirme que le raisonnement du juge du procès crée de fait une « exception relative au fentanyl » à la norme de l’urgence, norme qui serait respectée dans tous les cas de trafic suspecté de drogues dangereuses. Il soutient qu’une conclusion d’urgence de la situation doit être exceptionnelle, et que, [traduction] « si la norme relative à l’urgence de la situation appliquée en l’espèce devait être validée, la police n’aurait jamais besoin d’un mandat dans un cas mettant en cause une drogue dangereuse » (m.a., par. 48).
[137] Je reconnais que, [traduction] « [d]e par sa nature, une situation urgente est exceptionnelle et ne devrait être invoquée pour justifier une violation de la vie privée d’une personne que dans les cas où c’est nécessaire » (R. c. Kelsy, 2011 ONCA 605, 280 C.C.C. (3d) 456, par. 35, le juge Rosenberg, citant R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 52). En même temps, je ne partage pas la crainte de M. Campbell selon laquelle la présence suspectée de fentanyl équivaut à elle seule à une situation d’urgence dans tous les cas. La conclusion d’urgence tirée par le juge du procès reposait à la fois sur la présence raisonnablement suspectée de fentanyl et sur la nécessité pour les policiers d’agir immédiatement en raison de l’impatience que Dew avait exprimée dans ses messages textes. Eu égard à l’ensemble des circonstances, le juge du procès pouvait conclure qu’il était raisonnablement justifié que les policiers considèrent que c’était une situation du type maintenant ou jamais qui exigeait qu’ils agissent immédiatement afin de protéger la sécurité publique.
[138] Si les faits avaient été différents, la conclusion aurait peut‑être été différente. Par exemple, si Dew avait envoyé un texto pour organiser une transaction de drogue le lendemain ou la semaine suivante, il n’y aurait peut‑être pas eu la même urgence. Selon les circonstances, les policiers auraient peut‑être été capables, et obligés, d’obtenir un mandat. Cependant, ce n’est pas ce qui s’est produit dans ce cas‑ci. Si les policiers n’étaient pas intervenus immédiatement, la drogue mortelle que M. Campbell trafiquait aurait été hors de leur portée et aurait de façon imminente fait l’objet d’un trafic auprès de consommateurs de drogues vulnérables au sein de la collectivité.