La Cour d’appel du Québec dans Delisle c. R., 2013 QCCA 952 a rendu une décision très entendue.

Voici certains principes à retenir qui émanent de la décision :

Les directives au jury

[35]        Il est acquis que ces directives doivent être évaluées d’un point de vue fonctionnel plutôt que littéral, c’est-à-dire que le tribunal d’appel doit procéder à « une analyse fonctionnelle des directives qui ont été données, et non pas [à] une analyse idéalisée des directives qui auraient pu être données »[2]. Une cour d’appel doit aborder l’exposé dans son ensemble et dans le contexte du procès en vue de déterminer si les directives sont appropriées, et non pas parfaites, en ce qu’elles ont permis au jury de juger des faits conformément aux principes de droit applicables[3]. La Cour suprême récapitule ces principes dans R. c. Daley[4] :

[30]   En déterminant si le juge du procès a donné des directives adéquates sur ces éléments dans son exposé au jury, le tribunal d’appel ne doit pas oublier ce qui suit. La règle cardinale veut que ce qui importe soit le message général que les termes utilisés ont transmis au jury, selon toutes probabilités, et non de savoir si le juge a employé une formule particulière. Le choix des mots et l’ordre des différents éléments relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge et dépendront des circonstances.

[31]   Pour établir le message général qui a vraisemblablement été transmis au jury par les termes utilisés, le tribunal d’appel considérera l’exposé dans son ensemble. Le juge du procès n’est pas tenu à la perfection dans la formulation de ses directives. L’accusé a droit à un jury qui a reçu des directives appropriées, et non des directives parfaites : voir Jacquard, par. 2. C’est l’effet global de l’exposé qui compte.

[36]        De plus, l’omission du procureur de la défense de soulever auprès du juge de première instance les passages des directives qu’il estime problématiques doit être prise en compte. Sans être déterminante, une telle omission est certes significative en ce qu’elle suggère que l’irrégularité reprochée n’est pas aussi grave que le prétend la défense[5].

 

L’admissibilité de la preuve du changement d’attitude de l’accusé

 

[57]        Contrairement à ce qu’il allègue, la preuve relative à son changement d’attitude n’était pas dénuée de valeur probante. Dans R. c. White[12], le juge Binnie dissident, mais écrivant pour la majorité sur le droit applicable, présente ainsi le raisonnement devant guider la décision d’admettre une preuve issue du comportement postérieur à l’infraction :

[140]   La preuve du comportement postérieur à l’infraction, dans son ensemble, se retrouvera simplement au dossier comme une partie banale de l’exposé des faits. Lorsqu’elle est invoquée à l’appui de la thèse de la poursuite, elle sera évidemment pertinente et admissible si, selon la logique, le bon sens et l’expérience humaine (comme le veut l’expression), elle aide à trancher une question en litige.

[58]        Il n’est pas contraire à la logique, au bon sens et à l’expérience humaine de supposer que le changement d’attitude de M. Delisle au moment où il apprend qu’une enquête est en cours constitue une preuve de son état d’esprit. Cette preuve était donc pertinente et admissible a priori.

 

La nécessité de donner des directives au jury sur la question du mobile

 

[90]        Une preuve de mobile fait partie des preuves circonstancielles qui peuvent être soumises à un jury afin de l’aider à déterminer si un acte criminel a été posé[26]. La manière d’en traiter dans les directives est habituellement laissée à la discrétion du juge du procès, sauf dans certaines circonstances, comme l’explique le juge Dickson dans Lewis c. R.[27] :

 

La nécessité de donner des directives au jury sur la question du mobile peut se situer entre deux pôles. À l’un d’entre eux l’on trouve les affaires où la preuve de l’identité du meurtrier est entièrement indirecte et la preuve du mobile par le ministère public tellement essentielle qu’on doit parler du mobile dans l’adresse au jury. […] À l’autre pôle où la directive concernant le mobile est également nécessaire, on retrouve l’affaire où il y a preuve d’une absence de mobile – un élément qui peut être très important en faveur de l’accusé. Entre ces deux pôles tombent les affaires où la nécessité de donner une directive sur la question du mobile dépend du cours du procès et de la nature et de la valeur probante de la preuve. Dans ces derniers cas, le juge de première instance doit pouvoir exercer une large discrétion. Dans l’arrêt Imrich [(1974), 6 O.R. (2d) 496, confirmé par 1977 CanLII 27 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 622], par exemple, la preuve de l’occasion exclusive était telle que la question du mobile était reléguée au second plan.

La plaidoirie du ministère public

 

[118]     L’appelant présente une série de critiques à l’endroit de la plaidoirie du ministère public. Il lui reproche d’avoir représenté faussement la preuve, d’avoir invité le jury à spéculer, d’avoir donné son avis personnel sur la crédibilité des témoins et d’avoir,selon lui, ridiculisé la position de l’appelant. Le juge n’aurait pas remédié adéquatement à ces irrégularités, ce qui aurait compromis le droit de l’appelant à un procès équitable.

 

[119]     Le ministère public rétorque qu’il est en droit d’argumenter et que son rôle ne se limite pas à résumer la preuve, comme semble le croire l’appelant. Il répond aux principaux reproches qui lui sont adressés, soulignant qu’il a rappelé maintes fois aux jurés qu’ils ne devaient pas se fier à son opinion et que la tâche d’apprécier les faits leur revenait. Le ministère public termine en notant que l’appelant a porté ces irrégularités alléguées à l’attention du juge lors du procès, qui a corrigé certaines d’entre elles, mais en a sciemment écarté d’autres, une décision qui mérite déférence.

 

[120]     Le juge Rand décrit le rôle du procureur du ministère public dans un passage maintes fois cité de l’arrêt Boucher c. R.[31] : 

It cannot be over-emphasized that the purpose of a criminal prosecution is not to obtain a conviction, it is to lay before a jury what the Crown considers to be credible evidence relevant to what is alleged to be a crime. Counsel have a duty to see that all available legal proof of the facts is presented: it should be done firmly and pressed to its legitimate strength but it must also be done fairly. The role of prosecutor excludes any notion of winning or losing; his function is a matter of public duty than which in civil life there can be none charged with greater personal responsibility. It is to be efficiently performed with an ingrained sense of the dignity, the seriousness and the justness of judicial proceedings.

[121]     Ce rôle restreint la liberté du ministère public lorsqu’il s’adresse au jury dans son exposé final. Ces limites sont énoncées en ces termes par la Cour suprême dans l’arrêt Rose[32] :

 

[107]   […] Dans cet exposé, le substitut du procureur général doit faire preuve de rigueur et d’objectivité. Il ne doit faire allusion à aucun fait qui n’a pas été établi et il ne peut présenter comme des faits à prendre en considération en vue de déclarer l’accusé coupable des affirmations pour lesquelles il n’y a pas de preuve ou qui sont fondées sur son observation et son expérience personnelle comme avocat. […] Lorsqu’il présente son exposé, le substitut du procureur général a le devoir de s’en tenir à la preuve et de limiter ses moyens de persuasion aux faits qui ont été déposés en preuve devant le jury; […]

 

[122]     Par contre, cela ne signifie pas que le ministère public ne peut pas s’efforcer de convaincre le jury de sa position, comme le fait remarquer la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Daly[33] :

 

A closing address is an exercise in advocacy. It is a culmination of a hard fought adversarial proceeding. Crown counsel, like any other advocate, is entitled to advance his or her position forcefully and effectively. Juries expect that both counsel will present their positions in that manner and no doubt expect and accept a degree of rhetorical passion in that presentation.

 

[123]     Pour décider si la Cour d’appel doit intervenir en raison d’une plaidoirie inappropriée du ministère public, il faut tenir compte à la fois de la plaidoirie et des directives finales du juge, dans l’objectif ultime de déterminer « whether the objectionable comments are seen to have deprived the accused of his right to a fair hearing on the evidence presented at trial »[34].

 

Le caractère déraisonnable du verdict

 

[139]     Le paragraphe 686(1)a)(i) C.cr. accorde à l’appelant le droit d’interjeter appel d’un verdict de culpabilité au motif qu’« il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve/it is unreasonable or cannot be supported by the evidence […] ». Dans ses arrêts de principe R. c. Yebes[39] et R. c. Biniaris[40], la Cour suprême enseigne qu’un verdict est déraisonnable ou ne peut s’appuyer sur la preuve que si un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière judiciaire ne pouvait raisonnablement le rendre. Rappelant récemment la pertinence de ce critère dans R. c. W.H.[41], le juge Cromwell écrit que le seul fait d’avoir un doute raisonnable, après l’examen du dossier, ne peut permettre à une cour d’appel de conclure au caractère déraisonnable du verdict :

[27]   La cour d’appel qui se penche sur le verdict de culpabilité prononcé par un jury doit respecter deux balises très nettes. D’une part, elle doit dûment prendre en compte la situation privilégiée du jury à titre de juge des faits ayant assisté au procès et entendu les témoignages. Elle ne doit ni devenir un « treizième juré », ni donner suite à un vague malaise ou à un doute persistant qui résulte de son propre examen du dossier, ni conclure au caractère déraisonnable du verdict pour le seul motif qu’elle a un doute raisonnable après examen du dossier.

[140]     Toujours dans R. c. W.H., la Cour suprême précise qu’une cour d’appel doit néanmoins évaluer la preuve, en s’appuyant sur son expérience judiciaire. Voici ce qu’en dit le juge Cromwell :

[28]   D’autre part, le tribunal d’appel ne peut se contenter d’apprécier le caractère suffisant de la preuve. Il ne s’acquitte pas de la tâche qui lui incombe en concluant qu’il existe des éléments de preuve qui, s’il leur est ajouté foi, étayent la déclaration de culpabilité. Il doit plutôt « examiner, [] analyser et, dans la mesure où il est possible de le faire compte tenu de la situation désavantageuse dans laquelle se trouve un tribunal d’appel, [] évaluer la preuve » (Biniaris, au par. 36) et se demander, à la lumière de son expérience, si « l’appréciation judiciaire des faits exclut la conclusion tirée par le jury » (par. 39, italique ajouté). Ainsi, pour déterminer si le verdict est de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait raisonnablement pu rendre, le tribunal d’appel doit se demander non seulement si le verdict s’appuie sur des éléments de preuve, mais également si la conclusion du jury ne va pas à l’encontre de l’ensemble de l’expérience judiciaire (Biniaris, au par. 40).

[141]     Fort de ces enseignements, nous nous proposons d’évaluer le caractère raisonnable du verdict de meurtre ainsi que la détermination du jury selon laquelle l’appelant a commis le meurtre avec préméditation et de propos délibéré.