La norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation est bien établie. Cette norme exige que (1) la personne fouillée ait été légalement arrêtée; (2) la fouille soit véritablement accessoire à l’arrestation en ce sens qu’elle doit viser un objectif valable d’application de la loi lié à l’arrestation; et (3) la fouille ne soit pas abusive.
L’objectif d’application de la loi visé par les policiers doit être subjectivement lié à l’arrestation, et la conviction du policier que la fouille permettra de réaliser cet objectif doit être objectivement raisonnable. Afin que cette norme soit satisfaite, il n’est pas nécessaire que les policiers aient des motifs raisonnables et probables pour effectuer la fouille. Il leur suffit plutôt d’avoir « un motif raisonnable » de faire ce qu’ils ont fait. Il s’agit là d’une norme beaucoup moins exigeante que les motifs raisonnables et probables
[35] La norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation est bien établie. Comme l’explique la Cour dans l’arrêt Fearon, aux par. 21 et 27, cette norme exige que (1) la personne fouillée ait été légalement arrêtée; (2) la fouille soit véritablement accessoire à l’arrestation en ce sens qu’elle doit viser un objectif valable d’application de la loi lié à l’arrestation; et (3) la fouille ne soit pas abusive.
[36] Pour ce qui est du deuxième critère, les objectifs valables d’application de la loi justifiant la fouille accessoire à l’arrestation comprennent les suivants : a) assurer la sécurité des policiers et du public; b) empêcher la destruction d’éléments de preuve; et c) découvrir des éléments de preuve susceptibles d’être utilisés au procès (Fearon, par. 75).
[37] L’objectif d’application de la loi visé par les policiers doit être subjectivement lié à l’arrestation, et la conviction du policier que la fouille permettra de réaliser cet objectif doit être objectivement raisonnable (R. c. Caslake, 1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51, par. 19). Afin que cette norme soit satisfaite, il n’est pas nécessaire que les policiers aient des motifs raisonnables et probables pour effectuer la fouille. Il leur suffit plutôt d’avoir « un motif raisonnable » de faire ce qu’ils ont fait (Caslake, par. 20). Il s’agit là d’une norme beaucoup moins exigeante que les motifs raisonnables et probables.
[38] La Cour a expliqué la distinction entre la norme du « motif raisonnable » et la norme plus exigeante des « motifs raisonnables et probables » dans l’arrêt Caslake, au par. 20 :
Par exemple, la norme des motifs raisonnables et probables exigerait qu’un policier démontre qu’il croyait raisonnablement que la personne arrêtée était munie d’une arme particulière avant de la fouiller. Par contre, selon la norme qui s’applique en l’espèce, le policier aurait le droit de fouiller une personne arrêtée afin de vérifier si elle porte une arme si, dans les circonstances, il semblait raisonnable de vérifier si la personne est armée.
Pour être constitutionnelle, la norme de common law relative aux fouilles accessoires à l’arrestation doit être modifiée de deux façons qui la rendent plus rigoureuse lorsque les policiers effectuent des fouilles dans des espaces du domicile qui sont hors du contrôle physique de la personne arrêtée :
• les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner qu’il y a un risque pour leur sécurité ou celle de l’accusé ou du public, qu’une fouille permettrait d’éviter;
• la fouille ne doit pas être effectuée d’une manière abusive, et doit être adaptée aux intérêts élevés au respect de la vie privée dans un domicile.
[56] Pour être constitutionnelle, la norme de common law relative aux fouilles accessoires à l’arrestation doit être modifiée de deux façons qui la rendent plus rigoureuse lorsque les policiers effectuent des fouilles dans des espaces du domicile qui sont hors du contrôle physique de la personne arrêtée :
• les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner qu’il y a un risque pour leur sécurité ou celle de l’accusé ou du public, qu’une fouille permettrait d’éviter;
• la fouille ne doit pas être effectuée d’une manière abusive, et doit être adaptée aux intérêts élevés au respect de la vie privée dans un domicile.
[57] Afin de faciliter la comparaison, nous réitérons que la norme de common law permet la fouille d’une personne arrêtée et de l’espace environnant l’arrestation lorsque : (1) l’arrestation est légale; (2) la fouille est accessoire à l’arrestation, de sorte qu’il y a un fondement raisonnable à la fouille qui est lié à l’arrestation et celle‑ci vise un objectif valable d’application de la loi, notamment la sécurité, la préservation ou la découverte d’éléments de preuve; et (3) la nature et l’étendue de la fouille sont raisonnables. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont appliqué cette norme dans le cas qui nous occupe.
Nous devons donc faire une distinction entre deux sous‑catégories au sein de l’espace environnant l’arrestation :
a) l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation; et
b) les espaces se trouvant hors du contrôle physique de cette personne, mais qui font partie de l’espace environnant parce qu’ils sont suffisamment liés à l’arrestation.
Cette distinction vise la reconnaissance du fait que plus la fouille sans mandat est vaste, plus grande est la possibilité qu’il y ait violation de la vie privée. Comme nous l’expliquons ci‑dessous, différentes normes doivent s’appliquer à ces sous-catégories.
[59] Une fouille accessoire à l’arrestation peut aussi viser l’espace environnant l’arrestation. Toutefois, cette notion doit être adaptée pour tenir compte des considérations uniques accompagnant la fouille dans un domicile. Nous devons donc faire une distinction entre deux sous‑catégories au sein de l’espace environnant l’arrestation :
a) l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation; et
b) les espaces se trouvant hors du contrôle physique de cette personne, mais qui font partie de l’espace environnant parce qu’ils sont suffisamment liés à l’arrestation.
Cette distinction vise la reconnaissance du fait que plus la fouille sans mandat est vaste, plus grande est la possibilité qu’il y ait violation de la vie privée. Comme nous l’expliquons ci‑dessous, différentes normes doivent s’appliquer à ces sous-catégories.
[60] La tâche consistant à déterminer si un endroit précis fait partie de l’espace environnant l’arrestation et de quelle sous‑catégorie il relève incombe au juge du procès. Conformément à la jurisprudence de la Cour, la question de savoir si un espace est suffisamment lié à l’arrestation est contextuelle et propre à l’affaire. Il s’agit de savoir s’il y a un « lien entre le lieu et l’objet de la fouille et les motifs de l’arrestation » (R. c. Nolet, 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851, par. 49). Cette analyse est hautement contextuelle; la décision doit être prise en fonction d’une démarche téléologique afin que les policiers puissent répondre adéquatement à une grande variété de situations factuelles pouvant survenir. Selon les circonstances, l’espace environnant peut être plus ou moins vaste. Comme l’a souligné un savant auteur, [traduction] « [u]ne fouille accessoire à l’arrestation peut s’étendre à l’espace environnant et pourrait donc comprendre la fouille de l’immeuble ou du véhicule où l’accusé est arrêté » (S. Coughlan, Criminal Procedure(4e éd. 2020), p. 124).
[61] Lorsque les policiers font une arrestation, selon la norme de common law actuelle, ils peuvent effectuer une fouille par palpation et examiner l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée. Toutefois, lorsque les policiers dépassent cette zone, la norme doit être relevée pour tenir compte du fait qu’ils sont entrés dans une maison sans mandat. Dans de telles circonstances, il ne suffit pas de satisfaire à la norme actuelle de common law, qui exige un certain fondement raisonnable pour la fouille. Les policiers doivent plutôt respecter une norme plus exigeante : ils doivent avoir des raisons de soupçonner que la fouille répondra à un objectif valable de sécurité. Nous aborderons plus en profondeur la norme des soupçons raisonnables dans la section suivante.
[62] Une démarche semblable a été adoptée aux États‑Unis, où la jurisprudence établit une distinction entre les espaces relevant du contrôle physique de la personne arrêtée et ceux se trouvant hors du contrôle physique de celle‑ci. Deux arrêts, lus ensemble, illustrent cette distinction. D’abord, dans l’arrêt Chimel c. California, 395 U.S. 752 (1969), p. 763, la Cour suprême des États‑Unis a statué que dans le contexte d’une arrestation dans un domicile, le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation permet aux policiers de fouiller : a) la personne arrêtée, comme au moyen d’une fouille sommaire; et b) l’espace [traduction] « relevant de son contrôle immédiat », c’est‑à‑dire l’espace où la personne arrêtée pourrait tenter de saisir une arme ou des éléments de preuve destructibles.
[63] Ensuite, dans l’arrêt Maryland c. Buie, 494 U.S. 325 (1990), la Cour suprême des États‑Unis s’est penchée sur des espaces qui n’ont pas été analysés dans l’arrêt Chimel. Elle a conclu que les policiers peuvent procéder à une inspection de protection d’un domicile après une arrestation lorsqu’ils soupçonnent raisonnablement qu’il y a un danger. Même dans ce cas, la fouille se limite à une inspection superficielle des espaces où une personne pourrait être trouvée et ne peut durer plus longtemps que nécessaire pour écarter le soupçon raisonnable de danger.
[64] Ces affaires, bien qu’elles ne soient évidemment pas contraignantes, constituent des précédents convaincants et utiles démontrant la nécessité d’établir différentes normes pour les fouilles d’espaces relevant du contrôle physique de la personne arrêtée et pour ceux se trouvant hors du contrôle physique de celle‑ci.
Lorsque les policiers procèdent à une fouille accessoire à une arrestation dans un domicile pour des raisons de sécurité, ils doivent avoir des raisons de soupçonner qu’une fouille des espaces se situant hors du contrôle physique de la personne arrêtée contribuera à l’atteinte de l’objectif valable de sécurité du public et des policiers, y compris celle de l’accusé.
La norme des soupçons raisonnables est plus rigoureuse que la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation.
[9] En raison du contexte factuel de l’espèce, il n’est pas nécessaire de décider si les soupçons raisonnables s’appliquent aussi aux fins d’enquête, comme la préservation et la découverte d’éléments de preuve. Nous remettons à une autre occasion l’analyse de cette question.
…
[65] Lorsque les policiers procèdent à une fouille accessoire à une arrestation dans un domicile pour des raisons de sécurité, ils doivent avoir des raisons de soupçonner qu’une fouille des espaces se situant hors du contrôle physique de la personne arrêtée contribuera à l’atteinte de l’objectif valable de sécurité du public et des policiers, y compris celle de l’accusé. Cette norme modifiée, qui est plus rigoureuse que la norme de base de common law, respecte les intérêts au respect de la vie privée dans un domicile, tout en permettant aux policiers de s’acquitter efficacement de leurs responsabilités en matière d’application de la loi.
[66] À l’instar du critère de common law, l’objectif de la fouille doit être subjectivement lié à l’arrestation, et la conviction du policier que la fouille permettra de réaliser cet objectif doit être objectivement raisonnable. Toutefois, l’exigence relative à l’objectivité est plus rigoureuse. Pour y satisfaire, la Couronne doit établir des « faits objectifs [qui] font naître des soupçons raisonnables, de sorte qu’une personne raisonnable à la place du policier aurait soupçonné raisonnablement la tenue d’une activité criminelle » (R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 45).
[67] La norme des soupçons raisonnables est plus rigoureuse que la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation. Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Caslake, le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation découle de l’arrestation légale même (par. 13). Il suffit qu’il existe un « motif raisonnable » de faire ce que le policier a fait compte tenu de l’arrestation (par. 20). La norme de common law est moins sévère que celle des soupçons raisonnables parce qu’elle permet les fouilles fondées sur des préoccupations généralisées découlant de l’arrestation, alors que celle des soupçons raisonnables ne le permet pas.
[68] En revanche, pour établir l’existence de soupçons raisonnables, les policiers ont besoin d’un ensemble de faits objectivement discernables appréciés à la lumière de toutes les circonstances donnant lieu au risque soupçonné. Cette appréciation doit « s’appuyer sur des faits, être souple et relever du bon sens et de l’expérience pratique quotidienne » (Chehil, par. 29). De plus, les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner que la fouille remédiera à ce risque. Toutefois, la norme des soupçons raisonnables est moins exigeante que celle des motifs raisonnables et probables parce qu’elle est fondée sur une possibilité et non sur une probabilité (Chehil, par. 32).
[69] La question de savoir si les circonstances d’un cas donné donnent lieu à des soupçons raisonnables doit être évaluée à la lumière de l’ensemble des circonstances (Chehil, par. 26). Les considérations suivantes pourraient être pertinentes : a) la nécessité d’une fouille; b) la nature du risque appréhendé; c) les conséquences potentielles de l’absence de prise de mesures de protection; d) l’existence d’autres mesures; et e) la probabilité que le risque envisagé existe réellement (R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 O.R. (3d) 743 (C.A.), p. 758).
Le simple fait que les policiers soient entrés dans le domicile pour une raison valable ne leur donne pas carte blanche pour se promener partout dans le domicile lorsque les circonstances ne l’exigent pas.
Lorsque les policiers procèdent à une fouille accessoire à l’arrestation dans un domicile, dans des espaces se trouvant hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, ils doivent avoir des soupçons raisonnables.
[72] Dans l’affaire Golub, les policiers sont entrésdans le domicile pour effectuer une fouille accessoire à l’arrestation, alors qu’en l’espèce, les policiers étaient déjà légalement dans le domicile en raison d’une situation d’urgence lorsqu’ils ont effectué une fouille accessoire à l’arrestation. Malgré cette différence, à notre avis, les principes qui ont mené la cour dans l’arrêt Golub à exiger une norme de soupçons raisonnables s’appliquent de la même manière en l’espèce. Le simple fait que les policiers soient entrés dans le domicile pour une raison valable ne leur donne pas carte blanche pour se promener partout dans le domicile lorsque les circonstances ne l’exigent pas. Comme nous l’avons expliqué, plus la fouille sans mandat est vaste, plus grande est la possibilité qu’il y ait violation de la vie privée. Par conséquent, lorsque les policiers procèdent à une fouille accessoire à l’arrestation dans un domicile, dans des espaces se trouvant hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, ils doivent avoir des soupçons raisonnables.
[73] En concluant que la norme des soupçons raisonnables s’applique aux fouilles dans un domicile effectuées accessoirement à une arrestation, le juge Doherty a mis en balance les intérêts au respect de la vie privée dans un domicile et les objectifs pertinents des policiers. Compte tenu du contexte factuel dans l’arrêt Golub, il était particulièrement intéressé par l’intérêt des policiers à protéger la sécurité des personnes se trouvant sur le lieu de l’arrestation. À cet égard, il a fait les astucieuses observations suivantes, auxquelles nous souscrivons entièrement :
[traduction] . . . je m’intéresse à l’intérêt des policiers à protéger la sécurité des personnes se trouvant sur le lieu de l’arrestation. Cet intérêt est souvent la préoccupation la plus pressante sur le lieu d’une arrestation et des mesures doivent être prises sur‑le‑champ. Lorsque l’on décide si les policiers avaient raison de prendre des mesures pour assurer leur sécurité, il faut tenir compte des réalités de la situation d’arrestation. Souvent, et la présente affaire en est un bon exemple, l’atmosphère du lieu de l’arrestation est instable et les policiers doivent s’attendre à l’inattendu. Le prix payé si des mesures inadéquates sont prises pour sécuriser le lieu d’une arrestation peut en effet être très élevé. Tout comme il est inapproprié de tenter de justifier ex post facto la conduite des policiers, il est tout aussi inapproprié de faire fi des réalités des situations où les policiers doivent prendre de telles décisions.[Nous soulignons; p. 757.]
[74] Lorsque le juge chargé de la révision évalue la conduite des policiers, il doit être conscient de l’instabilité et de l’incertitude auxquelles ceux‑ci font face — les policiers doivent s’attendre à l’inattendu. Cette réalité est inhérente à l’exercice par les policiers de leurs pouvoirs de common law, ainsi que de leurs devoirs prévus par la loi, notamment « la préservation de la paix, la prévention du crime et [. . .] la protection de la vie des personnes et des biens » (R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, par. 15 (soulignement omis), citant Dedman c. La Reine, 1985 CanLII 41 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 2, p. 11‑12; Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, c. P.15, art. 42). Compte tenu de leur mandat, les policiers « doivent être habilités à réagir avec rapidité, efficacité et souplesse aux diverses situations qu’ils rencontrent quotidiennement aux premières lignes du maintien de l’ordre » (R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, par. 16). La norme des soupçons raisonnables fait en sorte que les policiers peuvent s’acquitter de ces devoirs, tout en tenant compte de l’intérêt élevé au respect de la vie privée des gens dans leur domicile.
L’arrêt MacDonald se distingue de la présente affaire.
[76] Dans l’arrêt MacDonald, les policiers se sont présentés au condominium de M. MacDonald en raison d’une plainte de bruit. Lorsque ce dernier a ouvert partiellement la porte de son unité, il semblait tenir une arme derrière sa jambe. Après qu’il a refusé de dire ce qu’il tenait derrière sa jambe, le policier a poussé la porte pour l’ouvrir davantage. Il importe de noter que M. MacDonald n’était pas en état d’arrestation. Il a donc conservé une attente considérable au respect de sa vie privée dans son domicile, et les policiers devaient satisfaire à des critères plus exigeants pour justifier leur entrée dans le domicile — c.‑à‑d., une croyance raisonnable que des préjudices étaient imminents. Dans la présente affaire, en revanche, les policiers étaient déjà entrés dans le domicile en raison d’une situation d’urgence et avaient procédé légalement à l’arrestation. L’attente en matière de respect de la vie privée de M. Stairs était donc considérablement diminuée (Fearon, par. 56, faisant référence à R. c. Beare, 1988 CanLII 126 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 387, p. 413). Précisons que « [l]e pouvoir de procéder à la fouille ne découle pas d’une attente moins grande en matière de vie privée chez la personne arrêtée »; toutefois, il s’agit d’un facteur dans l’appréciation de la norme applicable à une fouille accessoire à l’arrestation (Caslake, par. 17). À notre avis, il s’ensuit que l’arrêt MacDonald se distingue de la présente affaire.
[77] Des motifs indépendants justifient aussi le rejet d’une norme exigeant une croyance raisonnable que des préjudices sont imminents pour la fouille d’un domicile accessoire à une arrestation. D’abord, étant donné qu’une fouille accessoire à une arrestation a habituellement lieu au début d’une enquête, les policiers seront souvent incapables de démontrer l’existence de motifs raisonnables et probables. Placer la barre trop haut empêcherait les policiers d’agir rapidement et de prendre des mesures immédiates afin d’écarter les risques pour leur sécurité et celle des autres, y compris des victimes innocentes. Ensuite, une exigence d’imminence interdirait pratiquement le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation, puisqu’elle constituerait simplement une reformulation de l’exception relative à l’urgence. En cas d’urgence, les policiers peuvent agir uniquement sur ce fondement. Il ne serait pas nécessaire qu’ils aient le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation.
Les policiers doivent adapter soigneusement les fouilles qu’ils effectuent dans un domicile accessoirement à une arrestation aux intérêts accrus en matière de respect de la vie privée qui s’y rattachent. Le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation ne permet pas aux policiers de procéder à des fouilles fortuites. Les policiers font face à de nombreuses contraintes lorsqu’ils dépassent l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée.
[78] Les policiers doivent adapter soigneusement les fouilles qu’ils effectuent dans un domicile accessoirement à une arrestation aux intérêts accrus en matière de respect de la vie privée qui s’y rattachent. Le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation ne permet pas aux policiers de procéder à des fouilles fortuites. Les policiers font face à de nombreuses contraintes lorsqu’ils dépassent l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée.
[79] Le pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation permet seulement aux policiers de le faire dans l’espace environnant l’arrestation (Cloutier, p. 180‑181; Coughlan, p. 124). Les indications de la Cour sur la façon d’établir ce qui constitue l’espace environnant l’arrestation demeurent les mêmes. Comme il a été indiqué, le principal facteur à considérer est le lien entre le lieu et l’objet de la fouille et les motifs de l’arrestation (Nolet, par. 49).
[80] De plus, la nature de la fouille doit être adaptée à son objectif précis, aux circonstances de l’arrestation et à la nature de l’infraction. En général, les policiers ne peuvent avoir recours au pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation pour justifier la fouille dans chaque recoin de la maison. La fouille accessoire à l’arrestation demeure une exception à la règle générale selon laquelle un mandat est requis pour justifier l’introduction dans le domicile. La fouille ne devrait pas être plus attentatoire que nécessaire pour écarter les soupçons raisonnables des policiers.
[81] En outre, il serait bon que les policiers prennent des notes détaillées après avoir procédé à une fouille dans un domicile accessoirement à une arrestation. Ils devraient inscrire les endroits visés par la fouille, l’étendue de celle‑ci, l’heure à laquelle elle a eu lieu, son objectif et sa durée. Dans certains cas, des notes insuffisantes pourraient amener un juge du procès à tirer des conclusions préjudiciables ayant une incidence sur le caractère raisonnable de la fouille.
En résumé
(4) Le cadre d’analyse applicable
[82] En résumé, la fouille d’un domicile effectuée accessoirement à une arrestation pour des raisons de sécurité sera conforme à l’art. 8 de la Charte lorsque les conditions suivantes sont réunies :
(1) L’arrestation était légale.
(2) La fouille était accessoire à l’arrestation, ce qui est le cas lorsque les considérations suivantes sont respectées :
a) Lorsque l’espace visé par la fouille relève du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, la norme de common law doit être satisfaite.
b) Lorsque l’espace visé par la fouille est hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation — mais que l’espace est suffisamment lié à l’arrestation — les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner que la fouille contribuera à l’atteinte de l’objectif de sécurité des policiers et du public, y compris celle de l’accusé.
(3) Lorsque l’espace visé par la fouille est hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation — mais que l’espace est suffisamment lié à l’arrestation — la nature et l’étendue de la fouille doivent être adaptées à son objet et aux intérêts élevés au respect de la vie privée dans un domicile.
Si notre société veut se doter de moyens efficaces pour lutter contre la violence conjugale, elle doit pouvoir intervenir en cas de crise.
[90] Monsieur Stairs a été arrêté pour voies de fait contre sa conjointe. Comme l’a reconnu la Cour dans l’arrêt Godoy, au par. 21, le respect de la vie privée au sein du foyer doit être mis en balance avec la sécurité des autres membres du foyer :
L’un des traits spécifiques de [la violence conjugale] est son caractère privé. La violence familiale survient au sein du foyer qui est censé être inviolable. Bien qu’il ne fasse aucun doute que l’intimité du foyer soit une valeur qu’il faut préserver et favoriser, le respect de la vie privée ne saurait l’emporter sur la sécurité de tous les membres du foyer. Si notre société veut se doter de moyens efficaces pour lutter contre la violence conjugale, elle doit pouvoir intervenir en cas de crise.
[91] Pour les victimes de violence familiale, le domicile n’est souvent pas un refuge sûr. Il s’agit plutôt d’un endroit qui abrite et permet les mauvais traitements. Bien que les intérêts au respect de la vie privée dans le domicile soient importants, l’art. 8 de la Charte « ne vise pas à protéger aveuglément les droits en matière de vie privée revendiqués dans le contexte d’activités criminelles qui se déroulent à l’intérieur de la demeure d’une personne » (Silveira, par. 119, la juge L’Heureux‑Dubé, motifs concordants). Dans les cas de violence familiale, les policiers se soucient non seulement du respect de la vie privée et de l’autonomie de la personne arrêtée, mais ils doivent aussi être vigilants quant à la sécurité de tous les membres du ménage, y compris les victimes connues et les victimes potentielles.
[92] Par le passé, les victimes de violence familiale ne recevaient pas l’aide dont elles avaient besoin. Les conflits familiaux étaient considérés comme étant des questions « privées » qui ne justifiaient pas l’intervention de l’État. Plus récemment, « les tribunaux, les législateurs, la police et les travailleurs sociaux se sont engagés dans une campagne sérieuse et importante pour s’informer eux‑mêmes et éduquer le public au sujet de la nature et de la fréquence de la violence conjugale » (Godoy, par. 21). Pourtant, malgré ces avancées, la violence familiale persiste. Elle demeure l’un des crimes les plus fréquents au Canada, représentant plus d’un quart de tous les crimes violents. En 2019, il y a eu environ 400 000 victimes de crimes violents signalés à la police. De ce nombre, 26 p. 100 — soit plus de 100 000 personnes — ont été agressées par un membre de la famille (Statistique Canada, La violence familiale au Canada : un profil statistique, 2019 (mars 2021), p. 4).
[93] De plus, les affaires où il est question de violence familiale sont souvent instables et chargées sur le plan émotif (Jensen c. Stemmer, 2007 MBCA 42, 214 Man. R. (2d) 64, par. 98; L. Ruff, « Does Training Matter? Exploring Police Officer Response to Domestic Dispute Calls Before and After Training on Intimate Partner Violence » (2012), 85 Police J.285). Les interventions en cas de querelle conjugale peuvent être dangereuses et peuvent même représenter un danger pour la vie des agents intervenants et des personnes se trouvant sur les lieux (R. c. Dodd (1999), 1999 CanLII 18930 (NL CA), 180 Nfld. & P.E.I.R. 145 (C.A. T.‑N.‑L.), par. 38). En raison de la fréquence de la violence familiale et des risques qui y sont liés, les policiers intervenants doivent avoir la capacité d’évaluer et de contrôler la situation. En l’espèce, cela comprend le fait de confirmer s’il y a d’autres personnes ou risques dans l’espace environnant l’arrestation.
[94] Les policiers répondent souvent à des appels concernant des cas de violence familiale en ayant peu de renseignements. Par exemple, ils ne savent peut‑être pas si d’autres membres de la famille, notamment des enfants, sont touchés. Cette difficulté est exacerbée lorsque les victimes sur le lieu de l’arrestation sont peu coopératives, comme cela est souvent le cas dans un contexte de violence familiale. Par exemple, dans l’arrêt R. c. Lowes, 2016 ONCA 519, les policiers ont répondu à un appel au 9‑1‑1 où une personne affirmait avoir entendu un voisin menacer de tuer une femme. La femme a soutenu auprès des policiers qu’il n’y avait personne d’autre dans l’appartement. La Cour d’appel a conclu que les policiers auraient [traduction] « manqué à leur devoir » s’ils avaient cru la femme sur parole (par. 12 (CanLII)).
Dans des situations instables où les policiers doivent s’attendre à l’inattendu, il est [traduction] « fautif de faire abstraction des réalités des situations dans lesquelles les policiers doivent prendre leurs décisions ».
[95] Une situation semblable s’est déroulée en l’espèce. Malgré des blessures récentes et visibles, la victime a prétendu que M. Stairs et elle ne faisaient que jouer à la bagarre. Cette affirmation n’était pas crédible, étant donné la nature de ses blessures et en raison du fait qu’une personne avait été témoin d’une agression si violente qu’elle l’avait signalée au 9‑1‑1. De plus, l’agent Brown a affirmé que, compte tenu de sa conversation avec la victime, il croyait qu’elle [traduction] « ne voulait pas coopérer » (d.a., vol. II, p. 49). Surtout, les policiers ne pouvaient pas se fier à elle pour obtenir des renseignements fiables concernant la présence d’autres personnes, d’autres dangers ou la cause de ses blessures, et il n’y avait personne d’autre auprès de qui ils pouvaient obtenir de tels renseignements. Il était donc objectivement raisonnable que les policiers procèdent à une fouille sommaire de l’espace environnant l’arrestation, y compris la salle de séjour du sous‑sol.
[96] Notre collègue la juge Karakatsanis affirme que les policiers ont agi selon des soupçons généraux, plutôt que selon des soupçons raisonnables. Soit dit en tout respect, nous ne sommes pas de cet avis. Lorsque nous nous demandons si la conduite des policiers était objectivement raisonnable dans les circonstances de l’espèce, nous devons nous souvenir des propos d’une aide inestimable qu’a tenus le juge Doherty dans l’arrêt Golub, à la p. 757 : dans des situations instables où les policiers doivent s’attendre à l’inattendu, il est [traduction] « fautif de faire abstraction des réalités des situations dans lesquelles les policiers doivent prendre leurs décisions ». Bien qu’il soit essentiel que la démarcation entre soupçons généraux et soupçons raisonnables soit maintenue, dans les cas comme celui en l’espèce, nous devons prendre bien soin d’éviter d’utiliser le portrait global que donne le recul comme étalon servant à mesurer les décisions instantanées prises par les policiers.
[97] Bien que les intérêts au respect de la vie privée dans un domicile soient importants, ils ne sont pas absolus. À la lumière des faits de la présente affaire, la juge du procès pouvait conclure que l’intérêt de la société relatif à l’application efficace de la loi devait l’emporter sur l’intérêt de M. Stairs au respect de sa vie privée dans la salle de séjour au sous‑sol. La juge du procès n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était objectivement raisonnable que les policiers vérifient l’endroit pour s’assurer qu’aucune autre personne (notamment des victimes potentielles) n’était présente et qu’il n’y avait pas d’armes ou de dangers à découvert.