Reyes c. R., 2022 QCCA 1689

Mise à jour du 24 mars 2023 : voir aussi Plourde c. R., 2023 QCCA 361

Pour que les recommandations conjointes fonctionnent convenablement et soient acceptées comme élément central et vital de la pratique quotidienne, les parties sont en droit d’attendre, avec un haut degré de confiance sinon de certitude, qu’elles soient entérinées sans obstacle excessif.

[14Dans l’arrêt Anthony-Cook, la Cour suprême affirme fermement que les recommandations conjointes sont une partie intégrale et essentielle de la saine administration de la justice criminelle et même que l’administration de la justice s’effondrerait sur elle-même sans les bénéfices généraux qui sont apportés par cette forme de résolution des poursuites. Sur ce fondement, la Cour érige le test qui s’applique avant qu’un juge puisse rejeter une recommandation conjointe : il doit l’accepter sauf si la peine proposée mine la confiance du public dans l’administration de la justice ou autrement si elle va à l’encontre de l’intérêt public. La Cour précise que même si la décision finale relève de la discrétion du juge, ce test exige que le juge fasse preuve d’une grande déférence envers la suggestion des parties. Donc, le critère est strict et exigeant. Le rejet d’une recommandation conjointe, s’il y a lieu dans un cas plutôt exceptionnel, doit être expliqué par des motifs précis qui spécifient en quoi la suggestion n’est pas dans l’intérêt public[6].

[21] L’intensité du test s’explique. Pour que les recommandations conjointes fonctionnent convenablement et soient acceptées comme élément central et vital de la pratique quotidienne, les parties sont en droit d’attendre, avec un haut degré de confiance sinon de certitude, qu’elles soient entérinées sans obstacle excessif. Pour renforcer cette expectative, le test rigoureux pour un rejet comporte un haut degré de retenue pour les juges qui reçoivent des recommandations conjointes, qui se traduit par un devoir de déférence envers les parties qui les soumettent. La Cour suprême note que, sur ces questions, la confiance des parties et la retenue des juges sont des principes complémentaires et réciproques :

[41] Cependant, comme je l’ai mentionné, la présentation de recommandations conjointes ne reste possible que si les parties sont très confiantes qu’elles seront acceptées. Si elles doutent trop, les parties peuvent plutôt choisir d’accepter les risques d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Si les recommandations conjointes en viennent à être considérées comme des solutions de rechange insuffisamment sûres, l’accusé en particulier hésitera à renoncer à un procès et à ses garanties concomitantes, notamment la faculté cruciale de mettre à l’épreuve la solidité de la preuve du ministère public.

[42] D’où l’importance, pour les juges du procès, de faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celui‑ci jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé.

[22] Je me permets un mot sur l’importance de la retenue des juges dans le contexte présent.

[23] En matière de peine, une jurisprudence constante établit qu’une cour d’appel intervient seulement en présence d’une erreur de principe ou d’une mauvaise évaluation (vers le haut ou le bas) d’un facteur pertinent qui a mené à une peine manifestement non indiquée. Voici un devoir de retenue et de déférence d’un tribunal envers un autre. Le test rigoureux pour le rejet d’une recommandation conjointe de la peine en est un aussi. Le juge saisi de la peine doit faire preuve de retenue et de déférence envers les parties qui lui soumettent une recommandation conjointe, sauf si celle-ci, non pas parce qu’elle lui paraît manifestement non indiquée, mais pour des raisons nettement identifiables, parce qu’elle minerait la confiance d’un public bien averti ou si autrement elle va à l’encontre de l’intérêt public. Bref, le refus d’une recommandation conjointe est une exception à la norme qui est non seulement inusitée, mais plutôt rare.

[24] Par conséquent, un juge qui ne suit pas ces consignes lorsqu’il refuse une recommandation conjointe ne peut s’attendre à la déférence qu’une cour d’appel lui réserve habituellement en matière de peine, parce qu’un manque d’adhérence fidèle au test rigoureux de l’arrêt Anthony-Cook est en soi une erreur de principe à réviser.

[50]      Je souligne en terminant que les juges de première instance ont toujours le devoir de s’assurer que les peines sont conformes à l’intérêt public, mais la jurisprudence de la Cour suprême oblige tous les tribunaux à respecter les recommandations conjointes, sauf dans les circonstances manifestement exceptionnelles.

Je ne crois pas pour autant que la jurisprudence de la Cour suprême ni celle de notre Cour[22] doivent être comprises comme signifiant que la tâche du juge en matière de recommandation conjointe se limite désormais à un simple « estampillage » (« rubber-stamping »).

[55]      La nécessité d’une norme d’intervention élevée en matière de recommandations conjointes tient aussi au maintien de l’efficacité du système de justice[19]. Ce procédé permet « aux tribunaux de sauver du temps d’audience à l’étape de la détermination de la peine », il épargne « aux victimes et au système de justice la nécessité de tenir des procès coûteux et chronophages » et « les deux parties en bénéficient également du fait qu’elles n’ont pas à se préparer pour un procès ou pour une audience de détermination de la peine contestée »[20].

[56]      Dans l’arrêt Nahanee, la Cour suprême résume ces avantages pour l’accusé et le système de justice à ces deux mots : certitude et efficacité[21].

[57]      Je ne crois pas pour autant que la jurisprudence de la Cour suprême ni celle de notre Cour[22] doivent être comprises comme signifiant que la tâche du juge en matière de recommandation conjointe se limite désormais à un simple « estampillage » (« rubber-stamping »). Il est vrai que son pouvoir discrétionnaire en ce domaine est ténu puisqu’il s’agit de l’une des normes les plus limitées d’intervention qui soit, mais il vaut aussi de rappeler que le juge demeure le protecteur ultime de l’intérêt public. C’est pourquoi dans Anthony-Cook la Cour suprême écrit :

[3]        Toutefois, les recommandations conjointes relatives à la peine ne sont pas sacro-saintes. Les juges du procès peuvent les écarter. […].[23]