R. c. Pan, 2025 CSC 12

La norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y avait vraisemblance est celle de la décision correcte.

[37] Il est vrai qu’il y a eu de l’incertitude par le passé au sujet de la norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y avait vraisemblance (voir, p. ex., R. c. Thibert, 1996 CanLII 249 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 37, par. 33). Dans des affaires telles Thibert, la question n’a pas été caractérisée comme une question de droit contrôlable selon la norme de la décision correcte. Cependant, maintenant qu’il a catégoriquement été établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, cela a pour effet d’éliminer tout besoin de déférence. La décision correcte signifie que « les cours d’appel ont toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance » (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8). Les juges de première instance doivent trancher la question de la vraisemblance correctement, à défaut de quoi ils commettent une erreur de droit susceptible de contrôle (voir Cinous, par. 55). Je rejetterais l’invitation du ministère public de nous écarter du sens établi de la norme de la décision correcte dans ce contexte. Introduire un certain degré de déférence en l’espèce ne ferait que créer de la confusion et des complications inutiles dans le droit en matière de norme de contrôle.

Ne pas soumettre un verdict réaliste à l’appréciation du jury présente le risque que le jury, appelé à choisir entre une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale et un acquittement, rende un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale simplement parce qu’un acquittement serait « prononcé à contrecœur ».

[43] L’importance de ne pas soumettre à l’appréciation du jury des thèses insoutenables est amplifiée dans le contexte des infractions incluses. Alors que le fait de donner des directives au jury sur un moyen de défense insoutenable fait courir le risque d’un acquittement non étayé par la preuve, le fait de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse insoutenable fait courir le risque d’une déclaration de culpabilité déraisonnable, qui est « l’erreur qui est peut‑être la plus grave de toutes » (R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 26).

[44] D’autre part, en fixant le seuil de preuve à un niveau peu élevé, le critère de la vraisemblance garantit que toutes les thèses valables sont soumises à l’examen attentif du jury. De cette manière, le critère facilite l’exercice du droit de la personne accusée d’être jugée par un jury, si elle le désire, plutôt que par un juge siégeant seul (voir Osolin, p. 690, citant P. Hogg, Constitutional Law of Canada(3e éd. 1992), vol. 2, p. 48‑15; R. c. Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702, par. 58‑60). Les juges de première instance doivent faire attention de ne pas compromettre ce choix protégé en statuant sur des questions qui relèvent à juste titre du jury.

[45] Bien que les infractions incluses ne soient pas complètement analogues aux moyens de défense, la question de savoir s’il convient de soumettre ces infractions à l’appréciation du jury fait également intervenir le droit de présenter une défense pleine et entière dans la mesure où les soumettre à cette appréciation donne au jury une voie additionnelle permettant de conclure que l’accusé n’est pas coupable de l’infraction principale. D’ailleurs, notre Cour a reconnu que ne pas soumettre un verdict réaliste à l’appréciation du jury présente le risque que le jury, appelé à choisir entre une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale et un acquittement, rende un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale simplement parce qu’un acquittement serait « prononcé à contrecœur » (R. c. Haughton, 1994 CanLII 73 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 516, p. 517).

Une infraction incluse doit être soumise à l’appréciation du jury si, et seulement si, elle est vraisemblable, ce qui signifie qu’il existe une possibilité réaliste qu’un acquittement soit prononcé relativement à l’infraction principale et qu’un verdict de culpabilité soit rendu pour l’infraction incluse.

[50] Lorsqu’une infraction est à juste titre une infraction incluse conformément à ces principes, la question distincte de savoir si cette infraction devrait être soumise à l’appréciation du jury se pose. Une infraction incluse doit être soumise à l’appréciation du jury si, et seulement si, elle est vraisemblable, ce qui signifie qu’il existe une possibilité réaliste qu’un acquittement soit prononcé relativement à l’infraction principale et qu’un verdict de culpabilité soit rendu pour l’infraction incluse (voir R. c. Wolfe, 2024 CSC 34, par. 50; Joseph c. R., 2018 QCCA 1441, par. 19; R. c. Smith, 2023 NBCA 20, par. 33; R. c. Iyamuremye, 2017 ABCA 276, 355 C.C.C. (3d) 289, par. 82; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.27‑33.28).

[51]  Pour décider s’il s’agit d’une possibilité réaliste, le juge du procès doit se demander s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire d’avoir un doute raisonnable à l’égard d’éléments de l’infraction principale qui la distinguent de l’infraction incluse, tout en acceptant hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction incluse (R. c. Wong (2006), 2006 CanLII 18516 (ON CA), 209 C.C.C. (3d) 520 (C.A. Ont.), par. 12; Ronald, par. 46; Tenthorey, par. 63; Chacon-Perez, par. 162). L’enquête exige que le juge examine la preuve dans son ensemble et qu’il garde à l’esprit que, conformément à la présomption d’innocence, un jury peut toujours rejeter des éléments de preuve ou refuser de tirer des inférences particulières (Ronald, par. 48; Joseph, par. 25).

[62] En somme, une infraction incluse sera vraisemblable s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse et un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale. Le juge du procès doit se demander non seulement si l’interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre d’avoir un doute à l’égard des éléments distinctifs de l’infraction principale, mais aussi si la même interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre au jury de conclure que tous les éléments de l’infraction incluse sont établis. Cela soulève la question de savoir si une interprétation donnée de la preuve est raisonnable à cette fin.

Dans les cas qui mettent en jeu des éléments de preuve circonstancielle, le juge du procès qui se demande s’il y a vraisemblance doit procéder à une « évaluation limitée » de la preuve.

[64] Dans les cas qui mettent en jeu des éléments de preuve circonstancielle, le juge du procès qui se demande s’il y a vraisemblance doit procéder à une « évaluation limitée » de la preuve (R. c. Arcuri, 2001 CSC 54, [2001] 2 R.C.S. 828, par. 23; voir aussi Cinous, par. 90). Cette opération est nécessaire, car « la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés » (Arcuri, par. 23). Dans le cadre du processus d’évaluation limitée, le juge du procès ne tire pas d’inférences de fait, mais il arrive plutôt « à une conclusion concernant les inférences de fait qui pourraient raisonnablement être faites » (Cinous, par. 91). En d’autres mots :

. . . le juge doit s’abstenir « de se prononcer sur la crédibilité des témoins, d’apprécier la valeur probante de la preuve, de tirer des conclusions de fait ou de faire des inférences de fait précises », peu importe jusqu’à quel point la réponse peut paraître évidente pour lui. En fait, il doit, à cette étape des procédures, tenir pour vrai tous les témoignages rendus. Néanmoins, s’il l’estime opportun, le juge peut se livrer à une évaluation limitée de la preuve considérée dans son ensemble, comme il le ferait pour décider du renvoi à procès à l’issue de l’enquête préliminaire. [Je souligne; notes en bas de page omises.]

(Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.23)

[65] Les inférences de fait qui découlent raisonnablement de la preuve doivent être mises à la disposition du jury même lorsque le juge du procès estime que d’autres inférences plus plausibles pourraient être tirées. Autrement dit, l’opération d’« évaluation limitée » ne fait pas de comparaison entre des inférences concurrentes. Cette forme d’analyse comparative est un exemple d’évaluation substantielle, qui dépasse de la portée du critère de la vraisemblance (Cinous, par. 90; R. c. Pappas, 2013 CSC 56, [2013] 3 R.C.S. 452, par. 26).