R. c. Goforth, 2022 CSC 25

La règle cardinale veut que ce qui importe soit le message général que les termes utilisés ont transmis au jury, selon toutes probabilités, et non de savoir si le juge a employé une formule particulière.

Le juge du procès doit disposer d’une certaine marge de manœuvre dans la formulation des directives au jury puisque son rôle l’oblige à « clarifier et [à] simplifier » le droit et la preuve pour le jury. Le juge du procès a l’obligation de « clarifier et de simplifier », et « il n’est pas nécessaire de répéter la preuve lorsqu’il suffit de l’exposer une seule fois » (Jacquard, par. 13‑14).

L’exposé au jury peut donc s’en tenir à ce qui est « effectivement et véritablement en litige dans le procès » (par. 10).

[20] Les erreurs alléguées en l’espèce ont trait à l’exposé de la juge du procès au jury. Comme je l’ai affirmé précédemment, notre Cour a établi il y a longtemps que l’accusé a droit à un jury qui a reçu des directives appropriées — et non nécessairement parfaites (R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 31; R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 2 et 32).

[21] Le juge du procès n’est pas tenu à la perfection dans la formulation de ses directives (Daley, par. 31). La cour d’appel doit plutôt adopter une approche fonctionnelle lorsqu’elle examine un exposé au jury, en considérant les erreurs reprochées dans le contexte de la preuve, de tout l’exposé et du procès dans son ensemble (R. c. Calnen, 2019 CSC 6, [2019] 1 R.C.S. 301, par. 8; R. c. Pickton, 2010 CSC 32, [2010] 2 R.C.S. 198, par. 10; R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 32). C’est le fond de l’exposé — et non l’utilisation d’une formule consacrée ou l’écart par rapport à celle‑ci — qui est déterminant (R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579, par. 54; R. c. Luciano, 2011 ONCA 89, 273 O.A.C. 273, par. 69). Comme l’a enseigné le juge Bastarache dans l’arrêt Daley, au par. 30 :

     . . . le tribunal d’appel ne doit pas oublier ce qui suit. La règle cardinale veut que ce qui importe soit le message général que les termes utilisés ont transmis au jury, selon toutes probabilités, et non de savoir si le juge a employé une formule particulière. Le choix des mots et l’ordre des différents éléments relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge et dépendront des circonstances. [Je souligne.]

[22] De fait, le juge du procès doit disposer d’une certaine marge de manœuvre dans la formulation des directives au jury puisque son rôle l’oblige à « clarifier et [à] simplifier » le droit et la preuve pour le jury (Jacquard, par. 13; R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760, par. 50; voir aussi R. c. Araya, 2015 CSC 11, [2015] 1 R.C.S. 581, par. 39).

[49] Quoi qu’il en soit, l’exposé de la juge du procès faisait suffisamment mention de la preuve relative à la prétendue situation de M. Goforth. Comme je l’ai déjà mentionné, le juge du procès a l’obligation de « clarifier et de simplifier », et « il n’est pas nécessaire de répéter la preuve lorsqu’il suffit de l’exposer une seule fois » (Jacquard, par. 13‑14).

[58] Mon collègue a tort d’affirmer que j’applique essentiellement la disposition réparatrice. Il faut se rappeler que « pour déterminer si les directives au jury étaient suffisantes, il faut tenir compte de l’ensemble de la preuve et du procès » (Pickton, par. 10). L’exposé au jury peut donc s’en tenir à ce qui est « effectivement et véritablement en litige dans le procès » (par. 10). L’exposé en l’espèce était adéquat car, à la lumière de l’ensemble de la preuve et du procès, il n’y avait pas de débat sur la question de savoir si l’omission de donner de la nourriture ou des liquides à de jeunes enfants constituait un écart marqué — ce n’était pas un « concept difficile » à comprendre ou à appliquer dans les circonstances. En outre, je rappelle ce que le juge en chef Dickson a souligné dans l’arrêt R. c. Corbett, 1988 CanLII 80 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 670, p. 693‑694 :

L’article 215 crée une infraction de négligence pénale. Il « a en effet pour but l’établissement d’un niveau minimal uniforme de soins à fournir pour les personnes auxquelles il s’applique.

Cela ne peut se réaliser que si ceux auxquels incombe l’obligation sont tenus de respecter dans leur conduite une norme de la société plutôt qu’une norme personnelle ».

[27] L’article 215 crée une infraction de négligence pénale. Il « a en effet pour but l’établissement d’un niveau minimal uniforme de soins à fournir pour les personnes auxquelles il s’applique. Or, cela ne peut se réaliser que si ceux auxquels incombe l’obligation sont tenus de respecter dans leur conduite une norme de la société plutôt qu’une norme personnelle » (R. c. Naglik, 1993 CanLII 64 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 122, p. 141-142 (soulignement omis)). La responsabilité repose sur ce dont une personne raisonnable dans une situation semblable à celle de l’accusé aurait eu connaissance ou prévu, de sorte que la « faute consiste dans l’absence de l’état mental de diligence requis » (R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, par. 8). La disposition sanctionne le comportement qui constitue un écart marqué par rapport à une norme objective de diligence raisonnable. Plus précisément, la mens rea requise dans le cas de l’art. 215 est établie lorsque la Couronne prouve que la conduite de l’accusé constitue « un écart marqué par rapport à la conduite d’un parent raisonnablement prudent dans des circonstances où il était objectivement prévisible que l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence risquerait de mettre en danger la vie de l’enfant ou d’exposer sa santé à un péril permanent » (Naglik, p. 143; voir aussi R. c. J.F., 2008 CSC 60, [2008] 3 R.C.S. 215, par. 8).

[30] Pour satisfaire à l’exigence de la mens rea dans le cas de l’art. 215, la Couronne devait prouver : a) qu’il était objectivement prévisible, pour une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé, que l’omission de fournir de la nourriture, des liquides ou des soins médicaux risquerait de mettre en danger la vie de l’enfant ou d’exposer sa santé à un péril permanent; et b) que le comportement de l’accusé s’écartait de façon marquée de celui auquel on se serait attendu d’un parent, d’un parent d’accueil, d’un gardien ou d’un chef de famille raisonnablement prudent dans les circonstances.

[35] Au final, considérées dans leur ensemble, les directives de la juge du procès ont transmis de manière fonctionnelle les principes juridiques applicables. L’exposé au jury n’était pas parfait. La juge du procès n’a pas fait de distinction nette entre la norme de prévisibilité requise pour l’art. 215 et celle requise pour l’homicide involontaire coupable ou l’infliction illégale de lésions corporelles. Elle a couramment juxtaposé les deux exigences différentes de prévisibilité sans indiquer clairement au jury de quelle manière les normes de prévisibilité respectives correspondaient aux infractions respectives.

[36] La juxtaposition imprécise de différentes exigences de mens rea devrait être évitée. Cela risque de confondre le jury, et cela pourrait nécessiter la tenue d’un nouveau procès dans des circonstances différentes. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, il n’existe aucune possibilité raisonnable que le jury ait été confus à propos de la mens rearequise dans le cas de l’art. 215 ou qu’il eut été induit en erreur quant à ce que la Couronne devait prouver pour qu’il puisse déclarer M. Goforth coupable d’homicide involontaire coupable ou d’infliction illégale de lésions corporelles. Avec égards, la Cour d’appel a eu tort de conclure le contraire, et ce, pour trois raisons.

[37] Tout d’abord, malgré la fréquence à laquelle la directive plus confuse a été répétée, l’explication la plus claire de l’exigence de la mens rea a été donnée quand la juge du procès a invité le jury à examiner deux questions simples pour déterminer si l’exigence de la mens rea avait été respectée. Ces questions ont indiqué aux jurés exactement ce qu’ils devaient se demander dans les circonstances de la présente affaire. Il n’y a tout simplement aucune possibilité raisonnable qu’un juré ait fait abstraction de ces questions simples et aurait plutôt choisi d’appliquer la norme de prévisibilité moins exigeante.